Biden et l’« exportation » de la démocratie (II)

Russie-USA

En janvier 2021, la Maison-Blanche a changé de locataire dans une réelle cacophonie. Joseph Robinette Biden, Jr. a succédé à Donald John Trump après une campagne électorale et un scrutin qui resteront dans les annales de l’histoire des États-Unis. Outre les accusations de fraude clamées par le camp républicain et d’ingérence russe claironnées par celui des démocrates, ce qui a frappé les esprits c’est l’image de ces émeutiers trumpistes envahissant le Capitole.

Le troisième et probablement principal défenseur de cette politique de promotion de la démocratie « made in USA » était feu John Mc Cain, sénateur et président du conseil d’administration de l’IRI à l’époque. Pour lui :« Le travail que fait notre gouvernement pour promouvoir les valeurs démocratiques à l’étranger est au cœur de ce que nous sommes en tant que pays ».De son côté, Robert G. Berschinski, un haut responsable du Département d’État, donna des détails sur le rôle de la NED :
« La NED est l’un des principaux moyens par lesquels le gouvernement américain promeut les activités relatives aux droits de l’homme et à l’état de droit à l’étranger et une réduction comme celle-ci serait tout simplement dévastatrice ». Robert G. Berschinski a été sous-secrétaire d’État adjoint au Bureau de la démocratie, des droits de l’homme et du travail (DRL) du département d’État américain et a servi sous la direction de l’ambassadrice Samantha Power en tant que directeur adjoint de la mission américaine auprès du bureau de Washington des Nations Unies. Il a également été assistant spécial du sous-secrétaire à la Défense de l’époque, Ashton B. Carter, fournissant des conseils politiques sur les opérations, la gestion et le budget du ministère de la Défense. Signifiant leur rejet de la proposition de coupure de la NED, cinq sénateurs américains écrivirent une lettre à Mick Mulvaney, directeur du Bureau de la gestion et du budget. Il s’agit de John Mc Cain, Lindsey Graham, Marco Rubio, Todd Young et Dan Sullivan.Datée du 20 décembre 2017, cette lettre a été écrite pour :
« […] souligner l’importance du National Endowment for Democracy (NED) et des principaux instituts qu’il soutient, notamment l’International Republican Institute (IRI) et le National Democratic Institute (NDI), qui promeuvent les valeurs démocratiques et soutiennent les programmes de développement et de gouvernance à travers du monde »
Tout en précisant que « ces organisations sont cruciales pour notre sécurité nationale et aident à créer un monde plus démocratique et pacifique », les sénateurs demandèrent « de reconsidérer les réductions substantielles du budget de la NED, ce qui désactiverait effectivement le travail vital de l’IRI et du NDI ».Nous ne reviendrons pas sur le rôle de John Mc Cain dans les révolutions « colorées » et le printemps arabe puisque ce sujet a été longuement discuté dans d’autres articles.John Mc Cain visite les pays arabes « printanisés » (Tunisie, Égypte) ou en voie de « printanisation » (Libye et Syrie) : un simple contrôle de ses « investissements ».
Il faut cependant savoir que Lindsey Graham est un ami de longue date de Mc Cain et qu’il a été son compagnon dans ses pérégrinations moyen-orientales. Marco Rubio, quant à lui, est un des sénateurs américains les plus impliqués dans le soutien des activistes hongkongais, ce qui lui a valu de figurer dans la liste des personnalités américaines sanctionnées par le gouvernement chinois, en compagnie de Carl Gershman et du président de Freedom House, Michael Abramowitz.Tout comme Marco Rubio, le sénateur Todd Young est un faucon anti-chinois qui a affiché son appui à la dissidence hongkongaise. Quelques semaines avant son décès, John McCain recommanda le sénateur Dan Sullivan pour le remplacer à la tête de l’IRI. Sullivan fut élu comme président d’un nouveau conseil d’administration qui avait comme nouveaux membres aussi bien Lindsey Graham que Marco Rubio.
Pendant les quatre années de son mandat, Trump a inlassablement proposé des réductions drastiques du budget du Département d’État, de l’USAID et de la NED. Ses recommandations se sont toujours heurtées aux décisions du Congrès américain qui les a soit timidement suivies, soit rejetées.Dans certains cas, il les a même bonifiées au lieu de les réduire. Pour l’exercice 2020, par exemple, le président Trump a demandé une réduction de 63% du budget de la NED : de 180 millions à 67 millions de dollars. Cette année, le Congrès lui a au contraire octroyé 300 millions de dollars, soit près de 350% de plus que la demande de Trump! Ce même montant de 300 millions de dollars a été reconduit pour la NED dans l’exercice 2021.Au sujet de la vision de Trump en matière d’exportation de la démocratie, Larry Diamond, professeur à l’Université de Stanford, fit la déclaration suivante :« À cet égard, je pense que le président Trump a été différent de tous les présidents des deux partis des 40 dernières années ».

Biden : « Build Back Better »
Juste quelques mois après l’élection du président Joe Biden, on pouvait lire sur le site officiel de l’USAID :« La demande discrétionnaire du Président pour l’année fiscale (FY) 2022 pour le Département d’État et l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) représente un engagement historique envers la diplomatie et le développement. Après quatre ans de réductions proposées de l’aide étrangère dans les demandes budgétaires du président, la demande discrétionnaire propose l’engagement le plus solide de l’histoire de l’Agence pour renforcer l’aide au développement et l’aide humanitaire de l’USAID dans le monde ».
Cette demande discrétionnaire inclut, selon la rhétorique de l’administration Biden « une augmentation significative des ressources pour faire progresser les droits de l’homme et les valeurs démocratiques […] ».
Commentant le projet de budget 2022, le premier de Joe Biden, l’organisme POMED (Project on Middle East Democracy – Projet pour la démocratie au Moyen-Orient) a titré dans son rapport de septembre 2021 : « Back to the business as usual » (Retour aux affaires comme d’habitude). Pour information, POMED est aussi un organisme américain dédié à l’exportation de la démocratie, mais ciblant spécifiquement les pays de la zone MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord). Ce rapport nous apprend que le budget 2022 contient une demande de 300 millions de dollars pour la NED, montant identique à celui des deux années précédentes.
Cela n’est pas du tout étonnant puisque, déjà, dans sa campagne électorale de 2020, le candidat Biden avait promis qu’il ramènerait l’aide internationale au centre de sa politique étrangère avec des augmentations significatives des budgets du Département d’État et de l’USAID. Cela n’est pas sans nous rappeler Barack Obama – dont Joe Biden était vice-président (2009 – 2017) – qui avait fait des promesses similaires lors de sa première campagne présidentielle. Dans une interview accordée au Washington Post (mars 2008), il avait confié : « J’augmenterai considérablement le financement du National Endowment for Democracy (NED) et d’autres organisations non gouvernementales pour soutenir les activistes civiques dans les sociétés répressives ».Cette volonté du président Biden de « faire de la promotion de la démocratie un élément central de sa politique étrangère », en complète opposition avec l’héritage trumpien du « America First » est clairement visible dans la nomination de certaines personnes faisant partie de son administration. En voici quelques exemples.

Biden et ses nominations
Le 13 janvier 2021, soit sept jours avant son investiture comme président des États-Unis, Joe Biden nomma Samantha Power à la tête de l’USAID. Cette nomination fit les manchettes de toute la presse américaine, montrant non seulement l’importance du poste mais aussi celle de la personne choisie pour l’occuper.Après sa confirmation, Biden a déclaré que Samantha Power était désormais prête à faire en sorte que l’USAID soit un « pilier central » de la politique étrangère américaine.
Il faut reconnaître que Samantha Power n’est pas du tout une inconnue. Proche du Président Obama, elle a intégré son équipe en 2005, lors de sa campagne sénatoriale, puis en 2008 pour les élections présidentielles. Entre 2009 et 2013, elle a été conseillère de Barack Obama au sein du Conseil de sécurité nationale, puis fut nommée Ambassadrice des États-Unis auprès des Nations Unies, poste qu’elle occupa de 2013 à 2017. Parmi ses « faits d’armes », notons qu’elle a été en faveur de la guerre en Libye et qu’elle a soutenu les bombardements qui ont mené à la destruction du Yémen.
Victoria Nuland, la spécialiste de la distribution des petits pains (et des dollars) dans les rues de Kiev, a été nommé par Biden au poste de Sous-secrétaire d’État pour les Affaires politiques, soit le troisième poste le plus élevé au Département d’État.
Tout comme son conjoint Robert Kagan, Nuland est l’archétype de la politique néoconservatrice américaine de ces 30 dernières années.
De 2000 à 2003, elle a été représentante principale adjointe des États-Unis auprès de l’OTAN lorsque Bush a attaqué et envahi l’Afghanistan.
De 2003 à 2005, elle a été conseillère principale adjointe à la sécurité nationale auprès du vice-président Dick Cheney, sous la première administration Bush qui a détruit l’Irak sous les fausses accusations de possession d’armes de destruction massives. Son CV, publié sur le site du Département d’État, précise qu’elle était en charge de la « promotion de la démocratie et de la sécurité en Irak, en Afghanistan, en Ukraine, au Liban, et le Moyen-Orient élargi ».Il faut reconnaitre que nous avons actuellement une très belle idée de la « démocratie » défendue par Nuland et consorts !
Elle retourna à l’OTAN pour occuper, de 2005 à 2008, le prestigieux poste de 18e représentante permanente des États-Unis auprès cette organisation.Sous Obama, elle fut nommée Porte-parole du Département d’État, fonction qu’elle occupa de 2011 à 2013 avant d’être promue en qualité de Secrétaire d’État adjointe pour l’Europe et l’Eurasie (2013-2017). C’est à cette période qu’elle a développé des compétences dans la distribution de « friandises » aux « gentils » petits émeutiers néonazis de la place Maïdan.
Ainsi, la « neocon » Nuland a été une actrice principale du violent coup d’État, en 2014, qui a contraint à l’exil Viktor Lanoukovytch, le président ukrainien démocratiquement élu.Et ce n’est pas tout : de par sa fonction, elle a été partie prenante du gouvernement américain dans la ruine de la Libye et de la Syrie.Sans oublier que Nuland a été membre de conseil d’administration de la NED.
Ahmed Bensaada
A suivre …