GAFI : Analyse du formulaire de la déclaration de soupçon relevant de la cellule de traitement du renseignement financier algérien

La propagation des flux financiers illicites (FFI) dans le monde, dont les crimes de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme, représente l’un des défis les plus prégnants de l’actuelle ère de mondialisation que la communauté internationale s’attèle de relever. L’ouverture sur l’économie de marché, le caractère universel du système bancaire et financier, la suppression du monopole de l’Etat sur le commerce extérieur, le développement du secteur des TIC, etc., sont autant de facteurs qui ont suscité l’extension du phénomène de la criminalité économique et financière en Algérie(1).
Selon la vision stratégique de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) pour l’Afrique 2030 : « l’endiguement des flux de blanchiment d’argent liés au terrorisme, au crime organisé, à la corruption et à d’autres crimes contribuerait de manière significative à la croissance économique »(2). Ces crimes constituent en effet des entraves pour le développement de notre pays qui doivent être surmontés pour garantir une mise en œuvre efficace de la relance économique en dehors de la dépendance aux hydrocarbures, sachant que le Fond monétaire international (FMI) a salué récemment les efforts des pouvoirs publics consentis en vue de diversifier l’économie et favoriser la création d’emploi ainsi que les futures réformes entamées pour réduire la vulnérabilité à la corruption(3).
Les cellules de renseignements financiers sont au cœur des dispositifs de lutte contre les flux financiers illicites au niveau des Etats, et plus particulièrement contre le blanchiment de capitaux (LBC) et le financement du terrorisme (FT)(4), dès lors qu’elles forment une courroie non seulement de transmission mais de transposition des données financières et autres données qualitatives et quantitatives en renseignements financiers fiables et exploitables au service des autorités sécuritaires et judiciaires habilitées.
La présente étude s’inscrit dans le cadre de l’analyse de la législation juridique algérienne portant sur la criminalité économique et financière, en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

B. Politique algérienne de prévention en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme
Hormis les dispositions introduites au niveau du code pénal et du code de procédure pénale, l’Algérie a réformé plusieurs textes régissant l’action économique(5) à l’effet de lutter efficacement contre les fléaux du blanchiment d’argent, du financement du terrorisme et des nouvelles formes de criminalité économique et financière. Elle s’est inspirée des Conventions internationales qu’elle a ratifiées à l’instar de la Convention contre la criminalité transnationale organisée du 15 novembre 2000(6), des recommandations du GAFI ainsi que des directives du Comité de Bâle sur le devoir de vigilance à l’égard de la clientèle. Notre pays ne lésine ni sur les moyens ni sur les efforts en vue de se conformer aux normes internationales en la matière. Après la promulgation de la loi n° 05-01 du 06 février 2005 relative à la prévention et à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme(7), plusieurs textes ont été édictés pour son application, entre autres(8) : – Ordonnance 05-06 du 23 Août 2005 relative à la lutte contre la contrebande (JO n°59 du 28 août 2005) ;
– Le décret exécutif n°05-442 du 14 novembre 2005 fixant le seuil applicable aux paiements devant être effectués par les moyens de paiement à travers les circuits bancaires et financiers (JO n°75 du 20 novembre 2005) ;
– Le décret exécutif n°06-05 du 09 janvier 2006 fixant la forme, le modèle, le contenu ainsi que l’accusé de réception de la déclaration de soupçon (JO n°02 du 15 janvier 2006) ;
– La loi n° 06-01 du 20 février 2006, modifiée et complétée, relative à la prévention et à la lutte contre la corruption (JO n°14 du 08 mars 2006) ;
– Le règlement n°05-05 du 15 décembre 2005 relatif à la prévention et à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (JO n°26 du 23 avril 2006) ;
– Règlement n° 07-01 du 03-02-2007 relatif aux règles applicables aux transactions courantes avec l’étranger et aux comptes devises (JO n°31 du 13 mai 2007 2006) ;
– L’arrêté du 30 Mars 2008 fixant les modalités d’application de l’article 21 de la loi n°05-01 du 06 février 2005 relative à la prévention et à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (JO n° 25 du 18 mai 2008) ;
– Le décret exécutif n°10-181 du 13 juillet 2010 fixant le seuil applicable aux opérations de paiements devant être effectués par les moyens de paiement à travers les circuits bancaires et financiers (JO n° 43 du 14 juillet 2010) ;
– Ordonnance n°10-03 du 26 août 2010 modifiant et complétant l’ordonnance n° 96-22 du 9 juillet 1996 relative à la répression de l’infraction à la législation et à la réglementation des changes et des mouvements de capitaux de et vers l’étranger (JO n° 50 du 1er septembre 2010) ;
– Le règlement n°12-03 du 28 novembre 2012 relatif à la prévention et à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (JO n°12 du 27 Février 2013) ;
– Le décret exécutif n°13-318 du 16 septembre 2013 relatif à la procédure d’identification, de localisation et de gel des fonds et autres biens dans le cadre de la lutte contre le financement du terrorisme (JO n° 46 du 22 septembre 2013) ;
– Le décret exécutif n°15-113 du 12 mai 2015 relatif à la procédure de gel et/ou saisie des fonds et biens dans le cadre de la prévention et la lutte contre le financement du terrorisme (JO n° 24 du 13 mai 2015) ;
– Le décret exécutif n° 15-153 du 16 juin 2015 fixant le seuil applicable aux paiements devant être effectués par les moyens de paiements scripturaux à travers les circuits bancaires et financiers (JO n°33 du 22 juin 2015) ;
– Décret exécutif n° 20-398 du 26 décembre 2020 portant création du comité national d’évaluation des risques de blanchiment d’argent, de financement du terrorisme et du financement de la prolifération des armes de destruction massive et fixant ses missions, son organisation et son fonctionnement, (JO n°80 du 29 décembre 2020).

C. La cellule de traitement du renseignement financier (CTRF)
Le groupe EGMONT(9) définit une cellule de renseignement financier comme : « l’agence centrale de réception des communications faites par les entités déclarantes. Ces informations devraient, au minimum, inclure les déclarations d’opération suspecte, ainsi que les autres informations requises par la législation nationale (par exemple, les déclarations d’opérations en espèces, les déclarations concernant les virements électroniques et les autres déclarations/communications faites en fonction d’un seuil) »(10). Cette cellule est un centre national chargé de la réception, l’analyse des déclarations d’opérations suspectes et des autres informations concernant le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, et la diffusion des résultats de ladite analyse. En outre, elle doit pouvoir bénéficier des renseignements supplémentaires provenant des entités déclarantes et doit avoir accès, en temps opportun, aux informations financières, administratives et de répression criminelle nécessaires pour exercer convenablement ses fonctions(11). En Algérie, et après sa création en qualité d’organe spécialisé en 2002 par Décret exécutif n°02-127 du 7 avril 2002, la cellule de traitement du renseignement financier (CTRF) est instituée comme autorité administrative indépendante en 2012, jouissant de la personnalité morale et de l’autonomie financière, et placée sous tutelle du Ministère des Finances.
Cette cellule est chargée de lutter contre le financement du terrorisme et du blanchiment d’argent, dont les missions se déclinent comme suit(12) :
– La réception des déclarations de soupçon relatives à toutes opérations de financement du terrorisme ou de blanchiment d’argent qui lui sont transmises par les organismes et les personnes désignés par la loi ;
– Le traitement des déclarations de soupçon par tous moyens ou méthodes appropriés ;
– La transmission, le cas échéant, du dossier correspondant au procureur de la République territorialement compétent, chaque fois que les faits constatés sont susceptibles de poursuites pénales ;
– La proposition de tout texte législatif ou réglementaire ayant pour objet la lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment d’argent ;
– La mise en place des procédures nécessaires à la prévention et à la détection de toutes les formes de financement du terrorisme et de blanchiment d’argent.

Constitué de représentants d’institutions financières, juridiques et sécuritaires(13), le conseil de la CTRF est assisté des quatre services techniques suivants(14) : – Le service des enquêtes et des analyses, chargé de la collecte du renseignement, des relations avec les correspondants, de l’analyse des déclarations de soupçon et du pilotage des enquêtes ; – Le service juridique, chargé des relations avec les parquets, le suivi judiciaire ;
– Le service de la documentation et bases de données, chargé de centraliser les informations et de constituer les banques de données nécessaires au fonctionnement de la cellule ;
– Le service de la coopération, chargé des relations bilatérales et multilatérales avec les instances ou institutions Etrangères œuvrant dans le même domaine d’activité.
Après avoir accusé réception de la déclaration de soupçon, le processus de traitement du renseignement financier s’entame par la collecte de toutes les informations et indices permettant de remonter à la source des biens douteux ou identifier la nature réelle des opérations suspectes via des canaux sécurisés et protégés. Ensuite, les recoupements financiers issus des déclarations de soupçons transmises par les assujettis (15), les rapports confidentiels émanant de l’inspection générale des finances, des services des Impôts, des douanes et des domaines, le trésor public et la Banque d’Algérie, la commission bancaire(16), etc., avec l’enrichissement de l’analyse des recherches dans la base de données de la cellule, et d’autres notifications fournies par des institutions établies en Algérie, ou éventuellement par des informations échangées avec des homologues étrangers. Bien que la CTRF ne soit pas habilitée à s’autosaisir ou examiner des dénonciations anonymes, à chaque fois que la déclaration est susceptible de constituer une infraction de blanchiment d’argent ou de financement du terrorisme, elle soumet le dossier au procureur de la République territorialement compétent aux fins pénales(17). Par ailleurs, le secret professionnel ou le secret bancaire ne sont pas opposables à la cellule (18). Sur recommandation du GAFI (19), la CTRF s’est affiliée au Groupe Egmont en juillet 2013, qui regroupe actuellement les cellules de renseignements financiers relevant de 167 Etats membres(20).
A suivre…
Boubaya