Le pourquoi d’une relation fusionnelle

Algérie-Palestine

Dans un article paru dans le journal israélien Haaretz en 2014, il écrivit : « J’appelle à un boycott mondial d’Israël et adresse au peuple israélien le plaidoyer suivant : « Libérez-vous en libérant la Palestine ».La férocité d’Israël dans son traitement des populations des Territoires occupés, Mgr Tutu l’avait condamnée en ces termes, lorsque s’adressant à un militant BDS, il déclara : « Mais votre combat sera plus dur que le nôtre, car l’apartheid israélien est pire encore que celui d’Afrique du Sud. Nous n’avons jamais eu de bombardement sur nos bantoustans avec des F16 tuant des centaines de nos enfants… ».
Personnalité touchante et incorruptible, il a inculqué à des millions de personnes à travers le monde l’importance de lutter avec détermination et sans peur pour la défense de principes éthiques essentiels, mais aussi pour leurs propres droits fondamentaux, sans compromission et quel que soit le prix à payer. Son compatriote, feu Nelson Mandela, avait énoncé avant lui, en 1997, cette vérité qui continue de donner des sueurs froides aux inconditionnels d’Israël, compte tenu de la haute stature morale du dernier grand libérateur du XXème siècle : « Nous savons trop bien que notre liberté est incomplète sans la liberté pour les Palestiniens».
On relèvera aussi avec quelle bravoure l’ancien président américain, Jimmy Carter, osa mettre à nu les mécanismes de domination israélienne et leur traitement des Palestiniens, qu’il a sans complexe décrits comme constituant précisément un régime d’Apartheid. Quand on sait l’impopularité de ces thèses sur la scène américaine, on apprécie d’autant plus, à sa juste valeur, le courage intellectuel de ce Juste parmi les Justes.

La longue nuit coloniale algérienne et les sentiments d‘une profonde injustice
L’ Algérie à vécu dans sa chair ce sentiment d’abandon et d’impuissance pendant ses 132 années d’occupation par la France, occupation brutale et barbare doublée d’une tentative d’acculturation totale. C’est en partie cette occultation et brouillage de la cause palestinienne sur la scène internationale et cette double peine qui lui est infligée qui sont au cœur de la relation fusionnelle qui soude les Algériens et beaucoup de Justes, à travers le monde. D’ailleurs, le statut des Palestiniens, comme l’underdog et victimes, est bien exprimé par cette expression scandée dans chaque action de solidarité avec eux : « Filastin echouhada » « Palestine, terre de martyrs » – quoique difficilement traduisible vu son caractère compactifié – et avec toute la charge émotionnelle que suscite le vocable « chouhada » dans la conscience collective des Algériens. Loin de moi l’idée de vouloir prétendre que le peuple algérien est le seul, dans le monde arabe, à défendre la cause palestinienne. D’ailleurs, l’Algérie pourrait faire bien plus si la chape de plomb pesant sur l’expression populaire de solidarité était levée… Il y a d’autres peuples, tels que les Marocains et les Egyptiens, qui prennent eux aussi fait et cause pour la souveraineté de la Palestine. Mais, face à eux, la position de ceux qui les gouvernent les empêche de s’exprimer pleinement.
Il faut également citer les admirables défenseurs occidentaux de la cause palestinienne, parmi lesquels figurent parfois des citoyens d’origine juive, dont l’intégrité et la détermination forcent le respect. Pourtant cette minorité agissante, malgré ses vaillants efforts, n’a pas permis de changer globalement la donne : que le monde voit en la Palestine une juste cause, digne d’une solidarité totale et d’une mobilisation massive. Le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions), l’équivalent du mouvement de boycott multiforme qui s’était mis en place durant les années soixante contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud, malgré quelques percées ici et là, est dénigré, fustigé et, pire encore, criminalisé dans nombre de pays occidentaux par différents mécanismes légaux, quand il n’est pas purement et simplement proscrit par des lois les ciblant spécifiquement, comme c’est le cas dans pas moins de 30 Etats aux Etats-Unis.

La déliquescence arabe
Parlons de la veulerie de ces régimes arabes qui, après avoir fait de la Palestine la cause sacrée depuis leur existence, en font à présent un juteux fonds de commerce. En effet, nombre d’entre eux, pour des raisons de prestige ou de cosmopolitisme mal placé, finissent par céder lamentablement au chantage, faisant fi de toute considération morale. Ils brisent ainsi les rangs, en optant pour la normalisation de leurs relations avec l’entité sioniste sans la moindre contrepartie. Comment le régime du Makhzen au Maroc, pour ne citer que lui, a-t-il pu ignorer les puissants sentiments de solidarité qui anime le peuple marocain envers la cause palestinienne ? Comment a-t-il pu établir, de manière aussi indécente, non seulement des relations diplomatiques étroites avec Israël, mais aussi économiques, militaires et sécuritaires approfondies ?
Nous ne nous attarderons pas sur le fait que tout ceci s’est fait à l’encontre des opinions publiques arabes. Ce qui constituerait une hérésie politique dans les pays occidentaux, et qui démontre clairement, s’il en était encore besoin, le caractère autocratique de ces régimes. On est passé d’une opposition totale à Israël, même si factice à bien des égards, à une reddition sans conditions. C’est du gagnant–perdant complet, le gagnant raflant toute la mise et le perdant perdant tout, y compris son honneur !
La Ligue Arabe est l’épitomé jusqu’à la caricature de cette capitulation. Elle qui fut fondée en grande partie pour rétablir le peuple palestinien dans ses droits, et qui refuse désormais de condamner les crimes répétés dont il est victime, de crainte de froisser les pays « normalisateurs » qui en sont membres, fait preuve d’une pusillanimité pitoyable, dont elle ne ressort pas grandie. En outre, Israël peut compter sur une coterie d’états riches et puissants du Golfe entre autres, qui veillent avec zèle à ses intérêts au sein de cette même Ligue. C’est en ce sens que l’entreprise de normalisation est non seulement une forfaiture morale, mais aussi un violent coup de poignard donné dans le dos de la cause palestinienne. C’est un acte odieux de trahison !

Des cimes des Aurès…
au canyon du Rhoufi
Un bel exemple de la manifestation de solidarité avec la Palestine nous a été offert récemment par un groupe de jeunes algériens qui, bivouaquant près du plus haut sommet montagneux situé au nord de l’Algérie, a déployé avec bonheur le drapeau palestinien à côté de celui de l’Algérie.
Cette magnifique action de soutien à la cause palestinienne, hautement symbolique, eut pour cadre la région des Aurès, en décembre dernier, lors de l’organisation par l’Association Sirius d’Astronomie d’un camp hivernal de perfectionnement. Les Aurès qui, rappelons-le, virent le déclenchement de la lutte de libération nationale. Ces jeunes algériens reproduisirent ce « rituel » tout au long de leur visite de l’imposant canyon du Rhoufi et de ses balcons, à quelque 200 km au sud-ouest du pays.
On perçoit mieux combien sont pitoyables un Kamel Daoud, mais surtout un Boualem Sansal), ces deux auteurs algériens à succès en France, devenus les coqueluches des médias et de certains cercles journalistico-universitaires du parisianisme, quand ils se désolent de la défense inconditionnelle de la cause palestinienne par leurs compatriotes. Une défense qu’ils dénigrent sans le moindre état d’âme, la considérant comme émotionnelle, irrationnelle et sélective, au risque de montrer leur déficit d’Algérianité, sinon d’humanité.
On n’ose imaginer ce qu’ils ont pu dire lorsque le peuple algérien, pendant les marches pacifiques spectaculaires du Hirak, s’est particulièrement distingué en brandissant fièrement, à la face du monde, le drapeau palestinien, le seul étendard qu’ils arborèrent à côté de celui de l’Algérie.

La cause palestinienne,
une boussole morale
La Palestine, avec son petit peuple de quelque six millions d’habitants, dont une bonne partie d’entre eux sont des réfugiés, n’est pas la seule cause au monde qui mérite notre plus grande compassion et notre solidarité active. Il y a, certes, pléthore d’autres causes méritoires à défendre, certaines aussi sous le radar, telles que la répression effroyable subie par les Ouïghours en Chine, l’occupation sanglante du Cachemire par l’Inde, malgré les accords internationaux, sans parler du massacre à ciel ouvert des Rohingyas en Birmanie, et de la persécution de bien d’autres ethnies minoritaires, musulmanes ou non.
Mais la Palestine a cette particularité de nous faire vivre en « live » son insoutenable tragédie, qu’elle endure avec un courage admirable depuis 1948, où se cristallise l’hypocrisie de la fameuse communauté internationale, celle des gouvernements et des institutions internationales, face à l’injustice flagrante dont est victime sa population.
Existe-t-il un autre conflit, dans ce bas monde, pour lequel les Nations Unis ont entériné des dizaines de résolutions, dont certaines très contraignantes et votées à l’unanimité, mais sans qu’aucune ne soit jamais appliquée ? Ne parlons même pas des Etats-Unis, dont le Congrès peut, sur un simple signal d’une poignée d’élus Républicains ou Démocrates, voter à l’«unanimité » moins quelques voix une aide militaire pharaonique en faveur d’Israël, s’élevant à plusieurs milliards de dollars, comme on l’a vu récemment. C’était pour réapprovisionner l’entité sioniste, qui aurait épuisé une partie de ses munitions dans le dernier round d’hostilités contre la poche de misère humaine appelée Gaza. Une enclave martyre, où s’entassent et tentent de survivre presque deux millions de personnes, sans eau potable ni électricité pour une bonne partie du temps, et dont 80% des habitants sont des réfugiés des conflits précédents !
Les puissants de ce monde ont choisi le camp de Goliath contre David, au risque d’y perdre leur âme, si tant est qu’ils en aient une… Ils ont choisi de se ranger inconditionnellement derrière un Etat sioniste surpuissant, oppresseur, arrogant, cruel, disposant de l’arme nucléaire, contre un peuple opprimé, émietté, démembré, exterminé, dont on a outrageusement spolié la terre et furieusement piétiné les droits humains, un peuple sans voix et sans allié significatif, et surtout pas parmi ses « frères » arabes. C’est pour cela que la cause palestinienne va au-delà d’un simple conflit national, et représente l’épitomé d’une lutte emblématique des temps modernes contre la désinformation, le mensonge et l’hypocrisie institutionnalisée, qui sont somme toute bien plus insidieux et pernicieux que les fake news. Cette cause joue le rôle d’une boussole morale, comme le jouaient en leur temps l’Algérie, le Vietnam, l’Afrique du Sud…
Pour toutes ces raisons, la solidarité de cœur qui lie indéfectiblement les Algériens aux Palestiniens, même si elle n’apportera pas la victoire à ces derniers, est toutefois une grosse bouffée d’air pur qui réoxygène le soutien à la Palestine, dans cet âpre combat du Bien contre le Mal livré dans un monde où tout est fait pour en brouiller les contours.

Jamal Mimouni
Suite et fin