Jawdat Saïd, figure de l’islam non-violent, est mort

Surnommé le «Ghandi syrien»

Surnommé le « Ghandi syrien », le penseur et théoricien d’un islam non-violent est décédé, dimanche 30 janvier, à l’âge de 90 ans. Exilé à Istanbul avec sa famille depuis l’éclatement de la révolution syrienne, il avait développé une interprétation originale de la place de l’histoire dans la religion musulmane.
C’est une voix méconnue de l’islam non-violent qui s’est éteinte, dimanche 30 janvier. Jawdat Saïd, penseur musulman syrien âgé de 90 ans, est mort à Istanbul, où il était en exil depuis 2011. Il s’était notamment illustré par sa pensée iconoclaste, selon laquelle l’histoire doit être considérée comme une source de la révélation divine à (…)
La sauvagerie et la terreur répandues par l’Etat Islamique et autres groupuscules prétendant tuer «au nom de l’islam » peuvent parfois engendrer dans nos esprits un amalgame équivoque entre «islam» et «violence».
Pourtant, l’existence de ces individus fanatiques ne doit pas nous faire ignorer la richesse d’une tradition qui, au cours du dernier siècle, a également fécondé la réflexion de grands penseurs et réformateurs. Parmi eux, nous évoquerons ici la figure de Jawdat Saʿïd, celui que ses compatriotes ont surnommé le « Gandhi syrien», et qui, depuis les années 1960, a développé le concept de non-violence (lā ʿunf) en islam. Syrien d’origine tcherkesse, né en 1931 à B’ir ʿAjam, dans le Golan, Jawdat Saʿïd a étudié à Al-Azhar durant une dizaine d’années. De retour en Syrie, il est arrêté à plusieurs reprises pour ses activités intellectuelles et son activisme politique et se trouve finalement dépossédé du droit d’enseigner.
En 1966, il publie un livre dans lequel il situe sa pensée dans la tradition de réformistes, tels ʿAbd al-Raḥman al-Kawākibī (m. 1902) ou encore Muḥammad Iqbāl (m. 1938). Ce texte, en forme de réponse aux écrits de Sayyid Quṭb (m.1966), présente le concept de non-violence du point de vue de l’islam. Depuis cette époque, ce militant pacifiste a présenté ses réflexions dans une quinzaine d’ouvrages et plusieurs centaines d’articles et de conférences, lus et discutés dans plusieurs pays du monde arabe et sources d’inspiration pour beaucoup d’activistes œuvrant à un changement social et politique pacifique.
Dans son intervention il met en parallèle son aspiration à la démocratie, et celle d’une partie du peuple syrien, avec celle qui avait pu animer les révolutionnaires français. Il participe ensuite également à divers rassemblements civils et pacifiques à Deraʿa. En 2013, il doit se réfugier en Turquie après le bombardement de son village natal de Bir ʿAjem par l’armée syrienne, et après que son frère ait été tué par un sniper. Depuis son exil en Turquie, il continue d’animer des séances de discussions et d’exégèse.
Le penseur s’efforce de relire le Coran à la lumière de l’expérience humaine. Invitant à prendre exemple sur « le Premier fils d’Adam », il cite la réplique d’Abel (5:28) – qui refuse de verser le sang contrairement à son frère Caïn, le meurtrier -, afin de montrer que l’attitude non-violente a été choisie par certains très tôt dans l’histoire de l’humanité.
Le Cheikh conçoit le texte coranique comme une invitation à s’élever au niveau de l’esprit et à témoigner de la responsabilité morale que l’humain doit assumer en refusant toute complicité avec le mal. Résister au mal, exercer la patience en face de la persécution, persévérer à appeler au dialogue et en supporter toutes les conséquences, refuser de répondre au mal par le mal : Jawdat Saʿïd invite à épuiser tous les recours afin d’éviter de commettre un acte de violence envers autrui.
En effet, la violence est à ses yeux une régression, et l’interdiction du meurtre une exigence universelle de la conscience raisonnable.

C.P.