Tirs de lacrymogène sur des milliers de manifestants anti-coup d’Etat

Soudan²

Les forces de sécurité ont tiré lundi des grenades lacrymogènes sur des milliers de manifestants hostiles au pouvoir militaire au Soudan, au quatrième mois d’une mobilisation populaire contre le putsch qui ne faiblit pas en dépit d’une répression meurtrière et de nouvelles rafles. Les manifestants réclament un pouvoir civil dans un pays quasiment toujours sous la férule de l’armée depuis son indépendance il y a 66 ans et dénoncent également la répression qui, depuis le coup d’Etat militaire mené le 25 octobre par le chef de l’armée, a tué 73 manifestants. De l’autre côté, un haut-gradé a été poignardé à mort par des manifestants, selon la police. Lundi, les manifestants tentent de nouveau de converger vers le palais présidentiel où siège le dirigeant de facto du pays, le chef de l’armée Abdel Fattah al-Burhane, sous les tirs de grenades lacrymogènes des forces de sécurité.

Effacer le putsch
Là, comme dans les banlieues de la capitale, ils scandent «le peuple a choisi les civils» et « le pouvoir au peuple ! », de même qu’à Wad Madani, à 200 kilomètres plus au sud, à Gedaref et Port-Soudan dans l’est côtier du pays. Avec son coup de force, le général Burhane a mis un coup d’arrêt à la transition vers un pouvoir entièrement civil promise il y a plus de deux ans après la chute du dictateur Omar el-Béchir, démis par l’armée sous la pression de la rue. Il faut «effacer toutes les traces du coup d’Etat», revenir à un gouvernement civil et «écarter le chef des putschistes et son pouvoir immédiatement», a une nouvelle fois redit le parti Oumma, le plus ancien du pays, dont plusieurs responsables ont été arrêtés lors du putsch, dans un communiqué. Comme à chaque fois à la veille des manifestations, les forces de sécurité ont procédé à des rafles nocturnes, arrêtant des membres des Comités de résistance dans différents quartiers de Khartoum, ont indiqué ces organisations locales, véritable colonne vertébrale de la mobilisation.

Des fusils et des fouets
Avant eux, Amira Osmane, militante des droits des femmes la plus connue du pays, a elle aussi été enlevée à son domicile, a indiqué à l’AFP la secrétaire générale de son association «Non à l’oppression des femmes», Tahani Abbas. Samedi soir, «vers minuit et demi, trente hommes armés de fusils et de fouets et cagoulés sont entrés chez elle», a-t-elle raconté. «Ils ont refusé de dire pour le compte de qui ils agissaient et ils l’ont emmenée vers une destination inconnue» où elle est toujours détenue, poursuit la militante. Mme Osmane, qui avait fondé son organisation sous la dictature militaro-islamiste de Omar el-Béchir, souffre de graves problèmes de dos, ajoute-t-elle, disant s’inquiéter pour sa santé. L’émissaire de l’ONU au Soudan, Volker Perthes, a condamné cet enlèvement, estimant que «la violence contre les militantes des droits des femmes menace de réduire leur participation à la vie politique » dans un pays, où déjà, selon l’ONU, 13 manifestantes ont été violées par des forces de sécurité décidées à en finir avec l’opposition. Alors que la liste des exactions ne cesse de s’allonger, Khartoum a récemment reporté la visite de l’envoyé spécial de l’ONU pour les droits humains. La communauté internationale, elle, continue à réclamer un dialogue pour sortir de la crise. Des responsables de l’ONU rencontrent depuis plusieurs jours politiciens, militants et représentants corporatifs sans pour autant avoir pu les amener jusqu’ici à discuter ensemble. Le général Burhane, lui, a récemment annoncé un gouvernement « chargé des affaires courantes ». Il y a nommé des hauts fonctionnaires en remplacement des ministres civils, pour beaucoup arrêtés au moment du putsch. Et, surtout, il a maintenu les ministres issus des anciens groupes rebelles armés, seul groupe épargné par les purges.