Les relations bilatérales Alger-Moscou et l’enjeu énergétique et numérique mondial

Tensions en Ukraine

Une équation difficile à résoudre : dans le cas présent, comment l’Algérie doit- elle opérer pour préserver à la fois sa part de marché en Europe et ses relations amicales avec Moscou et jusqu’à quel point pourrait-elle assurer un équilibre entre les deux ? Donc on voit la situation paradoxale du pays. Il faut relever que l’Algérie est un pays non-aligné, et dans la dernière résolution des Nations unies, ayant adopté une position de neutralité, comme vient de la souligner le chef d’Etat major de l’ANP en recevant une haute personnalité de l’OTAN, connue pour ses positions internationales, constantes ayant appelé au respect du droit international.

Dans ce cadre se pose la question suivante : où se situe la place de l’Algérie dans le débat actuel par rapport au projet l’embargo européen sur les hydrocarbures russes et la recherche par l’UE de sources d’approvisionnement compensatoires ? Concernant les tensions avec l’Espagne, comme l’a souligné le président de la république, l’Algérie respectera ses engagements contractuels en matière de livraison de gaz à l’Espagne, malgré que l’Espagne ait opéré un revirement politique sur sa position par rapport au Sahara occidental,l’Algérie maintenant sa position constante de l’application du droit international dans le cadre des résolutions des Nations unies.

1.-L’Algérie dépend à peu près de 90% de ses ressources financières de l’Occident si on ajoute, bien entendu, la zone européenne de la Turquie ayant une balance commerciale fortement déficitaire avec la Chine . De l’autre côté, tout l’armement et les relations militaires sont à 95% avec la Russie avec laquelle l’Algérie entretient de très bonnes relations sur ce plan, mais pas grand-chose sur le plan des échanges économiques. Sans compter le volet militaire, sur les 3 milliards d’échange avec la Russie en 2021, selon les données officielles russes, 95% proviennent des exportations russes vers l’Algérie, et les exportations algériennes vers la Russie ne dépassent pas 150/200 millions de dollars. Et le plus grand concurrent pour la fourniture du gaz à l’Europe est la Russie. L’Europe dépend entre 40-45% de son approvisionnement du gaz russe et à l’intérieur il y a des disparités, l’Allemagne en dépend à plus de 60% et la Finlande à 90%. La résolution de Versailles dit que l’Europe va se passer du pétrole et du gaz russe. Ce sera peut-être possible pour le pétrole mais pas pour le gaz à court terme, ce sera vraiment impossible. Pour l’Algérie, on a exporté en 2021 un volume de 43 milliards de m3 de gaz, selon les chiffres officiels du gouvernement. Le constat est qu’il y a eu une décroissance en quelques années puisque en 2007-2008 on exportait environ 65 milliards de m3. Cette baisse s’explique par deux raisons. La première est qu’on n’a pas investi au niveau des hydrocarbures, ce qui explique l’action du président de la République de débloquer 40 milliards de dollars sur les 5 prochaines années dont 8 milliards de dollars pour 2022. La deuxième est la hausse de la consommation intérieure. L’Algérie produit environ 100 milliards de m3 gazeux par an, avec 43 milliards pour l’exportation, 42 à 43 milliards pour la consommation intérieure et 10 à 15% pour injection dans les puits pour pouvoir extraire le gaz.. L’Algérie a deux gazoducs opérationnel vers l’Europe, le Medgaz qui a une capacité de 10,5 milliards de m3 depuis février 2022, exportant vers l’Espagne 8,5 milliards de m3 car les accords d’additionnement n’ont pas encore été conclus. Et il y a le Transmed d’une capacité supérieure à 30 milliards de mètres cubes gazeux par lequel on exporte vers l’Italie 21 milliards de m3.où la Tunisie bénéficie d ‘une royaltie pour le Droit de passage. Tout ceci explique que, finalement, l’Algérie ne peut pas, à court terme, suppléer le gaz russe, et dans le cas où il y a une capacité un peu plus élevée, elle serait de 3 à 4 milliards de m3 ; pouvant doubler notre capacité dans quelques années en investissant plus renvoyant aux décrets d’application de la loi des hydrocarbures toujours en gestation, à l’efficacité énergétique, aux énergies renouvelables et revoir la politique des subventions.

2.-Aussi se pose la question des impacts de l’embargo du pétrole et du gaz russe décidé par la commission européenne sur l’Algérie mais également sur la majorité des pays européens, les USA étant relativement autonomes. L’impact sera une hausse des prix de beaucoup de matières et une inflation mondiale. L’Algérie importe environ 85% de ses matières et équipements, le taux d’intégration des entreprises publiques et privées ne dépassant pas 15%. Automatiquement, le pays sera touché par la hausse des prix à l’international. Si on ne regarde, par exemple, que le blé, le prix de la tonne a doublé, passant de 200 à près de 400 dollars. Ce qu’il faut comprendre, c’est que les recettes du pays pourraient atteindre 55/57 milliards de dollars en 2022 selon le Fonds monétaire international, mais à côté, il y a les factures d’importation qui vont peut-être doubler. En tous les cas, ce qui est sûr, c’est qu’elles vont augmenter. Donc les recettes du pays vont, certes, augmenter en raison des prix du pétrole et du gaz qui sont en train de culminer, mais d’un autre côté, ce qui est engrangé sera dépensé en importations. C’est dans ce cadre que se situent à la fois la déclaration de la cheffe de la Commission européenne, Ursula Von Der Leyen que, pour s’affranchir du gaz russe, une interconnexion est nécessaire entre l’Espagne et la France et les enjeux du gazoduc Nigeria Europe. En effet, l’ Espagne est reliée à travers le Medgaz provenant d’Algérie pour une capacité depuis le 22 février 2022, de 10,5 milliards de m3 gazeux, en plus de ses importations du GNL des USA et du Qatar. Je rappelle que le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a dit que l’Algérie respectera ses engagements contractuels en matière de livraison de gaz à l’Espagne. n’étant pas question de rompre et il faut que l’Espagne respecte les clauses contractuelles gazières. Actuellement, selon les causes, il y a révision des prix du gaz tous les deux ans, étant de rappeler qu’il y a deux ans, les Espagnols et les Italiens ont demandé à Sonatrach de baisser les prix du gaz qui avaient baissé. Maintenant, les prix sont au plus haut et il est du droit de l’Algérie de demander, toujours dans le cadre des clauses contractuelles, de demander une révision à la hausse.

3.- Qu’ en est-il donc du projet du gazoduc Midcat (Midi-Catalogne), du gazoduc Nigeria Europe souhaité par la commission européenne pour se libérer de la dépendance russe, où, il y a un problème d’interconnexion pour arriver en Europe, la France n’ayant pas donné son accord pour le passage des canalisations à travers les Pyrénées. Donc le gazoduc s’arrête en Espagne et la France bloque le projet des canalisations. C’est-à-dire qu’on ne peut pas accroître les exportations vers l’Europe via l’Espagne si la France ne donne pas son autorisation pour les canalisations à travers les Pyrénées. Mais au vu de la situation gazière actuelle de l’Europe, la France peut, peut-être, débloquer la situation . Quant au projet de gazoduc Nigeria-Maroc ou Nigeria Algérie, il représente des enjeux stratégiques et économiques étant un dossier très complexe avec de nombreuses contradictions qui le caractérisent. L’année dernière, puis le 19 mars 2022 le ministre de l’Energie algérien a déclaré (repris par l’APS) que le problème était résolu et que le gazoduc sera réalisé entre l’Algérie et le Nigeria. Le 06 mai 2022, le ministre nigérian a donné une interview repris par l’AFP et les agences internationales disant que son pays était à la recherche de moyens de financement avec le Maroc. Il faut que le Nigeria ait une position claire. Le projet du Maroc passe par 10 pays, ce qui veut dire que sa concrétisation va demander 7 à 8 ans, avec un coût d’environ 28 à 30 milliards de dollars selon les estimations de Bruxelles. Il va passer par le détroit de Gibraltar et là, il faudra que la France autorise le passage par les Pyrénées. Pour le gazoduc devant passer par l’Algérie, l’accord de principe date depuis 2008. Le gazoduc passe par un seul pays qui est le Niger. En 2020, Bruxelles a estimé son coût à 20 milliards de dollars pour une réalisation de 4 à 5 ans. En termes de rentabilité, le gazoduc algérien est donc plus rentable. A rappeler que la partie nigériane a parfois déclaré qu’elle réaliserait son gazoduc avec l’Algérie et parfois avec le Maroc. Il y a eu des propos contradictoires. Le gaz du Nigeria est destiné au marché européen et je pense que, finalement, que le dernier mot revient à l’Europe, principal client tant pour des raisons géostratégiques qu’économiques dont une partie du financement pour son approvisionnement pour moins dépendre du gaz russe, le seul moyen de se libérer d’une dépendance territoriale étant le GNL mais nécessitant d’importants investissements.

En conclusion le XXIème siècle sera caractérisé par une profonde reconfiguration géostratégique tant dans le domaine militaire , sécuritaire, social, culturel et surtout économique dans le domaine de la transition énergétique et numérique. A ce sujet une intéressante étude réalisée par Jeanne Mercier de la société BBI du 04 mai 2022 sur les cyber attaques concernant l’État et les entreprises note avec justesse qu’ au moment les cyberattaques se multiplient, le gouvernement et les entreprises françaises commencent à prendre conscience de l’ampleur du phénomène et des risques encourus. La sensibilisation des employés, la formation universitaire et plus de moyens financiers au niveau étatique sont des solutions mises en œuvre pour lutter contre cette menace. Cette enquête arrive à huit constats :
1.-Progression des cyberattaques entre 2019/2020 de 255%-
2- durant le confinement les tentatives de phishing ont augmenté de 400%.
-3- en 2021, 54% des entreprises françaises ont subi des cyberattaques.
– 4- 20% ont été touchées par un ransomware, le coût médian d’une cyberattaque étant évalué à environ 50.000 euros.
-5- les pertes subies par les PMI/PME, les plus vulnérables ont été de 27%.
-6- 47% des télétravailleurs considèrent qu’ils se sont fait piéger par un phishing. -7- les entreprises ayant déclaré le phishing comme vecteur d’entrée principal pour les attaques subies ont été de 73%. – 8- 55% des entreprises considèrent que le niveau d’attaque est élevé mais seulement 40% ont investi pour se protéger. A ce titre l’Etat major de l’ANP dans ses différentes interventions a mis en relief pour l’Algérie, l’importance de ces attaques menaçant la sécurité nationale ( voir nos différentes interventions entre 2020/202 à l’Institut militaire de Documentation, d’évaluation et de prospective du ministère de la Défense nationale (IMDEP). L’objectif pour l’Algérie est d’arriver à se libérer de la dépendance des hydrocarbures qui représentent avec les dérivées 98% de ses recettes en devises et devant éviter l’utopie, la pénétration du marché arabe et africain supposant des entreprises publiques et privées compétitives en termes de coût/qualité sachant qu’en 2021,selon les donne du registre du commerce, le tissu économique est constitué à plus de 95% de petites entreprises peu innovantes petites SARL et unités unipersonnelles. Pour les grands projets fortement capitalistiques, comme le phosphate de Tébessa et le fer de Gara Djebilet, du fait de l’importance de l’investissement supposant un partenariat gagnant – gagnant pour pénétrer le marché international, contrôlé par quelques firmes, la rentabilité si ces projets entrent entre en production en 2022, la rentabilité ne se fera pas avant cinq à sept années.
Cela renvoie à l’attrait de l’investissent créateur de valeur ajoutée et comme je l’ai souvent souligné la presse nationale et internationale, l’opérationnalité du nouveau code d’investissement qui accuse deux années de retard, renvoyé plusieurs fois par le président de la république , nécessite de revoir toutes les contraintes de l’éco-système, afin de libérer les énergies créatrices loin du terrorisme bureaucratique
A.M