Aussi séculaire qu’inépuisable

Patrimoine culinaire algérien

Le patrimoine culinaire algérien, aussi séculaire qu’inépuisable, est d’une variété proportionnelle à l’étendue géographique de ce pays-continent, tel que l’illustre la Cheffe-cuisinière, Yasmine Sellam, qui s’échine, inlassablement, à déterrer et à promouvoir des pans méconnus de cette dimension de l’identité culturelle nationale.«La richesse de notre patrimoine culinaire est à la mesure de l’étendue géographique de notre vaste pays. C’est un art culinaire ancestral et d’une variété incroyable. C’est pourquoi, je m’attache à déterrer de l’oubli et à sauver de la disparition ce qui peut l’être encore», déclare à l’APS Mme Sellam, une passionnée de l’art culinaire algérien, en particulier celui du terroir.
C’est ainsi, qu’outre les plats emblématiques des différentes régions du pays, cette gérante de la table d’hôtes «Dar Djeddi» (Alger) a pris connaissance de nombre de préparations aussi savoureuses que lointaines, souvent résultant de diverses influences historiques mais, toutefois, demeurées méconnues.
Et de citer, entre autres «précieuses trouvailles», le «Tadjera», allusion au saladier en céramique posé sur des braises et dans lequel mijotent viandes et légumes de saison dans du jus d’oranges. De même que le «Senhadj», une recette raffinée, festive et héritée des Andalous par la tribu berbère des «Senhadja», et dont le principe consiste à faire cuire «toutes les viandes possibles avec des légumes de saison», ce qui en fait un plat «particulièrement énergétique», explique-t-elle, évoquant, en outre, un «succulen» plat de Cherchell, à base de poisson blanc, associé au miel et aux amandes. «C’est une subtile combinaison de saveurs qui existait depuis l’époque d’El Moutanabi, tel que le révèle le Diwan de ce célèbre poète arabe. Ce qui prouve que ce qui est présenté comme des inventions de grands Chefs occidentaux, n’est parfois qu’une appropriation de civilisations antérieures», a-elle relevé.
Et de poursuivre, à ce propos : «Contrairement à l’idée galvaudée, le ‘Tadjine’ est présent dans tout le Maghreb. Son ancêtre serait le grec ‘Tajenon’ ou le perse ‘Tahjin’», assurant avoir retrouvé en Algérie une recette datant de 25 ans après JC, dénommée « le poulet à la Numide».
Elle fera également part de l’existence de préparations habituellement exclusivement « attribuées » à une partie de l’Algérie, alors qu’elles sont d’usage ailleurs, mais sous d’autres appellations et modes d’emploi, citant celle emblématique de Béjaia, «Tikourbabine», appelée «Hchih Lekouirat» à Cherchell, «El Kor», à Mascara ou encore «Boukhebouz» dans l’Est du pays. De même qu’elle soutient «le nombre impressionnant» de pâtes artisanales confectionnées par d’agiles mains algériennes, «un peu partout», avant d’évoquer la gamme « »tout aussi bigarrée» des soupes (Hariras) à base de légumes frais ou secs, de céréales, etc : « La ‘Harira’ remonterait à la Djahiliya et est arrivée au Maghreb avec l’avènement de l’Islam », indique-t-elle, faisant part, à ce propos, d’une « découverte» parmi la multitude des plats typiques du grand Sud algérien.
Il s’agit, détaille-t-elle, d’un «condiment rare» destiné à rehausser le goût de la «Harira», appelé «Lakhtim» et confectionné à base de blé mélangé au fromage local, «Klila», le tout séché puis moulu.
Dans le registre des plats sucrés, elle affirme que la «Baklawa», héritée des Ottomans, a «d’abord atterri en Algérie avant de se retrouver ailleurs» et que les plus anciennes références à ce gâteau sont citées dans les tablettes d’argile babyloniennes retraçant les plus vieilles recettes au monde.
Mme Sellam évoque, par ailleurs, «Halwat Laânab» (Gâteau aux raisins), propre à Miliana et Médéa, une sorte de chapelet de noix ou d’amandes trempés dans une pâte séché e et découpée en tranches, dont l’origine serait géorgienne, avant d’être importée en Algérie par les Ottomans. Ou encore le «Tadjine Bsibssi», un plat salé-sucré, encore existant dans l’Est du pays, à base de courge et de viande, sachant que cette préparation est dénomée «Mrouziya» à Tlemcen.

Exploiter les arganiers
de Tindouf…
Soucieuse de «rétablir certaines vérités», Mme Sellam évoque «un bien précieux que l’Algérie gagnerait à bien rentabiliser», à savoir les milliers d’hectares d’arganiers poussant à Tindouf, insistant sur «la rareté» de ces plants. «L’arganier a été signalé pour la 1ére fois en Algérie en 1921 par le botaniste français, Henri Lemaire. C’est un plant qui ne fleurit que dans ce microclimat spécifique», dira-t-elle, faisant état de plats traditionnels concoctés à Tindouf avec de l »huile d’argan. Et de considérer que « nul ne peut contester ces vérités dans le seul but de garder le monopole de cette ressource». Il en est ainsi, poursuit-elle, de «la Bastila» qui, à la base, est une recette espagnole (Pastilla) et est déclinée en Algérie, sous diverses appellations : «J’ai ainsi retrouvé cette recette à Cherchell et encore à Bejaia où on l’appelle ‘la Knafa’, ainsi qu’à Annaba, sous le nom de ‘Tajik’, etc.», argumente-t-elle, évoquant des origines «vraisemblablement babyloniennes».
Pour éviter que ne se perde un patrimoine culinaire aussi lointain et précieux, l’animatrice des «Master Chefs» s’apprête à faire éditer le 1er d’une série d’ouvrages répertoriant ces plats ressuscités : «C’est un livre académique qui servira nos chercheurs dans ce domaine et contribuera à la préservation de ce patrimoine. Ceci, d’autant plus que la cuisine saine et typique est en train de céder le pas à une standardisation des mets», s’insurge-t-elle.
Par ailleurs, cette formatrice de la jeune génération de chefs-cuisiniers insiste sur l’impératif de la formation afin de «bien véhiculer la richesse de notre patrimoine à l’étranger», tout en la conviant à «apprendre par elle-même» les arcanes de l’art culinaire.
R.C.