Quelques recommandations contre le crime économique organisé

Sphère informelle, évasion fiscale, trafics aux frontières, fuite des capitaux et corruption

Synthèse de l’intervention lors du séminaire sur le crime économique organisé par le ministère de la Défense nationale/haut commandement de la Gendarmerie nationale le 23 février 2022 du professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul, haut magistrat (Premier conseiller) et directeur général des études économiques à la Cour des comptes 1980/1983.En synthèse, le rapport donne les scores de résilience avec une moyenne de décomposée comme suit : leadership politique et gouvernance :- Chine –USA- France- Italie : 6,0-6,5- 6,0- 6,5-transparence et responsabilité gouvernementale :- Chine –USA – France – Italie : 4,0-6,5- 7,0 – 5,0-coopération internationale :Chine – USA – France – Italie : 6,0- 8,0- 8,5- 8,5 -politique et législation nationale :- Chine – USA – France – Italie : 7,0- 7,0- 7,5- 8,0 -système judiciaire et détention :- Chine –USA – France- Italie : 5,0 6,0- 6,5- 5,0-force de l’ordre : Chine- USA – France – Italie 5,5- 7,5- 7,0- 7,5-Intégrité territoriale :- Chine – USA –France- Italie : 7,0- 6,5- 5,0- 6,5-lutte contre le blanchiment d’argent :- Chine – USA – France- Italie : 6,0-6,5- 8,0- 5,5-capacité de réglementation économique :- Chine – USA –France- Italie : 7,0-8,0- 8,0- 5,0- soutien aux victimes et aux témoins- Chine – USA France – Italie : 4,0-7,0- 5,0- 5,5-préventions : Chine, USA : France : 6,0-6,5- 6,0- 5,5-acteurs non étatiques : USA- Chine – France –Italie : 6,5-7,5- 7,0 -7,0.
Cette enquête internationale arrive à six conclusions : 1re conclusion, plus des trois quarts de la population mondiale vivent dans des pays où le taux de criminalité est élevé, ou dans des pays où le niveau de résilience face au crime organisé est faible ; 2e conclusion, de tous les continents, c’est l’Asie qui enregistre les niveaux de criminalité les plus élevés ; 3e conclusion, la traite des personnes est le marché criminel le plus répandu au monde ; 4e conclusion, les démocraties présentent des niveaux de résilience face à la criminalité plus élevés ; 5e conclusion, les acteurs étatiques constituent les principaux facilitateurs de ces pratiques occultes et obstacles à la résidence face au crime organisé (dont octroi opaque de marchés publics). 6e conclusion, de nombreux pays en conflit et États fragiles sont très vulnérables face au crime.
Quelles sont les différentes composantes du crime économique organisé existant bon nombre d’activités dont on peut dire qu’elles relèvent de la criminalité transnationale organisée, qu’il s’agisse du trafic de drogue, du trafic de migrants, de la traite d’êtres humains, du blanchiment d’argent, du trafic d’armes à feu, du trafic de produits contrefaits, du trafic d’espèces sauvages, du trafic de biens culturels, voire de certains aspects de la cybercriminalité. Premièrement, nous avons le trafic d’armes.
Le marché «noir» des armes et de leurs munitions, issu nécessairement du marché «blanc» puisque, rappelons-le, chaque arme est fabriquée dans une usine légale, une thématique qui permet de comprendre les volontés de puissance des divers acteurs géopolitiques à travers le monde. Tandis que le trafic de drogues est réprimé internationalement, le trafic d’armes est réglé par les Etats qui en font leurs bénéfices. La vente d’armes s’effectue régulièrement entre plusieurs partenaires privés et publics. Selon l’ONU, sur la base des données de l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime (ONUDC) le marché international du trafic d’armes est estimé à plus de 1 200 milliards de dollars par an.
Deuxièmement, nous avons le trafic de drogue. Avec un chiffre d’affaires estimé entre 300 et 500 milliards de dollars, le trafic de drogue est devenu le deuxième marché économique au monde, juste derrière le trafic d’armes. Si les trafiquants de drogues étaient un pays, leur PIB les classait au 21e rang mondial, juste derrière la Suède. Malgré la répression, l’ONU estime que seuls 42% de la production mondiale de cocaïne sont saisis (23% de celle d’héroïne). Selon New Frontier Data, l’autorité en matière d’analyse de données et de veille stratégique sur l’industrie mondiale du cannabis qui a publié un rapport mondial sur le cannabis et les perspectives du secteur pour 2019, plus de 50 pays dans le monde ont légalisé une forme ou autre de cannabis à usage médical, tandis que six pays ont légalisé la consommation de cannabis pour adultes. Cette évolution sociale et culturelle a créé un marché mondial ayant un potentiel énorme pour les parties prenantes de douzaines de secteurs au-delà des secteurs verticaux traditionnels qui touchent aux plantes.
La société estime le marché potentiel mondial du cannabis (réglementé et illicite) à 344 milliards de dollars américains et identifie les cinq principaux marchés régionaux comme étant l’Asie (132,9 milliards de dollars américains), l’Amérique du Nord (85,6 milliards de dollars américains), l’Europe (68,5 de dollars américains), l’Afrique (37,3 milliards de dollars américains) et l’Amérique latine (9,8 milliards de dollars américains).
Troisièmement, nous avons la traite des êtres humains. C’est une activité criminelle internationale dans laquelle des hommes, des femmes et des enfants sont soumis à l’exploitation sexuelle ainsi que le trafic d’immigrants le Gafi (Groupe d’action financière international) en 2019 révèle dans une étude que les profits liés à la traite humaine s’élèveraient à 150 milliards de dollars, chiffre multiplié par six en l’espace de 5 ans.
Quatrièmement, nous avons le trafic de ressources naturelles qui inclut la contrebande de matières premières telles que diamants et métaux rares (provenant souvent de zones de conflit) et la vente de médicaments frauduleux potentiellement mortelle pour les consommateurs. Selon Interpol, les revenus de la contrebande de matières premières dépassent les 300 milliards de dollars : environ 20 % pour le pétrole et 38 % des revenus.
Les mouvements terroristes consistent en un trafic de matières premières avant le trafic de drogue. Selon le Forum économique mondial, les médicaments contrefaits génèrent 120 à 160 milliards d’euros chaque année.
Cinquièmement, nous avons la cyber sécurité, un des enjeux majeurs pour la communauté internationale où récemment, les révélations d’espionnage du programme NS–Pegasus posent la problématique de la sécurité nationale et de la maîtrise des nouvelles technologies. Les pertes mondiales imputables aux attaques informatiques, bien que très difficiles à évaluer du fait de l’ampleur de l’économie du piratage, ont atteint les 1000 milliards de dollars en 2020, soit près de 1% du PIB mondial et uniquement pour l’Europe, le montant des préjudices causé par des cyber- attaques a atteint en 2020 un coût global de 750 milliards d’euros par an. Ces pertes proviennent du vol d’actifs monétaires et de propriété intellectuelle mais également de pertes cachées, souvent omises. Les motivations des pirates informatiques ont évolué : du piratage de logiciels de la part d’amateurs dont la motivation essentielle consistait à voler pour leur usage personnel, nous sommes passés à un piratage «professionnel» d’ordre économique (détournements d’argent) et piratage industriel, proche de l’espionnage Cependant les nouvelles technologies ne concernent pas seulement les écoutes. Les drones sans pilotes commencent à remplacer l’aviation militaire classique pouvant cibler avec précision tout adversaire à partir de centres informatiques sophistiqués à des milliers de kilomètres.
Les satellites remplissant l’atmosphère permettent d’espionner tout pays, de détecter le mouvement des troupes et la diffusion d’images de toute la planète. Le contrôle de l’information grâce à l’informatisation permet le développement des sites d’information, impliquant une adaptation des journaux papier, une nouvelle organisation des entreprises et administrations en réseaux, loin de l’organisation hiérarchique dépassée, l’interconnexion bancaire et éclectique, pouvant bloquer tout pays dans ses transactions financières et la panne des réseaux peut plonger tout pays dans les ténèbres. L’utilisation de Facebook et Twitter par la diffusion d’informations parfois non fondées où faute de transparence, la rumeur dévastatrice supplante l’information officielle déficiente. C’est dans ce cadre que s’impose la maîtrise de l’Intelligence économique dont sa gestion stratégique est devenue pour une Nation et l’entreprise l’un des moteurs essentiels de sa performance globale et de sa sécurité. Une Nation ou une entreprise sera meilleure que ses concurrents si elle possède, avant les autres, les bonnes informations au bon moment, qu’il s’agisse de connaissance des marchés, d’informations juridiques, technologiques, normatives ou autres, créant une asymétrie d’information à son avantage. D’où l’appui aux entreprises pour l’accès aux volumes importants d’informations sur le commerce international détenu par les départements et agences ministériels, les Services de renseignement et de contre-espionnage, mettant en place un service d’information économique au profit des entreprises engagées dans le commerce extérieur. Les interceptions de communications ont aussi évolué. Des écoutes téléphoniques nous sommes passés aux interceptions des messages électroniques. Lorsqu’un mail est envoyé de façon habituelle, il n’est pas crypté et peut transiter par une dizaine de proxys qui jalonnent le parcours vers sa destination.
Or, ces derniers conservent, pour des raisons techniques mais aussi légales, une copie des messages reçus. Les informations contenues dans le corps du message et dans les fichiers joints peuvent donc être lues par autant de responsables de proxies que nécessite le trajet. Les vols de documents ne se produisent pas seulement en accédant, à distance ou non, à un ordinateur ou un serveur, mais également de la façon la plus inattendue par les photocopieuses qui stockent les informations avant de les imprimer, les experts en informatique pouvant donc ensuite très facilement récupérer ces informations, d’autant plus que la plupart d’entre elles sont généralement connectées à un réseau, soit via un PC (imprimante partagée), soit grâce à une adresse IP propre. Compte tenu de cette situation, la Direction de la Cybercriminalité d’Interpol a élaboré en août 2020, un rapport d’évaluation mondial portant sur la cybercriminalité liée au Covid-19 en s’appuyant sur l’accès aux données de 194 pays membres et de partenaires privés afin de brossant un tableau complet de la cybercriminalité liée à la pandémie de Covid-19 : escroqueries en ligne et hameçonnage pour 59% ; logiciels malveillants pour 36% ; logiciels malveillants visant à obtenir des donnée ; domaines malveillants pour 21% ; désinformations et fausses informations, qui se répandent rapidement dans le public pour 14%.
Face à cette situation, quelle est la stratégie de l’Algérie ? Selon un rapport sur l’état des lieux de la justice fiscale, publié, récemment, par l’organisation non gouvernementale (ONG), Tax Justice Network, l’Algérie perd chaque année plus de 467 millions de dollars, (pour l’Afrique c’est environ 23,2 milliards de dollars/an), représentant 0,3% du produit intérieur brut (PIB) du fait des pratiques d’évasions fiscales internationales. Environ 413,75 millions de dollars relèvent d’abus transfrontaliers d’impôts sur les sociétés par les multinationales et 53,3 millions de dollars, en évasion fiscale, par des particuliers fortunés qui transfèrent leur argent à l’étranger. Il existe d’autres pratiques occultes à travers les surfacturations via les importations favorisées par la complicité d’opérateurs étrangers et la distorsion entre le taux de change officiel et celui du marché palpable, avec un écart dépassant les 50%. Ainsi les importations en devises de biens et services (pour les services les surfacturations sont plus faciles), ont approché les 1 000 milliards de dollars entre 2000/2020. Si j’applique un taux entre 10 et 15% les surfacturations pourraient représenter environ 100 à 150 milliards de dollars, soit trois fois les réserves de change estimées à 44 milliards de dollars fin mai 2021 (Préface au professeur Abderrahmane Mebtoul à l’ouvrage de l’expert international en fiscalité Mustapha Bensahli «la mise à niveau en fiscalité – Mythe ou réalité – Expérience algérienne» OPU Alger 2022.).
(A suivre)
Professeur des universités
Expert international
Dr Abderrahmane Mebtoul