La Libye avec deux Premiers ministres après un vote controversé du Parlement

Crise de transition libyenne

La Libye s’est retrouvée jeudi avec deux Premiers ministres après un vote controversé
du Parlement susceptible d’exacerber les luttes de pouvoir dans ce pays miné
par les crisesDans ce qui s’apparente à un coup de force institutionnel du camp de l’Est libyen contre celui de Tripoli, le Parlement siégeant à Tobrouk a désigné l’influent ex-ministre de l’Intérieur Fathi Bachagha pour remplacer Abdelhamid
Dbeibah à la tête du gouvernement intérimaire. Or M. Dbeibah, anticipant ce vote, a fait savoir à plusieurs reprises qu’il ne céderait le pouvoir qu’à un gouvernement sorti des urnes. Et dans la nuit de mercredi à jeudi, le véhicule de M. Dbeibah a essuyé des tirs à Tripoli, ont rapporté des médias locaux sans préciser si le Premier ministre se trouvait à bord. Aucune confirmation n’a pu être obtenue de source officielle au sujet de ces tirs. La Libye s’est enlisée dans une crise politique majeure après la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011 avec des rivalités entre les principales régions, les luttes de pouvoir et les ingérences étrangères. En pleine guerre civile, le pays avait été dirigé entre 2014 et 2016 par deux Premiers ministres rivaux à l’Ouest et à l’Est.

«Autorité parallèle»
Après des années de conflits armés et de divisions, le gouvernement Dbeibah a été mis sur pied il y a un an, sous l’égide de l’ONU, pour mener la transition jusqu’aux élections présidentielle et législatives, qui étaient prévues en décembre avant d’être reportées sine die. Ce report avait été décidé sur fond de désaccords persistants entre un pouvoir à l’Est incarné par le Parlement et le maréchal Haftar, et un autre à l’Ouest autour du gouvernement de Tripoli et le Haut Conseil d’Etat. Alors que ce report se profilait, M. Bachagha –l’un des candidats le plus en vue de l’ouest libyen à la présidentielle– s’était rapproché du camp rival en se rendant à Benghazi. Il y avait rencontré le maréchal Khalifa Haftar, homme fort de l’Est libyen et chef de l’autoproclamée Armée nationale libyenne (ANL). L’ANL a d’ailleurs salué jeudi la désignation de M. Bachagha comme Premier ministre et affirmé «soutenir la décision du Parlement». Le Parlement, qui estime que le mandat de M. Dbeibah a expiré avec le report des élections, avait retenu deux prétendants sur un total de sept pour le remplacer: M. Bachagha, 59 ans, et l’outsider Khaled Al-Bibass, un ancien haut fonctionnaire au même ministère. Avant de faire procéder au vote, le président du Parlement Aguila Saleh, l’un des principaux rivaux du gouvernement Dbeibah, a affirmé que M. Bibass avait retiré sa candidature, laissant M. Bachagha seul en lice. La séance était retransmise en directe avant d’être interrompue au moment du vote. Cité par des médias libyens, M. Bibass a démenti avoir retiré sa candidature. MM. Bachagha et Dbeibah, tous deux originaires de l’ouest du pays, disposent chacun du soutien de groupes armés en Tripolitaine. «Je n’accepterai aucune nouvelle phase de transition ou autorité parallèle», a averti M. Dbeibah mardi dans un discours télévisé, affirmant que son gouvernement intérimaire ne remettrait le pouvoir qu’à «un gouvernement élu».

«Fait accompli»
Au début de la séance à Tobrouk, le Parlement a aussi voté pour prolonger de 14 mois son mandat qui a théoriquement expiré en décembre. La chambre des représentants est considérée comme la chasse gardée de son président Aguila Saleh, un cacique de l’Est. M. Saleh est accusé d’avoir enfreint toutes les procédures pour faire nommer M. Bachagha. Il avait déjà été accusé d’avoir fait dérailler le processus politique, en promulguant en septembre, sans vote, une loi électorale controversée taillée sur mesure pour son allié Khalifa Haftar qui était lui aussi candidat à la présidentielle. «Nombreux voient les événements d’aujourd’hui en Libye, où un nouveau Premier ministre a été fabriqué pour tenter de consolider certaines factions politiques, comme un fait accompli», a commenté du Twitter Tarek Megrisi, analyste au Conseil européen des relations internationales. «Il s’agit en fait d’un jeu de confiance qui se déroule depuis déjà un certain temps et qui a pour seul but de dévoyer les efforts en faveur du processus électoral».