Enjeux géostratégiques et énergétiques

Projet Gazoduc Nigeria-Europe

La faisabilité du projet du gazoduc Nigeria-Europe, doit tenir compte des nouvelles mutations gazières mondiales pour évaluer sa rentabilité car les lettres d’intention ne sont pas des contrats définitifs. Comme le démontre une importante étude de l’IRIS du 19 août 2021, le gazoduc reliant le Nigeria à l’Europe, principal client qui doit se prononcer également sur ce projet, est l’objet d’enjeux géostratégiques importants pour la région. D’où l’importance, en ces moments de tensions budgétaires, d’avoir une vision économique réaliste.

Cinquièmement, la concurrence internationale qui influe sur la rentabilité de ce projet. Les réserves avec de bas coûts, sont de 45.000 pour la Russie, 30.000 pour l’Iran et plus de 17.000 pour le Qatar. En ce mois de juin 2022, Eni et TotalEnergies vont développer le plus grand champ gazier au monde au Qatar, où avec la mise en production du projet North Field East (NFE) – dont la phase d’expansion doit faire l’objet d’un investissement total de 28,75 milliards de dollars – est attendue avant la fin de l’année 2025, va permettre de porter la capacité d’exportation du Qatar de 77 millions de tonnes par an (MTPA) aujourd’hui à quelque 110 millions de tonnes par an. Il y a aussi, l’accord entre Moscou et Pékin pour la construction d’un gazoduc qui va relier la Sibérie à la Chine plus de 3.000 kilomètres, le coût de «Power of Siberia» étant estimé par Gazprom à 55 milliards de dollars.
Ce gazoduc traverse la Mongolie avec une capacité de 50 milliards cube par an soit quasiment le même volume que le fameux gazoduc Nord Stream 2 qui devait relier la Russie à l’Allemagne, le contrat s’étalant sur 30 ans pour la livraison de 38 milliards de mètres cubes par an à pour un montant d’environ 400 milliards de dollars. Dans ce contexte de concurrence internationale, nous avons aussi le gazoduc Israël-Europe, les importants gisements de gaz en Méditerranée (20.000 milliards de mètres cubes gazeux) expliquant les tensions entre la Grèce et la Turquie. Et l’Algérie est concurrencée même en Afrique, avec l’entrée en Libye, réserves d’environ 2000 milliards de mètres cubes non exploitées, et les grands gisements au Mozambique (plus de 4.500 milliards de mètres cubes gazeux). Outre les USA, premier producteur mondial avec le pétrole/gaz de schiste, avec de grands terminaux, exportant vers l’Europe, nous avons la concurrence en provenance de la mer Caspienne du gazoduc Trans Adriatic Pipeline (818 km ) concurrent direct de Transmed, qui achemine le gaz à partir de l’Azerbaïdjan qui traverse le nord de la Grèce, l’Albanie et la mer Adriatique avant de rallier, sur 8 km, la plage de Melendugno au sud-est de l’Italie, pouvant transférer l’équivalent de 10 milliards de mètres cubes par an. Mais les plus grands concurrent de l’Algérie en Europe seront d’abord la Lybie, proche de l’Europe, le Qatar avec ses grands GNL, et surtout la Russie,, en cas d’accords en Ukraine, avec des coûts bas où la capacité du South Stream de 63 milliards de mètres cubes gazeux, du North Stream1 de 55 et du North Stream2 de 55 milliards de mètres cubes gazeux,( actuellement gelé depuis les tensions avec l’Ukraine) (Conférence/débats du Pr Abderrahmane Mebtoul, à l’invitation de la Fondation allemande Friedrich Ebert et de l’Union européenne 31 mars 2021). Ne pouvant contourner toute la corniche de l’Afrique, outre le coût élevé par rapport à ses concurrents, le fameux gazoduc Sibérie Chine, le Qatar et l’Iran proche de l’Asie avec des contrats avantageux pour la Chine et l’Inde, le marché naturel de l’Algérie, en termes de rentabilité est l’Europe. Avec les tensions budgétaires que connaît l’Algérie, il y a lieu de ne pas renouveler l’expérience malheureuse du projet GALSI, le Gazoduc Algérie–Sardaigne–Italie, qui devait être mis en service en 2012, d’un coût initial de 3 milliards de dollars et d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux, devant approvisionner également la Corse, a été gelé par l’Algérie suite à l’offensive du géant russe Gazprom (conférence à la chambre de commerce en Corse A.Mebtoul en 2012 sur le projet Galsi). .Fortement dépendante des hydrocarbures, l’Algérie devra être attentive aux mutations énergétiques mondiales et notamment gazières (voir analyse développée par Pr A. Mebtoul dans la revue internationale gaz d’aujourd’hui Paris 2015 sur les mutations mondiales du marché gazier). La part du GNL représentant en 2021 plus de 40 % de ce commerce mondial contre 23 % à la fin des années 1990, n’est pas un marché mondial mais un marché segmenté par zones géographiques alors que le marché pétrolier est homogène, étant impossible qu’il réponde aux mêmes critères. Pour arriver un jour à un marché du gaz qui réponde aux normes boursières du pétrole, il faudrait que la part du GNL passe à plus de 80%. Là, rentabilité étant à moyen et long terme, tout dépendra de l’évolution entre 2022/2030/2040, de la demande en GNL qui sera fonction du nouveau modèle consommation mondial qui s’oriente vers la transition numérique et énergétique avec un accroissement de la part du renouvelable, de l’efficacité énergétique et entre 2030/2040 de l’hydrogène qui déclassera une grande part de l’énergie traditionnelle.

En conclusion, l’énergie, autant que l’eau, est au cœur de la souveraineté des États et de leurs politiques de sécurité, les nouvelles dynamiques économiques modifient les rapports de force à l’échelle mondiale et affectent également les recompositions politiques à l’intérieur des États comme à l’échelle des espaces régionaux. La stratégie gazière mondiale et notamment en Méditerranée principal, marché de l’Algérie, où la concurrence est acerbe, ne devant jamais oublier que dans la pratique des affaires et des relations internationales n’existent pas de sentiments mais, que des intérêts, chaque pays défendant ses intérêts propres
Pr des universités, expert international Abderrahmane Mebtoul
(Suite et fin)