Des sanctions pour défaut d’autorisation

Risques urbains

L’incendie suivi d’une explosion dans deux garages situés sous des habitations à Ain Oulmène (près de Sétif), le 1er février 2022, a confirmé à l’opinion publique, la gravité des risques liés aux ateliers industriels en milieu urbain. Le bilan est lourd : 8 morts, 14 blessés et des dégâts matériels considérables.

Moins d’une semaine après, la sanction est tombée: trois personnes ont été placées en détention préventive en attendant les résultats complets de l’enquête. Elles sont poursuivies pour délit d’«exploitation d’une structure sans autorisation», en vertu des articles 19 et 102 de la loi du 19 juillet 2003 sur la protection de l’environnement.

Un schéma classique
Ce n’est pas le premier incident du genre, il y en a eu d’autres, dans un «format» similaire, notamment à Cheraga (chaises et produits cosmétiques) et à Baraki (laiterie), dans la banlieue d’Alger; à Beni Tamou (emballage plastique) et Chebli (recyclage de plastique), dans la wilaya de Blida ; à Oran (dépôt de pneus) ; à Maghnia (pesticides), dans la wilaya de Tlemcen.
En fait, c’est le schéma classique, courant en Algérie, des constructions en R+3 ou R+4 jusqu’à R+5 dont le rez-de-chaussée est systématiquement consacré à une activité économique qui peut comporter de sérieux dangers pour les riverains.
Des unités de production ou de services sont ainsi disséminées dans les quartiers et cités d’habitations, et développent, même si c’est à petite échelle, des activités qui utilisent des matières chimiques dangereuses, pouvant provoquer des incendies, des explosions ou la propagation de produits toxiques dans l’environnement. En général, l’incident fatal a pour causes l’absence de plan de prévention des risques et le non-respect des normes de sécurité.

Des projets sans autorisation?
A Ain Oulmène, les investisseurs en infraction ont estimé que, pour entreposer des matières inflammables et utiliser des produits explosifs dans leurs activités, ils pouvaient se passer d’autorisation, perçue sans doute comme un obstacle à leur course au profit. A ce propos, dans un entretien à la radio algérienne, au début de cette année, le principal dirigeant d’une organisation patronale a suggéré d’«enlever tous types d’autorisations dans le processus de création de richesses et laisser le contrôle une fois le projet réalisé». Or, la loi du 19 juillet 2003 impose comme préalable à toute activité économique, une autorisation. Dans le cas des installations polluantes ou dangereuses, l’autorisation dépend d’une étude d’impact sur l’environnement et d’une étude de danger.
Mais, la loi n’est pas toujours respectée et ceux qui demandent son application sont mal vus. Ils peuvent même être accusés de gêner le «climat des affaires», alors qu’il faut sans cesse l’améliorer, c’est-à-dire le libérer de certaines obligations légales, notamment en fermant les yeux sur le droit du travail et le droit de l’environnement, vus comme des contraintes, voire des freins à l’investissement.

Des lois sous-estimées
Il faut noter que dans la vie courante, des lois, comme celle sur l’environnement, ou le code de la route dans ses dispositions relatives à l’environnement (émissions de fumées et bruit), sont sous-estimées, et leur application «modulée» selon des critères «informels», d’où, aussi bien la recrudescence des accidents de la route que les incendies et explosions dans des locaux abritant des activités économiques plus ou moins dangereuses. «Cas exemplaire: en 1996, à Ain Chorb (ex-Surcouf), sur la côte près d’Ain Taya, à l’Est d’Alger, un particulier a construit au milieu d’habitations, en dépit de la raison et de la réglementation et sans l’enquête de «commodo et incommodo» préalable, un atelier de soudure, bruyant et utilisant des gaz industriels, puis a rajouté dessus une habitation, le tout reposant sur le réseau d’assainissement.
Quelle réglementation a pu autoriser une telle construction pleine de dangers et de nuisances pour les riverains et en violation des servitudes liées au champ de vision des voisins immédiats et à leur cadre de vie ? Les services concernés ferment les yeux sur ces pratiques quand ils ne délivrent pas eux-mêmes des autorisations de complaisance illégales ». (Extrait de L’écologie oubliée, M’hamed Rebah, Ed. Marinoor Alger 1999). En 2022, le phénomène de l’urbanisation sauvage n’a pas disparu. C’est ce que rapporte le correspondant à Tiaret du Quotidien d’Oran (8 février 2022). «L’anarchie urbanistique continue dans la capitale du Sersou, surtout dans la partie orientale de la ville qui vit une extension non contrôlée», écrit-il.
Il cite de nombreux lotissements qui «connaissent des excroissances architecturales hideuses en violation flagrante des normes et règles d’urbanisme» et, précisément, «le cas de cette cité où des individus qui ont bénéficié de lots de terrain pour construire une habitation individuelle l’ont transformée en un grand immeuble avec des appartements à louer ou à vendre, au mépris total de la réglementation et des outils de l’urbanisme ». Selon le journaliste du Quotidien d’Oran, «des habitants exigent une commission d’enquête pour faire toute la lumière sur les manquements au permis de construire initial et aux règles de l’urbanisme violées dans une impunité totale». On peut trouver des ateliers utilisant des gaz industriels installés dans des zones résidentielles, sous les habitations. Vu la taille de leurs activités, les investisseurs concernés économisent sur les mesures de sécurité pour maximiser les profits. On peut également trouver, du fait de l’urbanisation sauvage, des constructions d’habitations sans le respect des distances de sécurité par rapport aux installations dangereuses.
La prévention impose d’opérer une stricte séparation entre les lieux d’habitation et les activités polluantes et dangereuses, a fortiori les zones à risques technologiques, en intervenant de manière ferme dans l’urbanisation.

Le rôle du citoyen
L’Algérie est dotée, depuis fin 2005, d’une loi sur la prévention et la gestion des risques majeurs. Parmi les dix risques majeurs recensés par la loi figure le risque lié aux activités industrielles. Il concerne les dangers auxquels sont exposés les travailleurs, la population riveraine et l’environnement. Le système de maîtrise et de gestion des risques institué par la loi repose sur deux fondements : la surveillance des installations dangereuses, tant par l’exploitant que par les pouvoirs publics locaux, et le principe de précaution à travers l’étude d’impact sur l’environnement, l’étude de danger, l’autorisation d’exploitation, le plan d’opération interne et le plan particulier d’intervention.
Dans ce dispositif, la participation des citoyens est essentielle, surtout quand il s’agit de risques industriels et technologiques. Dans plusieurs cas d’incidents provoqués dans des unités de production relevant de la petite et moyenne entreprise, l’alerte a été donnée à la Protection civile par les riverains qui contribuent souvent à limiter les dégâts en prenant part aux opérations des secours. La loi institue l’enseignement des risques majeurs dans tous les cycles.
Elle impose également une formation aux personnels spécialisés qui interviennent dans ce domaine, notamment les agents de sécurité. En décembre 2012, un incendie dans des locaux de la Grande-Poste, en plein centre d’Alger, n’a pas fait de victimes mais a entraîné des perturbations sur les réseaux de télécommunications qui ont duré très longtemps. A l’époque, la rumeur a imputé la cause de cet incident à la négligence d’agents de sécurité, ce qui est rendu très plausible par le fait que le poste sensible d’agent de sécurité est souvent assimilé à celui de planton.
De plus, certains chefs ayant tendance à être complaisants à l’égard de leurs subalternes, pour ne pas s’attirer d’inimitiés et, plus grave, des ennuis, on peut constater, chez les agents de sécurité, des abandons de poste, durant les heures de travail, pour diverses raisons.

Le laxisme interdit
En 2016, un début d’incendie a failli embraser les locaux de l’Académie d’Alger (à Alger-Centre). Ce cas a certainement donné à réfléchir aux responsables qui ont en charge la gestion des risques majeurs dans notre pays et en particulier dans la capitale. Rappel : selon les indications données à l’époque, l’incendie était due à l’ignorance d’agents communaux, visiblement non ou mal encadrés, qui ont cru bon de se débarrasser de branches d’arbres issus d’une opération d’élagage, en y mettant le feu à proximité du bâtiment de l’Académie d’Alger. Ils ne savaient pas qu’il est interdit de mettre le feu à quoi que ce soit sur la voie publique sans l’autorisation dûment délivrée par une commission de wilaya, qui statue sur les demandes d’incinération et qui fixe, le cas échéant, les conditions dans lesquelles elle peut avoir lieu.
La même année, 2016, le feu s’est déclaré dans une discothèque au Centre des Arts de Maqam Ecchahid, Ryadh El Feth (Alger), par chance non fréquenté à ce moment, mais qui a tout de même fait des victimes. Peu avant, c’était à Blida, dans un centre commercial qu’un incendie s’est produit, faisant là aussi des victimes dont des agents de la Protection civile.
L’intervention rapide et efficace des éléments de la Protection civile et la mobilisation avec les moyens et les équipements nécessaires permettent généralement de limiter les dégâts et surtout de protéger les habitations proches.
Les établissements qui abritent des activités économiques sont tenus, selon le cadre juridique en vigueur en Algérie, d’avoir un plan de sécurité interne. C’est l’élément central de la politique de prévention. Il est destiné à éviter, sinon à réduire les impacts d’incidents s’ils surviennent. Dans ce domaine, le respect des dispositions réglementaires n’admet pas le laxisme et encore moins l’ignorance.
M’hamed Rebah