Introduction à l’étude des partis politiques

Les partis jouent un rôle important dans presque tous les régimes politiques contemporains. Notamment dans ceux que l’on appelle « démocratiques». Ils « participent à la sélection des gouvernants » et « encadrent l’activité des responsables politiques ». En outre, ils constituent « un passage obligé » de la compétition électorale, même s’ils suscitent souvent des critiques. De ce fait, ils ont très tôt attiré l’attention des penseurs et des politologues, à l’instar de M. Ostrogorski, R. Michels, M. Weber, M. Duverger, J. de La Palombara, S. J. Eldersveld, et bien d’autres encore. En nous appuyant sur quelques travaux dont la liste est donnée à la fin de cet article, nous tenterons, dans cette contribution, d’en faire un bref portrait.
Nous commencerons ainsi par en souligner l’importance et en proposer quelques définitions. Ensuite, nous traiterons successivement, de leurs types, de leurs fonctions et des systèmes partisans qu’ils forment. Nous terminerons par dire quelques mots sur les partis dans les pays dits « en voie de développement ».
L’importance des partis et de leur étude. C’est notamment entre la seconde moitié du XIXe siècle et les vingt premières années du XXe siècle, que l’étude des partis politiques a été sérieusement entamée. C’est la période durant laquelle les États-Unis, la Grande-Bretagne, puis l’Allemagne, la Belgique, et enfin la France et l’Italie ont vu apparaître ces organisations dont le but était « la conquête pacifique, via les élections, du pouvoir politique ». Plusieurs auteurs, en effet, dont le russe M. Ostrogorski, le germano-italien R. Michels et l’allemand M. Weber se sont intéressés à ce qui deviendra, après la Seconde guerre mondiale, un des thèmes essentiels de la réflexion politique. Tous ces penseurs partagent plus ou moins l’idée que les partis sont issus du suffrage universel et donc de la nécessité de recruter et d’organiser les masses dans les batailles électorales. R. Michels va jusqu’à considérer, en plus du fait que la démocratie ne se conçoit pas sans « organisation », que « les partis sont un moyen d’émancipation politique des faibles » et « une arme de lutte contre les forts ». Selon Jean Charlot, les partis politiques peuvent être abordés selon trois grandes approches : l’approche structurelle, l’approche par l’idéologie et, enfin, l’approche fonctionnelle.
Ainsi, dans l’approche structurelle, les partis politiques ont été essentiellement perçus comme des « systèmes d’encadrement des élus et des électeurs ». Autrement dit, comme des « organisations ». Selon lui, deux modèles essentiels des partis ressortent de ces études : le modèle « bureaucratique » ou « oligarchique », défini par Robert Michels, et le modèle « Stratarchique », de S. Eldersveld. » Car, si pour le premier le parti politique, comme pour toute organisation, secrète nécessairement une « oligarchie bureaucratique » caractérisée par l’existence, à la tête de l’organisation, d’un cercle « fermé » de dirigeants, pratiquement « inamovibles », pour le second, au contraire, le parti est un ensemble ouvert, perméable à la base comme au sommet, mal défini et faiblement structuré. Dans l’approche par l’idéologie, le parti est considéré comme « porteur d’idéal » et un « pourvoyeur d’un modèle d’action ». Grosso modo, il y est considéré comme « un ensemble organisé d’hommes unis pour œuvrer en commun dans l’intérêt national ». Même si, « en réalité il est des partis sans doctrine et des partis qui oublient leur doctrine dans l’action ». Dans l’approche fonctionnelle, en revanche, l’analyse se focalise principalement sur le rôle et les fonctions que les partis remplissent dans les systèmes politiques. Ainsi, Franck Sorauf, énumère trois fonctions essentielles des partis : l’« activité électorale », l’« activité de contrôle » et de « pression sur les autorités au pouvoir » et l’« activité de mobilisation » des hommes autour de certaines idées et de certains enjeux politiques. Bien sûr, l’étude peut ici ne pas s’intéresser uniquement aux fonctions « apparentes » mais aussi à celles dites « latentes » au sens que donne le sociologue américain Robert Merton à ce terme. C’est-à-dire, pour être bref, les fonctions que les acteurs ou les organisations, en l’occurrence les partis, remplissent presque à leur insu.
Définition et origine. On trouve évidemment plusieurs définitions du terme « parti ». À titre d’exemple, le « Littré définit le « parti politique » comme une « union de plusieurs personnes contre d’autres qui ont un intérêt, une opinion contraire ». Le terme serait emprunté, dès le Moyen Age, au vocabulaire militaire : un « parti », c’est une « troupe de gens de guerre qu’on détache pour battre la campagne (sens dérivé de partir, partager…) ». Dans le « Grand Larousse Encyclopédique » de 1963, le parti est défini comme « un groupe de personnes opposées à d’autres par les opinions, les intérêts, etc. ». Dans son classique « Les partis politiques », Maurice Duverger rapporte que le parti est défini comme étant « une réunion d’hommes qui professent la même doctrine politique ». Quant à Daniel-Louis Seiler, il préfère la définition du sociologue français Raymond Aron selon laquelle « Les partis sont des groupements volontaires plus ou moins organisés, qui prétendent, au nom d’une certaine conception de l’intérêt commun et de la société, assurer seuls ou en coalition, les fonctions de gouvernement ».
Notons, par ailleurs, que l’américain Joseph La Palombara préconise quatre critères, pour parler de parti politique et le distinguer des autres entités telles que les groupes de pression, les groupes parlementaires, les clubs d’idées, etc. Il s’agit de : l’« organisation durable ou continue », de l’ « organisation complète », de la « volonté d’exercer le pouvoir » de manière délibérée et, enfin, de la volonté de « la recherche d’un soutien populaire » par le biais des élections.
Toutefois, si le parti semble aujourd’hui « un élément naturel » de tout système politique car il est présent dans tous les régimes, autoritaires ou libéraux, en voie de développement ou industriels, il est à rappeler quand-même que cette situation est relativement récente, car, il n’avait guère d’influence avant le deuxième quart du XIXe siècle. C’est avec la naissance des régimes représentatifs et l’apparition du suffrage universel comme mode de désignation des gouvernants, que les partis sont apparus. C’est pour cela que le sociologue allemand M. Weber disait que « les partis politiques sont les enfants de la démocratie, du suffrage universel et de la nécessité de recruter et d’organiser les masses ». D’autre part, il est à souligner que les partis sont restés longtemps « contestés » et même « ignorés par le droit positif ». En France, par exemple, il faut attendre 1958 pour que l’existence des partis soit consacrée par la constitution. Certains disent que cette « évolution du droit des partis est significative de la persistance de l’idéal individualiste et libéral du XVIIIe siècle, de la répugnance des élites politiques et intellectuelles dominantes à accepter la réalité des groupes et le principe de l’action collective ».
Les types de partis. Dans son ouvrage précité, Maurice Duverger fait une distinction restée célèbre entre « parti de cadre » et « parti de masse ». Ainsi, les partis de cadres, auraient constitué la première forme de parti politique. Ils sont apparus avec la démocratie, à l’époque du suffrage restreint ou au début de l’instauration du suffrage universel. Alors que les partis de masse sont nés avec l’élargissement du suffrage et l’entrée des classes populaires dans la vie politique. Cela dit, il y a lieu de noter tout de même que cette classification n’est plus appropriée aux nouvelles situations. C’est à partir de là, que la classification proposée par Maurice Duverger a suscité un certain nombre de critiques dont celle d’Aaron Wildavsky. Il s’agit notamment de l’« illusion d’histoire unidimensionnelle ». En effet, Maurice Duverger présente le parti de cadres comme un « type archaïque de structures des partis politiques », correspondant à « un régime de suffrage censitaire » ou un « régime de suffrage universel encore à ses débuts ». Alors que le parti de masses lui apparaît tellement comme le seul type de parti adapté au monde moderne, que lorsqu’il définit de façon générale les partis politiques c’est ce parti qu’il décrit. Or, le problème est que cette idée semble infirmée par l’expérience et les partis de cadres sont loin de disparaître. En outre, fait encore remarquer Jean Charlot, si les types nécessairement abstraits que l’on a définis permettent de saisir l’essentiel, ils ne donnent généralement qu’une « représentation tronquée du réel ».
C’est pour cette raison que plusieurs tentatives ont été effectuées pour proposer d’autres types de partis. Ainsi, l’américain Samuel Eldersveld propose la notion de « parti stratarchique ». Ce modèle, inspiré de l’expérience américaine, renvoie à des partis entièrement voués à l’efficacité électorale où chaque strate de l’organisation dispose en conséquence d’une grande autonomie dans l’élaboration de son programme, dans son financement et dans le choix de ses candidats. Dans le même ordre d’idées, Jean Charlot, confronté à la nouveauté du parti gaulliste, ni parti de masses classique, ni parti d’élus, propose la notion de «parti d’électeurs». De son côté, Otto Kirchheimer « annonce la fin des partis de masses et des partis de cadres au profit du parti « attrappe-tout » (catch-all-party). L’apparition de celui-ci, qui réunit la centralisation des premiers et le bagage idéologique ainsi que l’activité essentiellement électorale des seconds, s’explique par l’émergence de nouvelles sources de financement et par le développement des moyens de communication. C’est dans ce cadre, souligne-t-il, que « la mutation du fait partisan dans les sociétés avancées, due à l’expansion économique, qui gomme les disparités, la montée en puissance des médias, favorisant une augmentation du pouvoir, et une dépolitisation, ces partis d’attraction sont des partis modernes adaptés à la compétition politique des sociétés sur-développées, tournés exclusivement vers la compétition électorale.
De leur part, Richard Katz et Peter Mair proposent le concept de « parti cartel ». Pour identifier ce concept, ces deux auteurs observent que dans les sociétés, les liens entre partis et société civile s’affaiblissent, tandis que les liens entre partis politiques et État se renforcent (financement public, professionnalisation des partis politiques). Ces derniers deviennent des agences d’État financées principalement par des crédits publics. Ils sont des intermédiaires entre société et État et cherchent à tirer avantage de leur position. Mais ce concept a fait l’objet de plusieurs critiques car l’ancrage social des partis politiques n’a pas totalement disparu. Cela dit, beaucoup de politologues pensent qu’en cherchant à réduire la diversité des partis à quelques types bien définis, la réflexion politique était amenée à courir après une réalité en continuel changement, sans jamais atteindre un accord sur les « critères » et les « degrés » des classifications proposées.
C’est dans le cadre d’une tentative de sortie de cette impasse que l’on peut situer la proposition de Michel Offerlé. En effet, ce dernier a présenté un cadre d’analyse qui semble plus adapté à la complexité de la situation partisane actuelle en s’appuyant sur une relecture de Weber et sur le concept de « champ » proposé par le sociologue Pierre Bourdieu. Selon cette vision, un parti doit être analysé non seulement comme une entité tournée vers la conquête du pouvoir, mais aussi comme « un espace de concurrence objectivé entre des agents luttant pour le contrôle des ressources collectives que sont la définition légitime du parti, le droit de parler en son nom, le contrôle des investitures et des moyens de financement. Dans cette perspective, les partis se distingueront « selon l’importance de leurs ressources collectives propres (membres permanents, moyens matériels, notoriété du parti…) et des ressources personnelles de leurs élus et dirigeants. » D’autres auteurs d’inspiration culturaliste, continuant paradoxalement l’œuvre de Marx, ont exploré la question de la relation entre clivages sociaux et clivages partisans. Parmi eux le politologue norvégien Stein Rokkan qui, partant de l’idée qu’un parti ne peut durablement enraciner son organisation que s’il se fonde sur un clivage social profond, distingue quatre clivages fondamentaux plus ou moins aigus selon les pays occidentaux. Deux sont nés au cours de la phase d’édification des États-nations : le clivage État/Église et le clivage centre/périphérie ; deux résultent de la révolution industrielle : le clivage urbain/rural et le clivage possédants/travailleurs. De son côté, « Daniel-Louis Seiler s’est employé à la suite de Rokkan à classer tous les partis européens en fonction des clivages qu’ils expriment.
A suivre
Par Hacène Merani