Une histoire millénaire dans la résistance et l’édification de l’Etat-Nation : des Numides à l’indépendance du 5 Juillet 1962

Célébration de l’Indépendance du 5 Juillet 2022

Préambule
L’étymologie du nom en arabe, Al-Djaza’ir, rattache le nom aux îles qui faisaient face
au port d’Alger à l’époque et qui furent rattachées à sa jetée actuelle. Le terme d’île
pourrait selon des géographes musulmans du Moyen Âge désigner la côte fertile de
l’actuelle Algérie, coincée entre le vaste Sahara et la Méditerranée, apparaissant
alors comme une île de vie. En ce qui concerne Mezghenna, Tassadit Yacine rapporte
l’hypothèse d’une forme arabisée d’Imazighen, donnant au pays le nom originel
Tiziri At Imezghan, «Ziri des Berbères». Une autre étymologie situe son origine dans
le nom de Ziri Ibn Menad Djezaïr alors de Dziri du berbère Tiziri. L’appellation Algérie
provient du nom de la ville d’Alger qui dérive du catalan Aldjère lui-même tiré d’Al-
Djaza’ir, nom donné par Bologine Ibn Ziri, fils du fondateur de la dynastie Ziride,
lorsqu’il bâtit la ville en 960 sur les ruines de l’ancienne ville au nom romain Icosium,
Djezaïr Beni Mezghenna. Le nom en français, Algérie, utilisé pour la première fois en
1686 par Fontenelles pour qualifier la Régence d’Alger, est officiellement adopté le 14
octobre 1839 afin de désigner ce territoire faisant partie de la Côte des Barbaresques.
Ainsi, l’Algérie dans sa préhistoire est d’essence berbère et selon une version fréquente
aurait le sens d’Homme libre, de rebelle, mais dans le cadre d’une rébellion organisée.
Les Berbères sont un ensemble d’ethnies autochtones d’Afrique du Nord qui occupaient,
à une certaine époque, un large territoire qui allait de l’Ouest de la vallée du Nil jusqu’à
l’Atlantique et l’ensemble du Sahara. Ils y fondèrent de puissants royaumes, formés
de tribus confédérées. Connus dans l’Antiquité sous les noms de Maures, ou encore
Numides, l’Algérie connut la conquête romaine, l’invasion vandale, la conquête arabe,
la conversion à l’Islam, la conquête espagnole, ottomane et française. Mais depuis
de longs siècles, une conscience nationale algérienne s’est forgée, malgré bon nombre
de péripéties tout au long de son histoire.La population algérienne est estimée à 3 millions

d’habitants avant la conquête française de 1830.
Selon l’ouvrage Coloniser, exterminer de l’historien
Olivier Le Cour Grandmaison je cite : «Le
bilan de la guerre, presque ininterrompue entre
1830/1872 souligne son extrême violence ; il
permet de prendre la mesure des massacres et
des ravages commis par l’armée d’Afrique. En
l’espace de quarante-deux ans, la population
globale de l’Algérie est en effet passée de 3 millions
d’habitants environ à 2 125 000 selon certaines
estimations, soit une perte de 875 000 personnes,
civiles pour l’essentiel. Le déclin démographique
de l’élément arabe était considéré
comme bénéfique sur le plan social et politique,
car il réduisait avantageusement le déséquilibre
numérique entre les indigènes et les colons.
«Plusieurs observateurs s’accordent à dire que
la conquête de l’Algérie a causé la disparition de
presque un tiers de la population algérienne».
Guy de Maupassant écrivait dans Au Soleil en
1884 je le cite : «Il est certain aussi que la population
primitive disparaîtra peu à peu ; il est indubitable
que cette disparition sera fort utile à
l’Algérie, mais il est révoltant qu’elle ait lieu dans
les conditions où elle s’accomplit». Nous pouvons
scinder cette période historique en plusieurs
phases. Sous Louis Philippe 1erde 1830 à
1848, l’Emir Abd El Kader figure charismatique,
fondateur de l’Etat algérien selon certains historiens,
résista pendant de longues années à l’occupation
coloniale. Il attaque des tribus alliées
de la France et bat le général Trézel dans les marais
de la Makta près de son fief de Mascara dans
l’Ouest algérien. Il encercle la ville voisine d’Oran
pendant 40 jours. Arrivé en renfort de métropole,
le général Bugeaud inflige une défaite à Abd El
Kader.
Le traité de Tafna est signé le 30 mai 1837 entre
le général Bugeaud et l’Émir qui reconnaît la
souveraineté de la France. En échange de pouvoirs
étendus sur les provinces de Koléa, Médéa
et Tlemcen il peut conserver 59 000 hommes en
armes. L’armée française passe, en septembre
1839, les Portes de fer dans la chaîne des Bibans
territoire que l’émir comptait annexer. Abd El-
Kader, considérant qu’il s’agit d’une rupture du
traité de Tafna, reprend, le 15 octobre 1839 la
guerre contre la France le 16 mai 1843. Le 14 août
1844 le général Bugeaud écrase l’armée du sultan
marocain à la bataille d’Isly. L’armée marocaine
se replie en direction de Taza. Le sultan
s’engage alors à interdire son territoire à Abd El-
Kader en traitant avec la France. Le 23 septembre
les troupes d’Abd El Kader sortent victorieuses
lors de la bataille de Sidi Brahim engagée
par le colonel Montagnac. En décembre
1847, Abd El Kader se rend aux spahis (nomades
des régions steppiques de l’Algérie).
Placé en résidence surveillée pendant quatre ans
en France, l’émir fut libéré par Napoléon III, visita
plusieurs villes de la métropole avant de rejoindre
Damas et résida le restant de sa vie en
Syrie.
Le 11 décembre 1848, la Constitution de 1848
proclame l’Algérie partie intégrante du territoire
français. Bône, (Annaba actuellement)
Oran, Alger deviennent les préfectures de trois
départements français. Les musulmans et juifs
d’Algérie deviennent «sujets français» sous le régime
de l’indigénat. Le territoire de l’ex-Régence
d’Alger est donc officiellement annexé par la
France, mais la région de la Kabylie qui ne reconnaît
pas l’autorité française résiste encore. L’armée
française contrôle alors tout le nord-ouest
de l’Algérie. Les succès remportés par l’armée
française sur la résistance d’Abd el-Kader, renforcent
la confiance française, et permettent de
décréter, après débats, la conquête de la Kabylie
qui doit intervenir à l’issue de la guerre de Crimée
(1853 -1856) qui mobilise une partie des
troupes françaises. C’est à cette époque que
Fatma N’soumer la femme rebelle marqua une
grande résistance. Née en 1830, l’année même
de l’occupation française d’Algérie, en 1853, elle
avait 23 ans dans son Djurdjura natal. Elle est arrêtée
le 27 juillet 1857 dans le village de Takhliit
Ath Atsou près de Tirourda. Placée ensuite en
résidence surveillée à Béni Slimane, elle y meurt
en 1863, à l’âge de trente-trois ans, éprouvée par
son incarcération. En mars 1871, profitant de l’affaiblissement
du pouvoir colonial à la suite de
la défaite française lors de la guerre franco-prussienne
(1870-1871), une partie de la Kabylie se
soulève favorisée par plusieurs années de sécheresse
et de fléaux. Elle débute au mois de janvier
avec l’affaire des Spahis et en mars avec l’entrée
en dissidence de Mohamed El Mokrani qui fait
appel au Cheikh Haddad, le grand maître de la
confrérie des Rahmaniya.
La révolte échoue et une répression est organisée
par les Français pour «pacifier» la Kabylie
avec des déportations. À la suite d’un ordre qui
a été donné par l’armée de les envoyer en
France, les Spahis se soulèvent fin janvier 1871
à Moudjebeur et à Ain-Guettar, dans l’Est algérien
à la frontière avec la Tunisie. Le mouvement
est rapidement réprimé. Dès lors le seul moyen
de prévenir les révoltes, c’est d’introduire une
population européenne nombreuse, de la grouper
sur les routes et les lignes stratégiques de
façon à morceler le territoire en zones qui ne
pourront pas à un moment donné se rejoindre.
La loi du 21 juin 1871 (révisée par les décrets des
15 juillet 1874 et 30 septembre 1878) attribue 100
000 hectares de terres en Algérie aux immigrants
d’Alsace-Lorraine. De 1871 à 1898 les colons
acquièrent 1 000 000 d’hectares, alors que
de 1830 à 1870 ils en avaient acquis 481 000. Le
26 juillet 1873 est promulguée la loi Warnier visant
à franciser les terres algériennes et à délivrer
aux indigènes des titres de propriété. Cette
loi donne lieu à divers abus et une nouvelle loi
la complétera en 1887. Son application sera suspendue
en 1890. Le Code de l’Indigénat est
adopté le 28 juin 1881 distinguant deux catégories
de citoyens : les citoyens français (de souche
métropolitaine) et les sujets français, c’est-àdire
les Africains noirs, les Malgaches, les Algériens,
les Antillais et les Mélanésiens.
Le Code était assorti de toutes sortes d’interdictions
dont les délits étaient passibles d’emprisonnement
ou de déportation. Après la loi du
7 mai 1946 abolissant le Code de l’indigénat,
les autochtones sont autorisés à circuler librement,
de jour comme de nuit, et récupérer le
droit de résider où ils voulaient et de travailler
librement. Cependant, les autorités françaises
réussirent à faire perdurer le Code de l’indigénat
en Algérie jusqu’à l’indépendance en maintenant
le statut musulman et en appliquant par
exemple le principe de responsabilité collective
qui consistait à punir tout un village pour
l’infraction d’un seul de ses membres. L’Algérie
possède un nouveau statut en 1900 : elle bénéficie
d’un budget spécial, d’un gouverneur général
qui détient tous les pouvoirs civils et militaires.
Les principaux objectifs fixés par ce
plan sont la construction de 200 000 logements,
permettant d’héberger un million de personnes
; la redistribution de 250.000 hectares
de terres agricoles ; le développement de l’irrigation
; la création de 400 000 emplois industriels
; la scolarisation de tous les enfants en âge
d’être scolarisés à l’horizon de 1966 ; l’emploi
d’une proportion accrue de Français musulmans
d’Algérie dans la Fonction publique
(10%) ; l’alignement des salaires et revenus
sur la métropole ainsi qu’une d’industrialisation
s’appuyant à la fois sur des aides directes et indirectes
aux entreprises privées investissant
en Algérie (exemption de certains impôts, subventions
à l’investissement à hauteur de 10%),
et la mise en valeur des ressources en hydrocarbures
(pétrole et gaz naturel) découvertes
dans le Sahara, susceptibles de fournir des
ressources d’exportation et une énergie bon
marché. Malgré cela, l’indépendance devient
irréversible et en 1960 la semaine des barricades
à Alger fait 22 morts algériens et des centaines
de prisonniers. Lors du discours du 4 juin
1958 à Alger, le général De Gaulle sentait l’indépendance
proche par cette fameuse phrase «Je
vous ai compris !». Par la suite, il annonce la
tenue du référendum pour l’indépendance de
l’Algérie. Suite à cela, nait l’«Organisation armée
secrète (OAS)», également appelée Organisation
de l’armée secrète qui était une organisation
française politico-militaire clandestine
partisane, créée le 11 février 1961 après une rencontre
à Madrid entre Jean Jacques Susini et
Pierre Lagaillarde où elle émerge à Alger le 16
mars 1961 avec le slogan «L’Algérie est française
et le restera». Des attentats violents éclatent qui
toucheront également la métropole. C’est ainsi
que l’on assistera à la tentative du putsch des
généraux contre le général De Gaulle. En 1960,
l’ONU annonce le droit à l’autodétermination
du peuple algérien. Le côté français organise
des pourparlers avec le gouvernement provisoire
algérien. Plusieurs réunions à l’extérieur
du pays vont aboutir aux accords d’Evian.
Le 17 octobre 1961, la nuit noire débute à Paris,
appelée aussi la bataille de Paris avec le massacre
du 17 octobre 1961. Plusieurs Algériens
sont tués en métropole lors d’une manifestation
du FLN. Il y aura aussi des milliers d’arrestations
au sein des Algériens. Le tournant a été
les accords d’Evian qui sont le résultat de négociations
entre les représentants de la France
et du Front de Libération Nationale, accords signés
le 18 mars 1962 à Evian-les Bains (Haute
Savoie France) et se traduisent immédiatement
par un cessez le feu applicable sur tout
le territoire algérien.
Du côté algérien, nous avons la délégation du
FLN, Krim Belkacem, Saad Dahlab, Benmostefa
Benaouda dit Si-Aamar, Lakhder Bentobal,
Taïeb Boulahrouf, Mohamed Seddik Ben Yahia,
Seghir Mostefaï, Redha Malek, M’Hamed Yazid,
Ahmed Boumendjel et Ahmed Francis. Côté
français, il y avait Louis Joxe, Bernard Tricot,
Roland Cadet, Yves Roland-Billecart, Claude
Chayet, Bruno de Leusse, Vincent Labouret le
général Jean Simon, le lieutenant- colonel Hubert
de Seguins Pazzis, Robert Buron et Jean
de Broglie. Dans la foulée, le CNRA se réunit
à Tripoli (Libye) du 27 mai au 5 juin 1962 pour,
en principe, entériner les termes des accords
d’Evian.
Conclusion : l’importance du devoir de mémoire
pour préparer l’avenir. L’histoire est le
fondement de la connaissance et de l’action future
Pour clore cette brève analyse historique
certainement imparfaite, comment ne pas souligner
avec force, l’importance du devoir de mémoire
notamment entre l’Algérie et la France
afin de dépasser les faux préjugés, d’établir la
vérité afin d’éviter surtout que certains, des
deux côtés, de la Méditerranée instrumentalisent
l’histoire à des fins politiques ce qui permettra
d’entrevoir l’avenir, pour un devenir
solidaire. Évitons les polémiques stériles.
La jeunesse a besoin de connaître son histoire,
très riche, qui ne saurait se limiter à la période
contemporaine de 1963 à 2012.
Gloire à tous nos martyrs à travers notre
longue histoire, qui se sont sacrifiés pour une
Algérie prospère, où serait bannie l’injustice,
une Algérie fondée sur l’Etat de droit, la démocratie
tout en tenant compte de son anthropologie
culturelle.
(Suite et fin)
Professeur des universités Expert international
Dr Abderrahmane Mebtoul