L’islamophobie à l’honneur

France

Lorsqu’il est candidat, Emmanuel Macron est tout de compassion et de bienveillance auprès des musulmans. Mais une fois président, il leur inflige la double peine : vous pouvez cracher votre haine contre les voilées, vous passerez toujours pour un héros courageux. Les musulmanes agressées, elles, ne méritent que silence et mépris.
En 2017, le candidat Macron espérait soulever d’immenses espoirs après les outrances des gouvernements précédents. Il voulait, en effet, incarner dans le regard des musulmans, un renouveau dans la vision et la politique sociale. Pour tous ceux qui y ont cru, la chute a été brutale. Rétrospective.

Lumière sur les héros «islamophobes»
Avec Emmanuel Macron, Eric Zemmour a beau être condamné pour injure et provocation à la haine contre les musulmans, le chef de l’État le soutient en personne. Mila vomit sa haine contre les musulmans et leur religion ? Jean-Michel Blanquer lui assure de son « aide », avant d’être célébrée par le journal Le Point du milliardaire Pinault et promotionnée par les éditions Grasset du milliardaire BHL.
Didier Lemaire ment sur les musulmans de Trappes ? Gérald Darmanin se rue sur Twitter pour lui proposer une protection policière, Le Point lui accorde un entretien exclusif. Judith Waintraub et Zineb El Rhazoui assimilent le port du voile au terrorisme ? La première reçoit un soutien public du ministre de l’Intérieur, de Presse-Dassault (Valeurs Actuelles, Le Figaro) et de Télé-Bouygues (LCI). La seconde bénéficie d’un « accord de vue » médiatique de Marlène Schiappa[, se voit récompensée du premier prix Simone Veil à l’Élysée pendant qu’un journaliste du Monde fait passer ses saillies antimusulmanes pour « des prises de position sur l’islamisme ».

Silence sur les victimes musulmanes
Avec Emmanuel Macron, les musulmans menacés de mort n’ont pas le privilège de son soutien. Ils n’ont droit qu’à son silence et sont contraints d’abdiquer. Si bien que lorsqu’une maman voilée est agressée, on appelle timidement à ne « pas stigmatiser les musulmans », mais c’est quand même un peu de la faute à la voilée puisqu’elle serait « proche de l’islam politique ».

On se souvient du sort réservé à la chanteuse Mennel, destinataire d’appels au meurtre pour être apparue coiffée d’un turban dans une émission de variétés qu’elle sera poussée à abandonner[ ; de l’imam Rachid Eljay victime d’une tentative de meurtre dans l’enceinte de sa mosquée de Brest ; de l’étudiante voilée Imane contrainte de quitter Twitter après avoir été menacée de mort pour avoir livré ses recettes de cuisine sur Télé-Drahi (BFMTV) ; de la journaliste Nadiya Lazzouni « saloperie d’islamiste », à qui on promet « une balle dans la nuque » ; du maire musulman Ali Rabeh[ menacé d’être décapité.Tous peuvent témoigner du soutien gouvernemental et médiatique relatif, insignifiant voire inexistant dont ils ont bénéficié.

Diversion voilée à l’école
Que dire de son ministre de l’Éducation nationale ? Jean-Michel Blanquer a beau susciter la colère des stylos rouges, il a beau compter un professeur suicidé par semaine, il préfère les polémiques autour de l’islam. Comme la controverse «Mila» qu’il alimente à sa façon, en assurant ostensiblement « aider » la lycéenne menacée d’avoir insulté l’islam et les musulmans. Jusqu’à appeler à s’organiser « face aux adversaires de la laïcité ».
Il préfère dénoncer « l’islamo-gauchisme » au sein de l’UNEF et de la France insoumise en fustigeant, sans honte, leur « complicité intellectuelle » dans l’assassinat du professeur Samuel Paty. Peu lui importe la colère des enseignants qui font grève contre sa réforme du bac. Jean-Michel Blanquer est trop occupé à mentir sur « les élèves de sexe masculin qui seraient plus fortement scolarisés en maternelle à cause du “fondamentalisme islamiste ».

Diversion «islamo-gauchiste»
à l’université
Que dire de sa ministre de l’Enseignement supérieur, suivie de près par l’ensemble du gouvernement, si ce n’est que tous se moquent des étudiants ? Après l’apparition sur M6 de Maryam Pougetoux, présidente voilée du syndicat étudiant UNEF, trois ministres alimentent la polémique pendant un mois, durant lequel plus aucun espace médiatique n’est laissé aux revendications des étudiants et des cheminots en grève.Des mois plus tard, des députés LR et LREM créent la polémique en l’humiliant publiquement, alors qu’elle est auditionnée à l’Assemblée nationale sur la gestion de la crise Covid, au motif que son voile serait « communautariste » et « anti-laïque ».
Puis, au lendemain de l’attentat contre Samuel Paty, Jean-Michel Blanquer dénonce « l’islamo-gauchisme » qui ferait des « ravages » à l’université. Dénonçant « les complicités intellectuelles du terrorisme », le ministre de l’Éducation nationale pousse la Conférence des présidents d’université à réagir avec « émotion ».
Cinq mois plus tard, Frédérique Vidal lui emboîte le pas. Peu lui importe « les critiques sur son défaut de gestion de la crise, son isolement du monde académique, des réalités étudiantes ainsi que de sa propre administration ». Peut-être la ministre devrait-elle plus se soucier des étudiants qui font la queue aux Restos du Cœur et des enseignants-chercheurs à bout, qu’aux pitoyables filatures auxquelles elle veut les soumettre

Répression antimusulmane
Que dire de ces deux « mythos » de l’Intérieur pour qui les rites musulmans sont des signaux djihadistes ?On se souvient évidemment de la réprobation exprimée par Gérald Darmanin contre « les rayons hallal », comme on se rappelle du mensonge grossier qu’il répandait sur Twitter sur le « bon arabe » tabassé « pour avoir fêté Noël ». Un mensonge parmi des dizaines d’autres auxquels les Français sont désormais familiers.Mais il faut de même se rappeler les outrances de Christophe Castaner qui, après l’attentat de la préfecture de police de Paris survenu le 3 octobre 2019, fait passer « le port de la barbe », « une pratique exacerbée de la prière durant le ramadan » et la « pratique régulière ou ostentatoire de la prière rituelle », pour des signes de radicalisation passibles de signalement. Dans la foulée, l’université de Cergy fournit à son personnel un formulaire pour faire remonter les « signaux faibles » de radicalisation : « Absentéisme récurrent aux heures de prière le vendredi ; port d’une djellaba/port de pantalon dont les jambes s’arrêtent à mi-mollets ; port de la barbe sans moustache ; apparition du port d’un voile ; arrêt de consommation de boissons alcoolisées ; arrêt soudain de consommation de nourriture à base de porc ; consommation récente de produits hallal ; arrêt de faire la fête ; intérêt soudain pour l’actualité nationale et internationale ».
C’est simple : avec Macron, ce n’est plus l’islam comme doctrine qui est questionné mais les musulmans eux-mêmes qui sont mis en cause. On passe de la lutte contre le djihadisme à la lutte contre les musulmans. Au-delà des symboles et des mots, le traitement sécuritaire contre les musulmans s’est durci : les dissolutions arbitraires d’associations musulmanes et les perquisitions musclées d’écoliers de 10 ans restent une honteuse réalité. La politique sécuritaire d’Emmanuel Macron expose de simples citoyens aux traitements les plus aléatoires et discriminatoires.

Ravages de l’islamo-diversion
On ne peut pas comprendre les enjeux majeurs du traitement médiatique de l’islam sans rappeler qu’Emmanuel Macron est, avant tout, une créature médiatique, forgée de toutes pièces par une poignée de milliardaires peu scrupuleux. Et c’est sur leurs plateaux et dans leurs tribunes que la haine antimusulmane est déversée en continu.Elle a pignon sur plateaux au point qu’on excuse Franck Tanguy quand il assure vouloir accélérer en voiture à la vue d’un « barbu en djellaba qui traverse au feu rouge ». On écoute religieusement le directeur adjoint de la rédaction de Presse Dassault (Le Figaro), quand il déverse sa détestation de la religion musulmane sur Télé-Bouygues (LCI).
Pour tous ces faiseurs d’opinion, un musulman visible ne peut désormais être qu’un islamiste, un envahisseur, un fasciste voire un nazi. Les vieux démons de l’idéologie antisémite font l’objet de toutes les vigilances et les nouveaux démons antimusulmans de toutes les indulgences.
Lorsqu’une maman accompagnatrice est agressée par des élus RN, les chaînes d’info s’emballent contre son voile, c’est « 85 débats sur le voile, 286 invitations et 0 femme voilée » libérant une parole vindicative prompte aux simplismes et aux oppositions binaires. « Soutenir la présence d’une femme portant un uniforme islamiste au sein d’une assemblée démocratique est une faute », vocifère Céline Pina dans Presse-Dassault (Le Figaro). Autrement dit, le voile est l’insigne d’une armée d’occupation.
Dans la lignée de BHL qui comparait naguère le voile intégral aux insignes nazis, et offrant l’occasion à un militant LR de comparer le voile aux croix gammées, le « journaliste » Olivier Galzi s’interroge : « Est-ce qu’il ne faudrait pas déplacer [le problème] et dire : [le voile] n’est pas un signe religieux qu’on veut interdire. C’est un signal politique, comme on interdit un uniforme SS, tout simplement, voilà ».
L’attaque antimusulmane de Christchurch n’y a rien changé rien : un ancien candidat du FN commet un nouvel attentat contre la mosquée de Bayonne, blessant deux fidèles par balles. Plus de cinquante personnalités appellent à manifester contre la stigmatisation des musulmans de France. Sur les plateaux télé, on glose sur la qualification de l’attentat et sur l’opportunité de cette marche de solidarité. Pinaillage sélectif qui permet à une journaliste de Presse-Dassault (Le Figaro) et de Télé-Bouygues (LCI),d’associer un après le voile d’une étudiante au terrorisme, la poussant à quitter Twitter sous la pression médiatique et les menaces et passant pour une « malheureuse victime de son racisme et de son islamophobie » auprès de ses collègues éditorialistes.
L’épidémie de Covid-19 n’y a rien changé non plus, pas plus que son lot de casse sociale, de précarité et d’inégalités. Le paysage médiatique reste massivement investi par la thématique de l’islam et du terrorisme après le discours d’Emmanuel Macron sur l’islamisme radical où il fustige le « séparatisme » et annonce une série de mesures, dont l’obligation de fréquenter un établissement scolaire dès l’âge de 3 ans. C’est donc la tête musulmane de l’hydre islamiste qu’il faut abattre.
Sur télé-Drahi (BFM, RMC), Marine Le Pen donne le «la». Sur télé-Bolloré (CNEWS), les musulmans sont priés de montrer patte blanche. Sur télé-Bouygues (LCI), Finkielkraut fustige les islamo-collabos et presse l’Europe à se défendre. L’exécutif entend bien occuper le terrain avec, en point d’orgue, un projet de loi adopté par les députés, puis renforcé par le Sénat.
Bref, les soutiens médiatiques d’Emmanuel Macron ont réussi à rassembler la droite et l’extrême-droite autour de la haine du musulman. La nouveauté historique est qu’à travers le choix des termes, à travers les mises en cause et les dissolutions, ce n’est plus l’islam ou l’islamisme qui sont pointés, mais bien les musulmans dans leur ensemble, tenus responsables de façon plus ou moins directe, plus ou moins explicite, du terrorisme.
Une avancée dangereuse qui glace le sang. Sommes-nous si peu nombreux à comprendre la nocivité de la situation actuelle ? 61% des Français pensent que « l’islam est incompatible avec les valeurs de la société française », quand 42 % des Français musulmans affirment avoir été victimes de discriminations et d’agressions pour leur appartenance supposée ou réelle à cette religion.
Voilà où nous mène l’islamo-diversion d’Emmanuel Macron. Autant d’opérations valant à la France d’être accusée « d’enfreindre le droit international vis-à-vis des musulmans » et de faire l’objet, depuis janvier 2021, d’une plainte déposée auprès du Conseil des droits de l’homme de l’ONU par une coalition de 36 organisations. Autant d’opérations de diversion qui épargnent à l’oligarchie dirigeante de régler les problèmes du pays. Le grain à moudre est trop engageant.
Car oui, s’il y a de vrais sujets autour de la question de l’islam, liés notamment à la radicalisation, s’il faut les reconnaître et les traiter de front, les calculs cyniques d’Emmanuel Macron mènent les pouvoirs publics, et toute la France avec eux, dans l’impasse.

Par Hocine Kerzazi