«Apolitique», l’Opep+ privilégie avant tout ses intérêts

Attachée à son accord avec la Russie malgré les pressions de l’Occident

­Les treize pays membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) et leurs dix alliés hors Opep chapeautés par l’Arabie saoudite et la Russie, se réunissent aujourd’hui, en pleine envolée des cours de l’or noir pour discuter de leur nouvelle politique d’approvisionnement pour le mois de mai prochain. Leur stratégie ne devrait, toutefois, pas changer ou différer de leurs objectifs initiaux fixés au mois de juillet 2021, malgré les appels des pays du G7 des pays producteurs des hydrocarbures à augmenter leurs livraisons pour dissiper la fébrilité des marchés du pétrole et du gaz. Le cartel élargi, Opep+, reste indifférent face aux appels des Occidentaux, réaffirmant l’attachement de tous les pays signataires de la Déclaration de coopération en 2016 à l’accord Opep+ signé avec la Russie et validé par les autres partenaires.
Les 23 alliés sont plus que jamais soudés face à la guerre en Ukraine et refusent fermement de renoncer à leur stratégie de production approuvée en juillet 2021, évoquant la culture « apolitique» de l’Opep. Une solidarité qui déplaît aux Etats-Unis et aux Européens qui tentent depuis des semaines de faire pression sur les pays producteurs de pétrole du Golfe (Arabie saoudite, Emirats Arabes Unis, le Koweit) ainsi que sur les pays de l’Afrique du Nord (Algérie) pour revoir leur niveau de production afin de calmer la flambée des cours du pétrole et soutenir le marché de l’énergie européen, en souffrance. Ce qui ne semble pas figurer parmi les priorités du cartel qui préfère rester prudent et maintenir ses objectifs déjà existants visant à stabiliser le marché pétrolier qui fait face depuis des années à d’importants problèmes structurels.
L’objectif de l’Alliance scellée en 2016 entre l’Arabie saoudite et la Russie est de limiter la production à 32 mbj et absorber le surplus du brut de pétrole qui a fait plonger les cours de l’or noir à 10 dollars. Une expérience périlleuse que les pays producteurs de pétrole refusent de revivre. Ce qui est légitime.
Lors du Sommet mondial des gouvernements à Dubaï, un forum sur la gouvernance mondiale, le ministre de l’Energie saoudien, Abdelaziz ben Salmane, a déclaré qu’»à l’Opep+, les discussions politiques restent sur le pas de la porte», réaffirmant ainsi l’attachement de son pays à l’accord Opep+ signé avec la Russie.
«La Russie produit 10% de la consommation mondiale de pétrole, et sa contribution est donc considérable», a-t-il souligné, assurant que « les prix du pétrole seraient plus volatiles si l’Opep+ n’existait pas». Ryad rejette ainsi de libérer les quotas de production du cartel pour freiner la volatilité des prix de l’or noir qui ont dépassé les 114 dollars, influencés par les annonces sceptiques de la Russie quant à la réduction de ses opérations militaires en Ukraine.
Une position unanime qu’ont aussi adoptée les autres pays membres du groupe informel Opep+, les Emirats Arabes Unis, l’Algérie, le Nigeria, le Venezuela, récemment sollicité par les Etats-Unis pour augmenter ses niveaux de production. De même pour l’Algérie qui a vu sa production grimper à un million b/j suite à la décision commune des pays Opep+, le 2 mars en cours, d’augmenter leur volume de production de 400.000 b/j. Un niveau de production que les pays membres de l’Opep+ ne peuvent atteindre sans la contribution de la Russie, selon le ministre de l’Energie émirati, Souhaïl el-Mazroui qui estimant que «l’organisation pétrolière ne peut pas être contrainte d’expulser certains de ses partenaires, car cela entraînerait une hausse des cours du pétrole».
Les Etats-Unis et les Européens souhaitent l’expulsion de la Russie de l’Alliance des pays producteurs de pétrole pour l’isoler totalement du reste du monde. Ce qui n’est pas de l’avis de ses alliés, producteurs de pétrole, qui mettent déjà en garde contre un embargo sur le pétrole et gaz russe qui fera sombrer le marché mondial de l’énergie. L’Europe est divisée sur la question et craint un choc pétrolier similaire à celui de 1973. Certes, un choc de demande présage des prix encore plus élevés, mais provoquera l’effondrement structurel du marché, encore fragile en raison de la crise sanitaire. La réunion de l’Opep+ aujourd’hui est décisive. Tous les regards sont tournés vers le sommet Opep+ qui devra décider du volume de production à adopter pour l’ensemble du cartel élargi pour le mois de mai. Les investisseurs ne cachent pas leur scepticisme, mais restent attentifs à tout éventuel revirement dans la position des pays membres de l’Opep.
Samira Takharboucht