Guerre en Ukraine L’OTAN va-t-elle se faire tuer jusqu’au dernier Ukrainien ? A

Ils ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas. Lorsqu’ils ont déployé les tentacules de l’OTAN jusqu’aux portes de la Russie, les dirigeants occidentaux n’ignoraient pas qu’ils jouaient avec le feu.
Elle aurait donc dû disparaître en même temps que le Pacte de Varsovie, créé en 1955, qui a rendu l’âme en 1990. Non seulement l’OTAN n’a pas disparu, mais elle s’est renforcée et étendue à l’Est de l’Europe en violation des engagements pris. Au lieu de tourner la page de la guerre froide, l’OTAN a tout fait pour encercler et menacer la Russie, qui a remplacé l’URSS dans l’imaginaire belliciste occidental. Enfin, elle s’est livrée à des agressions militaires illégales, sans aucun mandat de l’ONU, qui ont pulvérisé les fondements de la sécurité collective en Europe et dans le monde.
Le moment-clé de cette mutation est l’agression contre la Serbie, en 1995 et 1999, qui a réintroduit la guerre en Europe et constitué le banc d’essai de la nouvelle stratégie de l’OTAN dans la période post-soviétique. Une agression qui avait deux caractéristiques : elle eut lieu hors du territoire de l’OTAN et elle a visé un État n’ayant jamais menacé un État-membre de l’Alliance. Au prix de 78 jours de bombardements et de 3.500 victimes civiles, cette double transgression a transformé l’OTAN en alliance offensive dont le champ d’intervention n’a plus de limite géographique. Désormais, l’OTAN frappe qui elle veut quand elle veut. En décembre 2001, elle intervient en Afghanistan sans aucun mandat de l’ONU. En 2003, les États-Unis et le Royaume-Uni, pays membres de l’OTAN, envahissent et dévastent l’Irak en violation flagrante du droit international. En mars 2011, l’OTAN outre-passe le mandat de l’ONU et détruit l’État libyen. A la même époque, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Turquie arment les mercenaires takfiristes en Syrie et soumettent l’État syrien légitime à des sanctions mortifères.
Sans illusion sur une légalité internationale que les Occidentaux ont copieusement foulée aux pieds, la Russie a décidé de mettre fin à l’hypocrisie ambiante en mettant au pas le régime ukrainien. Ce dernier a pris ses désirs pour des réalités en s’imaginant que la tutelle de l’OTAN valait assurance-tous-risques. Il est vrai que les signes avant-coureurs d’une véritable acquisition de l’Ukraine par l’OTAN ne manquaient pas.
Dès 1997, une charte de partenariat a lié l’Ukraine et l’Alliance atlantique. Le 8 juin 2017, le parlement de Kiev a voté par 276 voix contre 25 un amendement législatif rendant prioritaire l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Conseillers techniques et organismes divers affilés à l’OTAN sont omniprésents dans le pays. Comme on l’apprendra en mars 2022, trente laboratoires de recherche biologique parrainés par l’Occident sont à pied d’œuvre. Pourtant, cette merveilleuse idylle avec l’Alliance atlantique n’a pas mis le régime ukrainien à l’abri des foudres moscovites. En devenant un avant-poste occidental dirigé contre la Russie, l’Ukraine a tendu les verges pour se faire battre.
A ce jour, la démonstration de force semble suffisante pour dissuader l’OTAN de s’engager davantage. Cette alliance militaire agressive a mené des guerres dévastatrices et détruit plusieurs États souverains. Mais elle va y réfléchir à deux fois avant d’aller défier l’ours moscovite dans sa sphère d’influence. Ce que montre l’opération militaire en cours, c’est que les Russes ne plaisantent pas lorsqu’ils défendent leurs intérêts nationaux. D’autant qu’en faisant passer leur président pour un psychopathe prêt à déclencher l’apocalypse, les Occidentaux s’infligent la double peine. Ils justifient leur propre inaction en inhibant toute velléité d’intervention sur le terrain. Ils déchaînent les passions russophobes, mais elles sont sans effet sur le théâtre des opérations.
Le bon côté des choses, c’est que l’emphase délirante des condamnations occidentales est inversement proportionnelle à leur action militaire contre la Russie. Chaque fois que Washington, Londres ou Paris ouvrent la bouche pour vilipender Moscou, c’est pour ajouter aussitôt qu’ils n’enverront aucun soldat mourir pour Kiev. Tant mieux. La guerre sera plus courte et moins meurtrière. Les négociations vont reprendre. La neutralisation de l’Ukraine, qui est la seule issue rationnelle à ce conflit, aura quelque chance de voir le jour. C’est du moins ce qu’il faut espérer, dans l’intérêt de la Russie, de l’Ukraine et de la paix mondiale.
S’il est sain d’esprit, aucun Européen n’a envie de se faire trouer la peau pour l’Ukraine, et encore moins de risquer l’escalade nucléaire. Si la Russie conduit cette opération militaire, à l’inverse, c’est parce que ses enjeux sont vitaux pour la nation russe. La question n’est donc pas de savoir si la guerre est moralement condamnable, car elle l’est toujours, en tout temps et en tout lieu.
Noam Chomsky dit à la fois qu’il condamne catégoriquement l’intervention russe, et qu’elle était absolument inévitable comte tenu des provocations de l’OTAN. Mais si la seconde proposition est vraie (elle l’est), on se demande alors quel est le sens de la première. La vraie question, c’est de comprendre pourquoi les Russes font la guerre, et pourquoi les Occidentaux la font faire par les Ukrainiens. Et la réponse est que les Russes veulent obtenir par la force les garanties de sécurité qu’on leur a refusées, tandis que les Occidentaux s’acharnent surtout à affaiblir la Russie aux dépens des Ukrainiens. Ces derniers finiront-ils par comprendre qu’ils sont les dindons de la farce ? Volodymyr Zelensky a fait toute sa carrière dans la comédie, mais son destin est en train de virer au tragique. Il multiplie désespérément les appels au secours, il s’agite devant les caméras, mais c’est en pure perte : en guise de réponse on lui envoie du matériel dont le seul effet sera de prolonger un conflit perdu d’avance. Il dit que si l’OTAN ne vole pas à son secours ce sera « la troisième guerre mondiale » alors que c’est exactement l’inverse : si les Occidentaux se contentent de prodiguer de bonnes paroles accompagnées de livraisons d’armes, c’est précisément pour éviter le choc frontal avec la Russie.
Washington, de son côté, sait aussi que le jeu n’en vaut pas la chandelle et n’en fera pas des tonnes pour sauver le régime de Kiev. En revanche, le sens de la manœuvre adoptée par l’État profond américain est parfaitement clair : cette guerre est le pourrissement de la crise provoquée par le putsch de février 2014, et Moscou a davantage à y perdre qu’à y gagner. L’OTAN a provoqué un conflit qu’elle va désormais tenter de faire durer à tout prix : l’essentiel est de favoriser l’enlisement de la Russie dans un conflit interminable, et ce sont les populations civiles qui en feront les frais.
La distribution d’armes létales aux néo-nazis et aux gangs mafieux est ce que les Occidentaux ont trouvé de plus intelligent à faire pour combattre les Russes sur le terrain. Ils font en Ukraine ce qu’ils ont fait en Syrie au profit des terroristes adoubés par la CIA. Cette politique risque de rendre le conflit plus long et plus meurtrier, et c’est exactement ce que souhaitent les criminels qui gouvernent le « monde libre ».
Mais après tout la misère humaine n’a aucune importance. Il suffira d’imputer à Poutine ce surcroît de malheur infligé aux populations civiles, et le gain symbolique sera capté par les moralisateurs occidentaux. La guerre tout court se double comme d’habitude d’une guerre informationnelle. On sait que le Donbass était bombardé sans répit depuis huit ans, que le gouvernement de Kiev refusait d’appliquer les accords de Minsk et qu’une offensive de grande ampleur se préparait contre les républiques séparatistes de Donetsk et Lougansk.
Depuis une quinzaine d’années, la Russie avait remplacé l’Union soviétique dans l’imaginaire manichéen des Occidentaux. Elle remplissait la fonction de bête noire du monde libre, vouée à l’exécration des nations pour sa brutalité légendaire. La crise actuelle permet de parachever cette mise au ban de la communauté soi-disant internationale et de repousser la Russie aux marges du monde civilisé. Les Occidentaux font semblant de croire à cette fable grossière, mais la réalité des rapports de forces est moins avantageuse à leurs intérêts qu’il n’y paraît. Tout ce que les pays membres de l’Alliance atlantique peuvent faire, en réalité, se résume à deux options complémentaires : pousser Kiev au sacrifice ultime pour les beaux yeux de l’OTAN et déverser une avalanche de propagande contre Moscou. Dans les deux cas, l’Occident ne pèsera que marginalement sur le cours des événements. La poursuite de la guerre apportera son lot de victimes et et souffrances, mais la Russie risque fort d’imposer militairement ce qu’elle n’a pu obtenir par la négociation : la neutralisation de l’Ukraine et la sanctuarisation du Donbass.
A l’Assemblée générale de l’ONU, les pays qui n’ont pas voté pour la résolution condamnant l’intervention russe représentent 59% de la population mondiale. Lorsque les Occidentaux prennent des sanctions contre la Russie, ils se retrouvent seuls avec le Japon et la Turquie, et les pays qui refusent de le faire représentent 83% de la population mondiale. Loin d’être isolée sur la scène internationale, la Russie bénéficie de l’abstention d’une large majorité de l’humanité. La Chine, l’Inde, le Pakistan, le Brésil, le Venezuela, le Mexique, l’Algérie, l’Afrique du Sud et beaucoup d’autres pays refusent de diaboliser Moscou pour son action militaire contre un vassal de l’OTAN.
Au fond, la Russie dont rêvaient les Occidentaux, c’était celle de Boris Eltsine : impuissante et ruinée, dirigée par un alcoolique manipulable à loisir, c’était une proie facile pour les prédateurs étrangers et les conseillers en démocratie à l’occidentale. Si seulement les Russes s’étaient laissé encercler gentiment et avaient consenti à cette cuisson du homard, s’ils avaient accepté de subir sans broncher les bombardements du Donbass une décennie de plus, s’ils s’étaient résignés à voir l’Ukraine otanisée et la Mer Noire transformée en mare nostrum par les Yankees, on n’en serait pas là.
Mais les peuples ont rarement le tempérament suicidaire, du moins ceux qui n’ont pas renoncé à leur souveraineté et accepté de servir de supplétif à l’Oncle Sam. Le pays qui a vaincu les Tatars, Napoléon et Hitler ne sera pas une proie facile. Coriace et obstinée, la Russie ne se résigne pas à disparaître. Elle a choisi l’épreuve de force parce que l’OTAN l’a poussée dans ses derniers retranchements. Mais le paradoxe est que si jamais elle réussit à neutraliser son vassal ukrainien, elle donnera une leçon de sagesse à l’Occident qui voulait la soumettre.

Bruno Guigue
Suite et fin