Kateb Yacine, une plume poétique qui a dérangé les colonialistes

8 mai 1945

Ainsi, les massacres du 8 mai 1945 avaient été le dernier acte d’une tragédie séculaire dont l’épilogue sera novembre 1954 : «Le véritable écrivain est partout, il est là où l’on fait de la politique, là où l’on joue aux cartes, on peut être le plus grand poète de son pays et être analphabète», disait Kateb Yacine.Né en 1929, à Constantine d’un père oukil (homme de loi en droit musulman), l’enfant passe, par décision paternelle, de l’école coranique à l’école française et après les douloureux événements du 8 mai 1945, le jeune Kateb était arrêté alors qu’il n’était qu’en 4ème année moyenne pour y avoir participé. Le jeune collégien d’alors vit l’expérience carcérale comme une épreuve initiatique poétique et politique désormais liés.
De fait, tout semble s’être noué là : l’insurrection dans la langue même de l’étranger. Or, l’expérience de la prison l’avait réellement poussé vers une vraie carrière d’homme de lettres. Entre temps, sa pauvre mère fut frappée par la folie pour être internée durant une bonne période à l’hôpital psychiatrique de Blida. Après avoir été renvoyé de l’école, son père l’envoya chez son oncle à Annaba en 1946. Le jeune Kateb s’était ainsi épris de sa cousine Zouleikha, qui va inspirer Nedjma (« étoile »), rédigé en français, œuvre fondatrice qui a totalement bouleversé l’écriture maghrébine. Ses premiers poèmes étaient publiés dans cette ville sous le titre des « Soliloques ». Il partit en France et à son retour en Algérie, en 1948, il intègre l’équipe du quotidien « Alger Républicain » et y reste jusqu’en 1951. Il était alors docker, puis, il repartit en France où il exerça divers métiers, pour publier son premier roman. Ensuite, il voyagea à l’étranger (Italie, Tunisie, Belgique, Allemagne…) dans le but de poursuivre ses voyages avec les tournées de ses différents spectacles. Il était un fervent militant pour l’indépendance, au sein du Parti populaire algérien, puis du Parti communiste, il s’engagea avant tout avec les « Damnés de la terre », dont il était avide de connaître et faire entendre les combats : « Pour atteindre l’horizon du monde, on doit parler de la Palestine, évoquer le Vietnam en passant par le Maghreb. » J’écris en français pour dire aux Français que je ne suis pas Français », déclarait-il en 1966.
Considéré comme l’un des fondateurs de la littérature maghrébine moderne en langue française, Kateb Yacine, militant anticolonialiste, a également écrit en arabe et en berbère. Son texte « Le cadavre encerclé » publié en 1953 a été très apprécié par un grand public et joué en Tunisie pour être traduit ensuite dans plusieurs langues et diffusé sur des chaînes télévisées en Suisse, Belgique et Suède. Son théâtre était sans frontières En inaugurant l’ère du théâtre algérien révolutionnaire, Kateb avait de grands textes écrits dont certains sont parus dans différentes revues notamment Forge, Simoun, Soleil, Terrasses ou Esprit. En 1956, les éditions du Seuil éditent « Nedjma » puis en 1959 « Le cadavre encerclé ». Le poète fit la connaissance de plusieurs grands écrivains francophones comme Mohammed Dib et autres, il a côtoyé Bertold Brecht à Paris où il développa ses œuvres théâtrales tout en poursuivant l’écriture d’un second roman, « Le polygone étoilé », paru en 1966. Un ouvrage où l’on découvre une narration qui remonte aux premiers temps de la colonisation, dénonçant le génocide alors que les colons se prélassent dans un bien- être grandiose et que la population algérienne se bat sur les terres spoliées par les Français pour un salaire de misère.
L’année 1970 vit la publication de son oeuvre « L’homme aux sandales de caoutchouc », centrée sur le combat du peuple vietnamien contre l’impérialisme américain et français et la libération des peuples du Tiers-Monde. Kateb avait fait le procès de la colonisation, du néocolonialisme mais aussi de la dictature post-indépendance qui n’avait cessé de spolier le peuple. Dénonçant violemment le fanatisme arabo-islamiste, il luttait sur tous les fronts et disait qu’il fallait « révolutionner la révolution ».
D’autre part, Kateb avait dirigé la troupe de l’Action culturelle des travailleurs sous la direction du ministère des Affaires sociales. La télévision canadienne diffusa « Mohamed prends ta valise » qui lui avait rapporté une réputation immense néanmoins plusieurs écrits dramatiques inédits restent encore conservés à l’Institut des publications modernes à Paris. L’auteur reçut plusieurs prix entre-autre le Prix national des lettres décerné par le ministère de la Culture en France.
Le 29 octobre 1989 Kateb meurt à Grenoble des suites d’une longue maladie, sa dépouille fut rapatriée en Algérie pour être enterrée au cimetière d’El Alia à Alger.
Oki Faouzi