L’oralité comme savoir ou comme élément du savoir d’une société ancienne

Traditions orales et transmission des connaissances

Ainsi, l’oralité était l’unique moyen de véhiculer les nouvelles quotidiennes et le savoir collectif Notre but est de remuer le passé pour retrouver d’où nous sommes venus, ce qu’étaient nos ancêtres et comment ils faisaient pour retrouver leurs racines.
Jadis, toute la tradition, dans tous les domaines, se transmettait de bouche à oreille ; il n’y avait ni journal, ni radio, premiers médias ayant commencé aux siècles passés, en Europe. Nos anciens parlaient dans une langue populaire, genre «dardja», extrêmement riche et bien travaillée au fil des siècles par ses utilisateurs qui en ont fait leur unique outil de communication, et en tant qu’unique outil de relation humaine, elle a fait l’objet de soins exceptionnels pour en faire un moyen performant de communication entre les individus d’une même localité ou entre deux villages ou villes plus ou moins éloignés. Et ce qui caractérise cette langue, c’est qu’elle n’avait pas de support écrit et ceci n’était pas qu’un inconvénient, puisque cela n’a pas empêché d’évoluer vers le meilleur par la formation de plusieurs niveaux allant du niveau recherché réservé à ceux qui en étaient familiers par leur capacité à pouvoir s’exprimer dans un style correspondant à ce niveau, au niveau vulgaire de ceux qui parlent la langue courante, en passant par le niveau familier, celui que tout le monde emploie pour véhiculer au quotidien des informations, informer sur ce qui est à faire, donner des consignes, demander conseils ; bref, tout ce qui peut inciter un individu à prendre la parole. Quand on parle en public, on doit faire attention pour ne pas être la risée de tous. Chacun doit faire l’effort de bien dire ce qu’il a envie de dire, sinon on risque d’être mal jugé, de perdre la face et d’être classé à vie comme un mauvais locuteur. C’est dur, voire dramatique que de ne pas savoir parler pour exprimer ce qu’on désire. Maintenant qu’on a défini l’oralité dans ses grandes lignes, on peut en parler comme savoir. C’est par l’oralité qu’on se transmettait jadis les recettes médicinales que les vieilles, qui avaient l’expérience de la nature et connaissaient parfaitement les vertus thérapeutiques des plantes et éléments naturels. C’est par l’oralité qu’on acquérait les chansons et la poésie orale dont certaines étaient de vraies chefs d’œuvre qu’on éprouvait le désir de garder en mémoire.

Oralité comme savoir
Elle est le savoir dans la mesure où elle est elle-même faite de connaissances acquises oralement au fil du temps, et des connaissances dans tous les domaines du savoir : langage de la quotidienneté appris par la pratique au contact de ceux qui l’ont appris plus ou moins bien en côtoyant le monde dans toute sa diversité. On n’a qu’à faire une comparaison entre celui ou celle qui participe aux discussions des groupes aimant débattre de divers problèmes et celui ou celle qui reste renfermé parce qu’il ou elle a été éduqué ainsi et qui hésite à prendre la parole par peur de ne pas savoir bien dire ce qu’il ou elle a à dire, ou parce qu’il ou elle n’a rien à dire en laissant aux autres le soin de dire ce qu’il a à dire, ou tout simplement préfère garder le silence à la manière des grands penseurs de l’antiquité qui jugent préférable de garder le silence pour diverses raisons. L’oralité, c’est aussi ce qu’on a appris oralement comme connaissances dans tous les domaines : agriculture, médecine traditionnelle, versification, recettes curatives, médecine des animaux, médecine végétale, gastronomie, tissage sous toutes ses formes, travaux manuels et artisanat dans toute sa diversité, jeux divertissants. Un érudit est celui qui avait des connaissances bien acquises dans bien des domaines ; il est perçu par tous comme une référence que l’on consulte souvent pour avoir quelque explication sur d’éventuelles questions d’intérêt personnel ou collectif et cela à une époque où ce genre de personnes était vénéré pour leur vaste champ des connaissances.
Dans la tradition, ce genre de personne qui avait acquis au fil des années un savoir immense dans divers domaines, était admiré pour leur mémoire prodigieuse qui leur permis d’emmagasiner oralement des connaissances. Mais on était dans le domaine de l’oralité où l’amas de connaissances mémorisés par une minorité d’hommes et de femmes du savoir, est menacé de disparition. Qu’est ce qui nous reste aujourd’hui comme vestiges de ces périodes au cours desquelles tout s’apprenait oralement, à défaut de ne pouvoir les transcrire, étant donné qu’on n’était pas encore au stade de la tradition écrite.

Ce qu’on entend par éléments
de la tradition orale
Les éléments de l’oralité, c’est l’ensemble des centres d’intérêt, sinon les thèmes auxquels les anciens s’intéressaient qui sont de vastes champs d’investigation. Prenons un exemple, les recettes culinaires de l’ancien temps et dont nous avons retrouvé quelques modèles chez les plus vieilles de nos femmes. Il y a quelques vieilles grands-mères, éléments qui ont gardé toutes leurs connaissances et qui ont frisé cent ans tout en restant lucides. C’est auprès de ces vieilles que des investigateurs intéressés ont pu glaner quelques restes de recettes anciennes. Ces vieilles se nourrissaient de soupes aux plantes de saisons dites plantes sauvages, à l’exemple de l’ortie qui était pourtant piquante mais devenait délicieuse et pleine de vertus quand elle était mélangé au pourpier qu’on trouve en abondance dans la nature, à la mélisse, à la menthe sauvage, à la mauve que l’on rencontre partout dans les endroits humides ainsi que la guimauve connue pour ses vertus laxatives. Concernant toujours les recettes de cuisine, il y a un plat économique, qui apaise la faim et qui s’accommode de tous les accompagnements, c’est le plat de couscous qui peut être fait avec la semoule de blé ou d’orge, sinon de glands en période de disette. Un étudiant en alimentation traditionnelle a élaboré une thèse de magister et a dénombré prés da quarante recette pour sa préparation. Nous connaissons le couscous consommé habituellement avec le bouillon dans toute sa diversité, le couscous aux blettes ou aux pourpiers, aux fèves et aux légumes de saison dont beaucoup d’hommes et de femmes raffolent surtout quand il est bien huilé ou beurré. Certains le consomment avec le beurre fondu et le sucre glace, garni ou non de viande.
Les Tunisiens de Djerba le consomment bien avec le poisson. Les vieilles femmes sont là-dessus bien placées, elles ont le don de lui trouver un accompagnement idéal qui le rende très bon à manger, par exemple le couscous qui va avec l’omelette, avec le melon ou la pastèque qui se mange agréablement.
D’origine maghrébine, le couscous s’est beaucoup diversifié en s’exportant. Il est maintenant très connu dans le monde entier. Mais partout où il a élu domicile, il n’y a pas d’école qui enseigne la préparation du couscous, toutes les recettes ont été transmise par la voie orale des connaisseurs aux novices, des vieux aux jeunes et ce, depuis la nuit des temps, et ceci est valable pour toute la cuisine traditionnelle et les métiers traditionnels. Là où l’oralité a joué son rôle, c’est aussi et surtout dans la transmission des arts traditionnels comme le tissage, la broderie, très courants dans la société traditionnelle et indispensables à la vie. Réservés exclusivement à l’élément féminin et classés dans la catégorie des arts existant depuis longtemps et perpétués par la seule voie de l’oralité, le tissage et la broderie, comme dans l’art culinaire, les plus expertes en la matière, généralement des mères de jeunes filles, doivent faire leur travail en présence des jeunes venant spécialement pour s’initier aux diverses opérations devant conduire à la confection d’une couverture, d’un burnous, d’une pièce à broder et ce, d’autant plus que les jeunes filles bien préparées à la cuisine et aux arts traditionnels ont plus de chance de trouver les meilleurs partenaires au mariage. Si ces jeunes ont le don de bien faire et à la faveur de leur volonté, elles assimilent très vite ce qu’on leur enseigne à la maison de leurs parents. Quelques unes d’entre elles ne se contentent pas uniquement d’apprendre ce qui leur est enseigné, mais elles arrivent à innover en découvrant d’autres manières de travailler et des moyens d’améliorer le travail. Et avec elles, les motifs sont mieux faits et les produits sont d’une finesse admirable.

Oralité dans la communication au quotidien
La manière de parler place chacun dans l’échelle hiérarchique et lui donne une étiquette. Prenons l’exemple du commerçant sensé être au sommet de la pyramide parce qu’il reçoit du monde chaque jour ; il est pour sa notoriété obligé de soigner son langage, en essayant d’être poli avec tous les publics pour se faire une bonne clientèle. Un langage basé sur le respect des règles de politesse est primordial pour avoir d’excellents rapports avec son public d’acheteurs.
La pratique du bon langage orale exige de celui qui a la volonté de l’acquérir une bonne initiation auprès des grands maîtres ayant un haut niveau sur le plan de l’oralité qui connait des niveaux différents allant du niveau relâché au niveau oratoire, celui de la poésie orale et des beaux parleurs en passant par le niveau familier. Parler est un art pour celui qui parle utilement avec l’intention de bien se faire entendre pour inciter à réagir intelligemment et finir en bons termes. Il y a un adage populaire de chez qui dit qu’une bonne parole ne peut que susciter une réponse très poli. Tel est la magie de l’oralité qui peut se présenter sous la forme de poème bien rimé et rythmé, de texte oral capable de reconstituer des évènements et des histoires merveilleuses, c’est aussi dans l’oralité que les artistes trouvent les moyens linguistiques nécessaires à l’élaboration de leurs chansons.

Boumediene Abed