Histoire générale d’Alger

Lecture

Même s’il comporte des erreurs, voire des insuffisances, l’ouvrage est un plus non négligeable pour une meilleure connaissance de notre histoire, car en parlant d’Alger, l’auteur raconte toute l’histoire de notre pays et ce, depuis l’occupation romaine. Et pour peu qu’on ait acquis un niveau en histoire du Moyen Age, la lecture de ce livre nous intéresse à plus d’un titre et nous donne à découvrir des détails qui ont échappé aux nationaux, l’étranger ayant une capacité d’observation bien meilleure sur un environnement qui ne lui est pas familier. L’expérience nous a également appris que l’écrivain étranger, de quelque origine qu’il fût ou qu’il soit, dit toujours qu’il est intéressé par le paysage ou la population, alors qu’en réalité, il est historien, un homme d’écriture chargé d’une mission au service d’un Etat. Avant Haëdo, l’Algérie a vu passer Cervantès dont l’histoire a marqué notre pays. Il avait séjourné dans une grotte près du jardin d’Essai, dans la perspective d’une conquête espagnole, en sa qualité d’espion.

Alger, depuis les origines
Appelée Icosium, puis El Djazaïr et Alger, la ville, selon Haëdo, a été construite par Juba sous le nom de «Iol Césaréa» orthographié ainsi, alors qu’il doit probablement s’écrire sous la forme « Césarée » par référence à sa configuration d’îles ou d’ilot qui lui vaut d’être appelée par Juba «iol». En voulant apporter des précisions sur Alger au fil des siècles, l’auteur nous a fait faire un voyage dans l’histoire de l’Algérie depuis l’occupation romaine. Tous les acteurs de cette période ont été cités. César, Bocchus, Juba I et II, Jugurtha ont défilé dans le livre dont la publication remonte à la fin du 16e siècle. Quant à l’appellation «El Djazaïr», elle est arabe, et Diego de Haëdo retrace avec précision le contexte arabo-islamique dont l’Andalousie occupe une place importante. Ce qui explique pourquoi un grand nombre de toponymes, de mots du vocabulaire espagnol, de notions médicales héritées d’Ibn Sina, d’Ibn Rochd et d’autres sont d’origine arabe. Il y eut en Algérie la menace de colonisation des Espagnols avec un début d’occupation dans l’Oranie et la construction du Pénon comme forteresse pour mieux s’installer. C’est pourquoi on a fait appel aux frères Barberousse et on connaît la suite racontée brièvement en trois pages.

Alger, ville fortifiée par des remparts
Qui n’a pas entendu parler de fort l’Empereur mais appelé autrement du temps des Turcs, des portes Bab El Oued, Bab Azzoun, Bab Edjedid. Diego de Haëdo décrit les lieux tels qu’il les a découverts entre 1578 et 1581. Il y a d’abord la ville qui correspond à la Casbah d’aujourd’hui, installée sur un flanc de montagne très escarpée et formant un ensemble circulaire de maisons en terrasses et peintes en blanc comme dans les villes portuaires du bord de la Méditerranée. Haëdo a consacré un chapitre aux murailles et il les décrit dans toute leur circularité, en insistant çà et là sur les arcs de cercle imposants. Il semble avoir été bien informé sur la construction récente de la ville, en citant les noms des acteurs. A la fin de ce chapitre, il dit : « En 1573, le pacha Arab Ahmed compléta ce travail en faisant enceindre d’un mur d’ilot, à l’exception de la partie méridionale qui comprend le port. Ce mur est beaucoup plus bas que celui du môle, c’est plutôt une sorte de parapet pour qu’en temps de guerre, l’ennemi ne puisse pas débarquer sur l’îlot et se rendre maître du port». Tout autour, des bastions armés chacun de quelques pièces d’artillerie. C’est le cas du bastion de Bab El Oued pourvu d’une tour percée de six embrasures.
L’écrivain spécialisé en histoire donne des détails importants sur les murs d’enceinte et les bastions. C’est à croire qu’il a sous les yeux une carte de géographie indiquant les lieux et leurs dimensions exactes. Ainsi, il nous dit que Bab El Djezira est surmontée d’un grand bastion, de 30 pas sur une largeur de 40 ; il est terrassé et casematé sur les points les plus importants. Et en dehors des murs d’enceinte des châteaux forts dont un peut être encore visité à Tamenfoust et qui a été conservé à la perfection, y compris le fossé d’enceinte et le pont-levis. Ces châteaux sont appelés Bordj, nom d’origine maure. Que de bordjs existent encore comme Bordj El Kiffan, Bordj el Bahri, Bordj Menaiel. A l’origine, c’est un château à cour intérieure et dont les murs sont percés de lucarnes en moucharrabieh. Il est pourvu d’une citerne et de tout le nécessaire pour permettre une vie en parfaite autonomie, à l’image de la ville turque entourée d’un mur d’enceinte. Parmi les centaines de bordjs cités, il y a ceux qui étonnent par leur appellation à fortes connotations comme Bordj Setti Takelilt, démoli en 1853 sous l’occupation française. Les démolisseurs pensaient pouvoir trouver quelques pièces de valeur mais ce fut la déception générale. Tout le reste du livre porte en une quarantaine de chapitres très courts mais assez complets sur les rues d’Alger pourvues de souks, des traditions vestimentaires du 16e siècle, les mœurs et coutumes, les marabouts, les cérémonies nuptiales et funèbres, les fontaines d’Alger. Un livre qu’on peut lire avec beaucoup de délectation lorsqu’on aime les vestiges historiques signifiant que dans les siècles passés il y a eu des bâtisseurs et des guerriers qui ont eu à sauvegarder un patrimoine par des luttes qu’ils ont menées au péril de leur vie. Un voyage dans l’histoire qui permet de se ressourcer, de redonner de la force à ceux qui aiment leur pays et qui restent fiers de leurs origines.
Le livre de Diego Haëdo ne vaut que parce qu’il fait la description d’Alger au 16e siècle, il comporte des erreurs, pour ne pas dire beaucoup d’insuffisances, mais il peut à lui seul nous faire aimer Alger des siècles passés, mais surtout à mieux nous préparer pour l’avenir. Aimé Césaire avait raison de dire : pour mieux comprendre le présent et se préparer pour l’avenir, il convient de bien connaître son histoire.
Topographie et histoire générale d’Alger Ed Bouchene, septembre 2000, Diego de Haëdo, traduit de l’espagnol par Dr Monnereau et A. Berbrugger, 238 pages.
Abed Boumediene