Enjeux géostratégiques du gazoduc Nigeria–Europe et leurs impacts sur la future politique énergétique de l’Algérie

Tensions en Ukraine

Les tensions géostratégiques en Ukraine avec la baisse des stocks américains et européens, la baisse du cours du dollar par rapport à l’euro (1,14), ont fait que le cours du baril a été coté en fin de journée du 11-2-2022 à 94,77 dollars le Brent et 93,55 dollars le Wit avec un cours pour le gaz, en Europe, supérieur à 20 dollars le MBTU et plus de 30 dollars en Asie. Car selon les données d’Eurostat pour 2020, 46,8% des importations européennes de gaz naturel proviennent de la Russie, premier réservoir mondial, la dépendance étant très hétérogène selon les pays, par exemple, la Lettonie (100%), la Finlande (98%), l’Allemagne (66%), la Pologne (55%), la France, seulement 20% du gaz du fait du nucléaire.Comme je viens de le souligner dans une interview à Radio Algérie internationale le 9 février 2022, il faudra bien poser la problématique pour ne pas renouveler les erreurs du passé n’existant pas de sentiments dans la pratique des affaires et d’une manière générale : le gazoduc Nigeria/Europe via l’Algérie toujours en gestation d’une capacité de 33,5 milliards de mètres cubes gazeux, dont la réalisation demandera au minimum 5/7 ans, pourrait-il atténuer cette dépendance vis-à-vis de la Russie ? C’est dans ce cadre que lors d’une rencontre par visioconférence le 8 février 2022, entre le ministre algérien de l’Énergie et des Mines et le ministre d’État nigérian aux ressources pétrolières il a été encore une fois de la construction du fameux gazoduc Nigeria–Algérie reliant les deux pays africains, en plus du Niger, au continent européen.

1.-Combien de promesses depuis 10 ans reproduites dans les agences officielles où des ministres annonçaient le démarrage du projet du fer de Gara Djebilet, du phosphate de Tébessa, ces deux projets selon les estimations du ministre de l’Industrie fin 2020 étant évaluées à plus de 15/17 milliards de dollars du projet du port de Cherchell évalué entre 5/6 milliards de dollars, du lancement d’usines de voitures et en ce mois de février 2022 encore des promesses et non des réalisations ce qui a poussé le président de la République de la république à dénoncer le blocage de bon nombre de projets. Si la réalisation de tous ces projets commencent en 2022, il faudra attendre entre 5/7 ans pour leur rentabilité réelle.
Le ministre de l’Industrie nous annonce début février 2022, la dynamisation de certaines unités existantes. Mais il faudra un bilan en balance devises et en création de richesses internes, afin
d’éviter de renflouer des unités structurellement déficitaires, non créatrices de valeur ajoutée interne, lorsqu’on sait que l’assainissement des entreprises publiques a coûté au trésor public selon le rapport du premier ministère (source APS 2020) durant ces trente dernières années plus de 250 milliards de dollars, des réévaluations de plus de 65 milliards de dollars durant les dix dernières années où plus de 80% de ces entreprises sont revenues à la case de départ. Que l’on évite une fois pour toutes, induisant en erreur tant les plus hautes autorités du pays que la population des effets d’annonce non concrétisés qui ont pour effet de démobiliser la population, accroissant le divorce Etat-citoyens et aujourd’hui, du fait des tensions entre les USA/Europe et la Russie concernant le dossier de l’Ukraine ( voir mebtoul janvier/février 2022 www.google comme par enchantement, face à la flambée du prix du gaz, qui connaît avec le coût du transport, en Asie un cours dépassant les 30 dollars le MBTU, l’équivalent de 150 dollars le baril de pétrole, et entre 15/ 20 dollars en Europe, beaucoup de déclarations et supputations, sans analyses sérieuses, promettant une pluie de dollars à court terme concernant le gazoduc Nigeria -Algérie, projet qui date depuis plus de 10 ans. C’est que le secteur de l’énergie au Nigeria, comme en Algérie, est marqué par le poids dominant de l’industrie pétrolière et gazière procurant 75% des recettes du budget national et 95% des revenus d’exportation et les réserves prouvées de gaz naturel sont estimées à 5 300 milliards de mètres cubes gazeux. Comme le démontre une importante étude de l’Iris du 19 août 2021, le gazoduc reliant le Nigeria à l’Europe est l’objet d’enjeux géostratégiques importants pour la région, un tel projet placerait la région comme un nouveau pôle d’approvisionnement pour l’Europe face à la Russie.
Le gazoduc Nigeria –Algérie est d’une longueur du gazoduc transsaharien de 4 128 kilomètres et sa capacité annuelle de trente milliards de mètres cubes devant partir de Warri au Nigeria pour aboutir à Hassi R’Mel en passant par le Niger. Le 21 septembre 2021 le ministre nigérian de l’Energie a déclaré dans une interview accordée à la chaîne de télévision Cnbc Arabia que son pays est intéressé par ce projet.
Pour l’Algérie, ce gazoduc est important afin de pouvoir honorer ses engagements internationaux en matière d’exportation de gaz à partir des réserves de gaz traditionnel pour l’Algérie, l’exploitation du gaz de schiste troisième réservoir mondial 19800 milliards de mètres cubes gazeux, selon un rapport US, n’étant pas pour demain.
Selon les données du ministre de l’Energie en décembre 2020 reprises par l’APS, les réserves de pétrole sont de 10 milliards de barils et celles du gaz de 2500 milliards de mètres cubes (les données de 4500 étant celles de BP de l’année 2000, non réactualisées).
Selon les données du ministère de l’Energie en décembre 2020, nous assistons à une baisse des exportations étant passées de 62/65 milliards de mètres cubes gazeux à 51,5 en 2018, 43 en 2019, 41 en 2020, un niveau de 43/44 pour 2021.
Pour maintenir ses capacités d’exportation, l’Algérie doit s’orienter vers les énergies renouvelables, avoir une nouvelle politique d’efficacité énergétique, revoir sa politique de subventions et avoir des accords de partenariat d’exploitation à l’extérieur du pays expliquant l’intérêt porté à ce projet.

2.-La rentabilité du projet Nigeria Algérie, suppose six conditions.
Premièrement, la mobilisation du financement, alors que les réserves de change sont à un niveau faible selon le FMI, tant pour le Nigeria 40,52 milliards de dollars fin 2021 que pour l’Algérie 44 milliards de dollars pour une population respectivement au 01 janvier 2022 de 213 et pour l’Algérie 45 millions d’ habitants. Le gazoduc Nigeria –Algérie avec un coût évalué au départ à 5 milliards de dollars, en 2020, a été évalué par les experts de Bruxelles entre 19/ 20 milliards de dollars, et si les travaux commencent en 2022 pas moins de 5 à 7 années et dont la rentabilité pas avant l’horizon 2027-2030 (voir notre interview à Radio Algérie Internationale 9 février 2022).
Deuxièmement, il faudra donc impliquer des groupes financiers internationaux et les discussions doivent être entre l’Europe, le Nigeria et l’Algérie et sans l’accord de l’Europe principal client et son apport financier il sera difficile, voire impossible de lancer ce projet Troisièmement, de l’évolution du prix de cession du gaz et se pose cette question, la flambée actuelle du prix du gaz est-elle conjoncturelle ou structurelle car la faisabilité du projet implique la détermination du seuil de rentabilité fonction de la concurrence d’autres producteurs, du coût et de l’évolution du prix du gaz. D’où l’importance de la prise en compte de la transition énergétique, énergies renouvelables entre 2022/2030 dont le parc de voitures sera en Europe à 50% électrique en 2030 et avec la percée de l’hydrogène comme source d’énergie entre 2030/2040.
Quatrièmement, la sécurité et des accords avec certains pays, le projet traversant plusieurs zones instables et qui mettent en péril sa fiabilité notamment les groupes de militants armés du Delta du Niger donc évaluer les risques d’ordre économique, politique, juridique et sécuritaire.
Cinquièmement, tenir compte de la concurrence internationale qui influe sur la rentabilité de ce projet.
Les réserves avec de bas coûts, sont de 45 000 pour la Russie, 30 000 pour l’Iran et plus de 15 000 pour le Qatar sans compter l’entrée du Mozambique en Afrique (4500 de réserves) et de la Libye ( 1500 milliards de mètres cubes gazeux exploité à peine à 10% misant sur le pétrole 42 milliards de barils de réserves d’où les convoitises déstabilisant ce pays. Le plus grand concurrent de l’Algérie sera la Russie, avec des coûts bas où la capacité du South Stream de 63 milliards de mètres cubes gazeux, du North Stream 1 de 55 et du North Stream 2 de 55 milliards de mètres cubes gazeux, ce dernier d’un coût de 11 milliards de dollars étant bloqué actuellement, soit au total 173 milliards de mètres cubes gazeux en direction de l’Europe (Conférence/débats du Pr Abderrahmane Mebtoul, à l’invitation de la Fondation allemande Friedrich Ebert et de l’Union européenne 31 mars 2021). Sixièmement et c’est l’essentiel, le pouvoir nigérien doit éclairer une fois pour toute ses intentions, soit l’Algérie, soit le Maroc. C’est que puisque le Nigeria outre les accords d’intentions avec l’Algérie a conclu des accords également avec le Maroc pour le gazoduc en mai 2017, une étude de faisabilité terminée en Juillet 2018 ainsi qu’une pré-étude des détails (FEED) réalisée au 1er trimestre 2019 et récemment le 19 décembre 2021, la Banque islamique de développement (BIsD) dont le siège est en Arabie saoudite a apporté son appui financier autour de l’étude de ce projet. Ce gazoduc a pour but de connecter les ressources gazières nigérianes à différents pays africains, existant déjà deux gazoducs dans la zone Afrique du Nord-Ouest, le «West African Gas Pipeline», qui relie le Nigéria au Ghana, en passant par le Bénin et le Togo, et le gazoduc Maghreb-Europe dont l’Algérie a décidé d’abandonner depuis fin 2021, qui relie l’Algérie à l’Europe via l’Espagne (Cordoue) en passant par le Détroit de Gibraltar et le Maroc. Le coût est estimé par l’IRIS à 25 milliards de dollars, dont la durée de réalisation est de 8 ans. Ce gazoduc devrait mesurer environ 5 660 kilomètres de long, longeant la côte Ouest Africaine en traversant ainsi 14 pays : Nigeria, Bénin, Togo, Ghana, Côte d’Ivoire, Liberia, Sierra Leone, les trois Guinée, la Gambie, le Sénégal, la Mauritanie et le Maroc le Sénégal et la Mauritanie, ayant signé un accord en décembre 2018 afin d’exploiter en commun le champ gazier Tortue-Ahmeyim.

(Suivre)
Dr Abderrahmane Mebtoul
Professeur des universités
Expert international