Le monde pris dans le piège de sa dépendance au blé russe

L’Algérie obligée de trouver de nouveaux marchés pour acheter son blé

La flambée des cours du blé à l’international et l’éventuelle rupture brutale et totale de l’approvisionnement du marché mondial en blé russe et ukrainien auront des répercussions sensibles et durables sur la sécurité alimentaire, prédisent des économistes et activistes humanitaires. C’est l’autre risque collatéral de cette crise géopolitique qui dure depuis des jours. En effet, depuis l’annonce d’un éventuel embargo sur le blé russe et la limitation par les autorités ukrainiennes de leurs exportations de cette matière essentielle à l’alimentation d’un individu sur trois, les organisations humanitaires et même des experts tirent la sonnette d’alarme sur le risque d’une grave crise alimentaire, alors que plus de 815 millions de gens n’arrivent déjà pas à manger à leur faim. Aucun gouvernement ne peut désormais contenir ou absorber le choc successif d’une crise sanitaire (Covid-19) et géopolitique aiguë qui s’installe dans la durée. Les pays de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient et de l’Europe de l’Est ne pourront plus acheter le blé russe en raison des sanctions financières et économiques sévères imposées par l’Occident et les Etats-Unis contre la Russie.
La guerre en Ukraine rebat les cartes des échanges des matières premières et affole les investisseurs, agriculteurs, gouvernements et consommateurs. L’inflation et le risque de pénuries des produits de large consommation commencent à attirer l’attention des populations. L’Algérie, l’Egypte, le Liban qui importent une partie importante de leurs besoins de blé de la Russie devraient désormais réfléchir à d’autres solutions et s’orienter vers de nouveaux marchés, d’une part. D’autre part, miser sur le développement agricole local pour réduire les importations des céréales et encourager la diversification de leur production agricole. Une solution de long terme.
Cependant, dans l’immédiat, les Etats sont tenus de chercher des alternatives au blé russe et ukrainien et d’amortir le choc de l’inflation qui s’accélère, sans même prendre en compte les effets de la guerre en Ukraine. L’envolée des prix touche tous les produits agricoles ukrainiens soumis à des autorisations ou quotas pour être exportés. Le blé, les œufs, le sucre, l’huile et la volaille sont aussi concernés par cette décision, ce qui a propulsé les prix des denrées alimentaires dans plusieurs pays voisins de ce pays en guerre depuis presque deux semaines.
Les prix risquent de grimper dans les prochains jours et semaines, si la Russie arrête totalement ses exportations vers l’Europe qui arrivent, malgré les difficultés d’accéder au marché russe à s’approvisionner en blé russe, selon les médias étrangers. De plus, d’autres pays producteurs de céréales, comme l’Argentine et la Bulgarie, ont décidé, la semaine dernière, de «réguler les prix des céréales afin de contrer l’inflation sur leur marché intérieur», ce qui impacterait le volume des exportations et ferait grimper les prix dans un marché très volatile et inquiétant.
L’Algérie face au défi
de la résilience alimentaire
La question de la souveraineté alimentaire revient en force depuis le lancement de l’offensive russe en Ukraine qui a démontré l’ampleur de la dépendance des pays de l’Afrique du Nord aux importations étrangères. L’Algérie figure parmi ces pays qui dépendent à plus de 90% des importations de blé. Avec l’impossibilité d’importer le blé russe, les autorités algériennes cherchent de nouveaux marchés pour s’approvisionner en blé et anticiper toute éventuelle pénurie après l’expiration de ses stocks d’ici la fin de l’année.
Des médias évoquent le retour de l’Algérie à l’origine française pour couvrir ses besoins en la matière, toutefois, la facture risque d’être très salée. Les cours du blé tendre ont grimpé à plus de 350 dollars la tonne tandis que ceux du blé dur ont dépassé les 450 dollars la tonne, ceci pourrait se répercuter sur les prix des pâtes alimentaires, du pain et de la farine. Des hausses qui s’inscrivent dans une évolution linéaire constatée tout au long de l’année 2021 et 2020, à cause de la crise sanitaire.
Cette dernière a provoqué l’inflation sur le marché et une dépréciation de la monnaie nationale. La situation instable du marché des matières premières menace la croissance économique du pays ainsi que les poches du consommateur qui devra dépenser plus pour se nourrir. Depuis 2020, l’Etat essaie de mettre en place un système agricole plus inclusif et durable pour répondre aux besoins du marché local. Dans sa nouvelle stratégie, le ministère de l’Agriculture et du Développement rural mise sur le développement de la filière céréalière. Le pays prévoit une collecte entre «2021/2022 de 27 et 30 millions de quintaux, ce qui permettra à l’Algérie de réduire ses importations céréalières de 25%», a indiqué le ministre de tutelle dans une déclaration à la presse, quelques mois plus tôt.
Le secteur qui a bénéficié d’un budget de 253,44 milliards de dinars en 2022 prévoit de consacrer «70% des financements aux micro entreprises pour développer le secteur agricole» et encourager, par conséquent, l’exploitation des terres agricoles récupérées (750.000 hectares de terres agricoles sur une superficie totale de 2.750.000 hectares, dans le cadre du programme de mise en valeur des terres).
De nouvelles mesures sont, également, prises par les autorités en vue d’«assurer la réussite du programme d’irrigation d’appoint.
Ces mesures s’inscrivent dans sa nouvelle stratégie de développement d’un secteur agricole inclusif et durable. Le chemin à parcourir est très long pour atteindre un niveau de croissance résilient de ce secteur. Toutefois, l’Etat ne devrait pas se détourner de cet objectif, malgré la crise géopolitique actuelle qui met en péril la sécurité alimentaire du monde entier.
Samira Takharboucht