L’émouvant récit de son pèlerinage à La Mecque, en avril 1964

Malcolm X

Placés sous le signe de l’infinie
dévotion, accomplir le Hajj et
se mêler à sa procession
unique au monde constituent
un aboutissement spirituel suprême,
d’une intensité telle qu’il peut métamorphoser
un homme, bouleverser sa
vision du monde et ébranler ses certitudes.
Malcolm X, alias al-Hajj, Malik al-Shabazz,
est revenu totalement transformé de son
grand voyage en Terre Sainte, en avril
1964. Il fut fortement impressionné par
le rayonnement planétaire de l’islam et
son arc-en-ciel d’origines brillant sous
toutes les latitudes. L’extraordinaire générosité
et ouverture d’esprit de ses innombrables
frères en Dieu, blancs et noirs
unis par des liens de fraternité indestructibles,
ont produit en lui un tel électrochoc
que ses opinions sur le racisme en
ont été chamboulées.
« Après l’illumination spirituelle que j’ai
eu le bonheur de recevoir à la suite de
mon récent pèlerinage à la cité sainte de
la Mecque, je ne souscris plus à aucune
accusation généralisée contre aucune
race. Je concentrerai désormais mes énergies
à vivre la vie d’un véritable musulman
sunnite », répétait-il avec insistance
à son retour en Amérique. Il affichait alors
une sérénité à toute épreuve, quelques
mois avant de connaître une fin tragique,
le 21 février 1965.
La magnifique lettre adressée par Malik
al-Shabazz à ses assistants de Harlem : «
Jamais, je n’ai connu d’hospitalité aussi
sincère ni de fraternité aussi bouleversante
que celles des hommes et des
femmes de toutes races réunis sur cette
vieille Terre Sainte, patrie d’Abraham, de
Mohamed et des autres prophètes des
Saintes Écritures. Durant toute la semaine
qui vient de s’écouler, j’ai été à la fois interdit
et charmé par la bonté et la gentillesse
déployées, autour de moi, par
des personnes de toutes les couleurs.
J’ai eu la chance de visiter la cité sainte
de la Mecque, j’ai fait sept fois le tour de
la Ka’aba, guidé par un jeune nommé Mohammed;
j’ai bu l’eau du puits de Zam-
Zam, j’ai fait sept fois l’aller-retour, en
courant, entre les collines de Safa et
Marwa. J’ai prié dans l’ancienne cité de
Mina et j’ai prié sur le Mont Arafat.
Il y avait des dizaines de milliers de pèlerins,
qui étaient venus de partout à travers
le monde. Ils étaient de toutes les
races, il y avait des blonds aux yeux bleus
et des noirs africains. Mais nous nous
soumettions tous aux mêmes rituels, dans
un esprit d’unité et de fraternité que mes
expériences, aux États-Unis, m’avaient
amené à croire impossible entre un Blanc
et un Noir.
L’Amérique a besoin de comprendre l’islam,
parce que c’est la seule religion qui
ignore le racisme. À travers mes voyages
dans le monde musulman, j’ai rencontré,
discuté et même mangé avec des gens
que nous aurions considéré comme des
Blancs, aux Etats-Unis – mais la mentalité
du Blanc était absente de leur esprit et
avait été remplacée par l’islam. Jamais
auparavant je n’avais vu une telle fraternité
réunissant des gens de toutes les
races.
Peut-être serez-vous renversés par ces
mots, surtout venant de moi. Mais ce que
j’ai vu et vécu au cours de ce pèlerinage
m’a obligé à réviser certaines idées qui
étaient miennes, à rejeter certaines
conclusions auxquelles j’étais parvenu.
Cela n’a d’ailleurs pas été très difficile.
Car, en dépit de mes fermes convictions,
j’ai toujours été un homme qui sait faire
face à la réalité et qui l’accepte, qui aime
vivre de nouvelles expériences et apprendre
de nouvelles choses. J’ai toujours
gardé un esprit ouvert, ce qui est nécessaire
à une flexibilité qui va de pair avec
toute quête intelligente de la vérité.
Au cours de mes onze derniers jours, ici,
dans le monde musulman, j’ai mangé dans
le même plat, bu dans le même verre,
dormi sur le même tapis et prié le même
Dieu que mes frères musulmans aux yeux
les plus bleus, aux cheveux les plus
blonds et à la peau la plus blanche qui
soient.
Dans leurs paroles comme dans leurs
actes, les musulmans « blancs » sont aussi
sincères que les musulmans « noirs »
d’Afrique, qu’ils soient du Nigéria, du
Soudan ou du Ghana. Nous sommes véritablement
frères. Parce qu’ils croient
en un seul Dieu, ils excluent de leur esprit,
de leurs actes et de leurs comportements
toutes considérations raciales.
J’ai pensé, en les voyant, que si les Blancs
américains admettaient l’Unicité de Dieu,
ils pourraient peut-être admettre également
l’unicité de l’homme et ils cesseraient
de s’affronter, de nuire à autrui
pour des raisons de couleur.
Le racisme étant le véritable cancer de
l’Amérique, nos «chrétiens» blancs devraient
se pencher sur la solution islamique
du problème. Solution qui a fait
ses preuves, et qui pourrait peut-être intervenir
à temps pour sauver l’Amérique
d’une catastrophe imminente – celle-là
même qui s’est abattue sur l’Allemagne
raciste et qui a fini par détruire les Allemands
eux-mêmes.
Chaque heure passée ici, en Terre Sainte,
m’a permis de mieux comprendre le problème
racial des États-Unis. On ne saurait
blâmer le Noir pour son agressivité dans
ce domaine : il ne fait que réagir à quatre
siècles de racisme conscient de la part
des Blancs.
Mais si le racisme mène l’Amérique au
suicide, je crois que les jeunes Blancs de
la nouvelle génération, ceux des universités,
verront ce qui crève les yeux, et
que nombre d’entre eux opteront pour
la vérité spirituelle. C’est le seul moyen
qu’ait encore l’Amérique d’éviter le désastre
auquel mène inévitablement le racisme.
Jamais, je n’ai été honoré comme ici. Jamais,
je ne me suis senti plus humble et
plus digne. Qui aurait cru qu’un simple
Noir américain serait comblé de tant de
bénédictions ? Il y a quelques nuits de
cela, un homme que l’on aurait appelé
un « homme blanc » aux Etats-Unis, un
diplomate de l’ONU, un ambassadeur, un
ami des rois, m’a gracieusement cédé sa
suite à l’hôtel, m’a donné son lit pour la
nuit. Jamais, je n’aurais même rêvé d’être
l’objet d’un pareil honneur, d’un honneur
qui, aux Etats-Unis, aurait été réservé à
un roi, et non à un Noir.
Louanges à Dieu, le Seigneur des
mondes ! ».
Sincèrement, El-Hajj, Malik Al-Shabazz
(Malcolm X).n
biographie La NR 7408 – Mardi 12 juillet 2022
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Malcolm X
L’émouvant récit de son pèlerinage
à La Mecque, en avril 1964
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