«Les intrants importés suffisent à peine pour produire le quart des besoins du marché national en produits alimentaires»

Akli Moussouni, expert senior (cabinet CIExpert), se confie à La Nouvelle République :

La Nouvelle République : Pourquoi la production des semences est-elle devenue une activité industrielle incontournable ?
A. Moussouni : La semence quel que soit le type, est l’élément de base de toute culture agricole dont elle dépend de tout point de vue (rendement, vigueur, résistance aux attaques parasitaires, etc). Pour votre information, dans le cas de la pomme de terre, une semence normalisée efficace ne peut être obtenue qu’au bout de 3 années et demie d’un processus d’une extrême maîtrise d’une propagation génétique à grande échelle d’une semence capable de résister aux attaques parasitaires, tels que les virus, les mycoplasmes, les bactéries, les champignons, la galle, le mildiou, les nématodes, les pucerons, etc. Ce sont des laboratoires et des unités de reproduction de traitement et de semences, selon les types, qui constituent un tissu industriel perfectionné où le savoir-faire est l’ossature principale. C’est aussi, un secteur économique, chasse-gardée de quelques puissances au même titre que la reproduction génétique des souches animales comme pour le poulet de chair ou de reproduction.

Il y a ceux qui disent que si on veut maîtriser l’agriculture de demain, on doit maîtriser les ressources génétiques qui permettent de produire le vivant de demain. Quelle est votre explication à cela ?
Le marché mondial de la nourriture est des plus hégémoniques par rapport à une demande mondiale de plus en plus importante où la concurrence est très rude. Au-delà de la protection phytosanitaire, la manipulation génétique a gagné surtout les produits de large consommation humaine et animale à l’effet de limiter les dégâts liés aux maladies et à la sécheresse et de doper les performances de ces produits ou Organismes génétiquement modifiés (OGM).
Sans la sauvegarde et la manipulation des semences, il ne peut y avoir une course effrénée pour produire plus et mieux pour s’assurer la sécurité alimentaire à l’intérieur et investir les marchés à l’extérieur pour ces puissances économiques.
Sur un autre plan, par rapport à des lendemains incertains pour l’humanité au regard des conflits d’intérêt et une géopolitique en pleine métamorphose, ainsi que les changements climatiques n’augurent en rien comme perspective durable. L’alimentation humaine est fragilisée. Chaque pays essaie de conserver et protéger ses semences pour s’assurer un minimum de souveraineté alimentaire.

La sécurité alimentaire est menacée par la flambée des prix des intrants. Quelle solution présagez-vous ?
La sécurité alimentaire n’est pas menacée par la flambée des prix, dès lors qu’elle est assurée exclusivement par l’importation de l’essentiel des produits de large consommation. Les intrants importés suffisent à peine pour produire le quart des besoins du marché national en produits alimentaires au regard des volumes importés, qui, d’ailleurs, augmentent d’année en année.
Quant à la solution pour une sécurité alimentaire, elle relève de toute une politique agricole basée exclusivement sur des objectifs économiques. Le paysage agricole tel qu’il fonctionne actuellement n’est pas approprié pour développer la sécurité alimentaire du pays.

L’Algérie a-t-elle les potentiels naturels et humains pour réaliser une sécurité alimentaire durable basée sur la production locale ?
Affirmatif. Toutefois, la sécurité alimentaire doit être recherchée par rapport à une politique de nutrition qui déterminera à cours, moyen et long terme ce que le ménage algérien doit consommer. Actuellement, en consommant l’équivalent de 3 fois la consommation mondiale en céréales, 2 fois la consommation mondiale en lait non transformé et 3 fois la consommation mondiale de sucre, lesquels produits que l’agriculture algérienne est loin de satisfaire, la sécurité alimentaire devient un mirage.

L’Algérie mise sur le développement de l’agriculture saharienne pour assurer la sécurité alimentaire et sortir de la dépendance des importations. Ce modèle est-il fiable sur le long terme ?
L’agriculture saharienne ne peut pas être un modèle. Miser sur elle pour s’assurer sa sécurité alimentaire ne peut être qu’un slogan, dès lors que cette sécurité alimentaire ne peut être assurée qu’en exploitant toutes les potentialités du pays, dont la diversité du climat et du contexte physique des territoires, dont les régions sahariennes. Cette vision de l’agriculture saharienne est à prendre avec prudence quand on sort du contexte oasien que s’est adapté le Sahara depuis des millénaires. La fragilité des écosystèmes sahariens cumulés aux températures extrêmes et aux septicités du contexte socio-économique font qu’il n’est pas aisé de s’en prendre au moment où on n’arrive pas à rentabiliser les territoires du Nord. Certes, l’investissement engagé dans ces zones est très rentable par rapport à la disponibilité de l’eau (l’Algérie renferme les trois quarts de la nappe albienne), mais son exploitation dans l’anarchie a fait qu’on a perdu des milliers d’hectares, peut-être irrécupérables, pour les avoir irrigués avec l’eau saumâtre. Au total, on a perdu plus que l’on en gagné dans cette course au Sud, surtout dans les Hauts-Plateaux et les régions steppiques incapables de nourrir actuellement plus d’une quinzaine de millions d’animaux (l’ovin pour l’essentiel)

Comment évaluez-vous l’état de la sécurité alimentaire actuelle en Algérie ?
A présent, la sécurité alimentaire n’est pas assurée au regard des conditions reconnues universellement à savoir, la disponibilité du produit alimentaire, normalisé en termes de qualité et font que le consommateur aurait un pouvoir d’achat qui lui permet d’avoir accès à ces aliments sans aucune aide extérieure, même pas celle de l’Etat.
Propos recueillis par
Manel Zemoui