Une œuvre d’art donne toujours quelque chose à comprendre

Il faut les interroger après les avoir bien contemplés

On peut dire qu’une œuvre d’art donne non seulement quelque chose à comprendre, mais elle est sujette à un long commentaire. Il suffit de bien l’observer pour bien comprendre la portée exacte de chaque élément esthétique constitutif d’un ensemble décoratif. L’auteur de l’objet est attentif au moindre détail pouvant apporter du sens, que ce soit dans les formes ou dans les couleurs très nuancées, ceci dans les tableaux à caractère narratif. C’est extraordinaire ce que cela apporte de détails utiles pour mieux comprendre l’histoire de la colonisation française à ses débuts au 19ème siècle, racontée à son époque, par les tableaux réalisées par le peintre écrivain Delacroix qui vous donnent par l’image tout ce qui concerne la vie des femmes arabes dans les intérieurs de maisons. «On apprend à devenir le maître du silence et de l’effacement », phrase relevée chez Fromentin, autre peintre écrivain qui a voulu parler du Français colonisateur qui par sa tenue vestimentaire et son habitation renfermant toutes les commodités, efface l’arabe colonisé mal habillé et vivant dans un gourbi. La peinture est aussi un moyen de relater par les couleurs les batailles livrées par l’Emir Abdelkader à l’armée coloniale d’occupation. Les toiles réalisées et avec beaucoup de talent avaient cet avantage de pouvoir décrire la réalité de l’époque avec les couleurs naturelles par rapport au cinéma ou à la photographie en noir et blanc ou au texte historique qu’il fallait savoir déchiffrer, à condition de l’avoir à portée de la main. Les tableaux permettaient de visualiser la plupart des évènements vécus dans la douleur pour nos ancêtres du 19ème siècle. Pour les nationaux, il fallait attendre la fin du 19ème ou le début du 20ème siècle pour voir apparaitre les premiers artistes sachant utiliser adroitement le pinceau pour décrire, présenter, narrer l’actualité d’une époque, c’est déjà un miracle que de savoir parler des évènements d’une période donnée. A côté des couleurs, il y avait l’art de versifier oralement émanant de ceux qui n’écrivaient pas et s’adressant à ceux qui ne savaient pas lire, pour dire ce dont souffrent tout le monde et un autre travail d’artiste fait avec habileté, la poterie , domaine artistique et de production d’objets à usage domestique.

Les produits picturaux sont d’origine artistique à vocation narrative
On peut les interroger après les avoir bien contemplés pour contenu riches en détails significatifs et capables de vous narrer des évènements, voire une époque. Ce que font les tableaux du peintre Etienne Dinet appelé, après sa conversion à l’islam, Nacerdine Dinet, grand peintre parisien arrivé en Algérie, sitôt qu’il a obtenu ses diplômes à l’école des Beaux Arts de Paris comme artiste peintre. Il est allé à Bou Sâada où l’environnement l’avait captivé par ses fortes et pures couleurs ; il y passera toute sa vie et en tant que musulman peintre renommé qui a su honorer la population par ses tableaux consacrés essentiellement à cette région sud, les habitants lui ont rendu la réciproque en lui érigeant un mausolée à sa mémoire. Ainsi se considérant comme l’un des leurs, il s’est consacré corps et âme à sa région d’adoption, Bou – Sâada, dont il a mis en relief ce qu’elle de plus beau. Là, c’est un marchand de légumes tendant son bras pour offrir un fruit, probablement une orange parce qu’elle en a la forme et la couleur, à une mendiante portant sur le dos un bébé, la femme et l’enfant étaient en apparence habillés de guenilles, l’auteur a su rendre dans le même tableau cette scène poignante. Et le pinceau de l’artiste jouant avec les couleurs afin qu’elles ne perdent rien de leur netteté n’ont rien omis des éléments de ces espaces de l’ancien temps, vêtements du marchand, de la femme venue lui rendre visite avec un petit sur le dos, de l’étal de paniers contenant les produits locaux reproduits, y compris les denrées suspendues : des dattes, de l’ail, probablement des piments rouges, et cela avec la grande exactitude et au-delà, on voit l’extérieur couvert de soleil avec sa luminosité qui vous oblige parfois à fermer les yeux pour l’éblouissement qu’il peut provoquer. Plus loin, il s’agit d’une assemblée d’hommes de religion assis sur de grandes nattes posées à même le sol. Leurs têtes couvertes d’un turban pour les uns, de capuchon de burnous pour les autres, sinon de chéchias rouges, c’est la tenue traditionnelle de l’époque dans la localité.
Une peinture parfaite des visages d’hommes de religion assis sur de grandes nattes en rafia pour un évènement important, réciter le Coran à l’occasion d’une fête ou des funérailles. Ce que Fromentin et Delacroix, écrivains, artistes peintres de la période coloniale venus en Algérie s’intéressent à ce genre de situations apparentées à l’orientalisme et inconnues dans leur pays d’origine. Les deux hommes de lettres joignant l’écriture au pinceau, racontent toutes sortes de situations extraordinaires et insolites moyennant deux domaines artistiques complémentaires, la peinture et le texte.

Un autre domaine artistique et artisanal propre aux méditerranéens : la poterie
Elle remonte à la nuit des temps et les artistes de toutes les générations ont fait du mieux qu’ils ont pu pour répondre aux usages domestiques ainsi qu’aux besoins artistiques. Surtout dans les temps ancien où il n’existait pas de porcelaine et autres matières comme l’aluminium pour façonner divers objets répondant aux besoins d’intérieurs de maisons. Depuis les plus lointains ancêtres, on a su préparer la terre glaise dans toute sa diversité, la façonner, faire cuire les objets dans des fours traditionnels, décorer chaque objet à l’aide d’une diversité de motifs habilement reproduits sur chaque objet, une manière de faire porter la signature de l’artiste. Une exposition de poteries anciennes vous fait découvrir une diversité de talents dans le temps et l’espace. Il y en a une fois à El Achour, Cité Sahraoui qu’il a fallu chercher longtemps pour la trouver, une grande salle aménagé pour ce genre d’évènement et c’en est un puisque nous avons eu l’honneur de découvrir des poteries de toutes les régions d’Algérie : on a vu des poteries anciennes de Batna, de Ghardaia, de Tlemcen, de Kabylie et d’un peu partout, une diversité de productions artistiques anciennes produites selon le même processus.
D’une région à une autre, pour des besoins spécifiques, il y a différentes il y a différentes formes d’ustensiles. Quant aux motifs décoratifs, chaque région a les siens reproduits après cuisson sur chaque ustensile, généralement, avec une terre liquide d’une autre couleur et qui se prête admirablement à tous les motifs décoratifs. Et, contrairement, à ce l’on pense chaque motif a un sens. Ceci est valable pour toutes les poteries des pays entourant le bassin méditerranéen, il y a des similitudes frappantes concernant les motifs et quelques différences en Tunisie, Egypte, Libye, Grèce, surtout l’île de Crète et le sud de l’Italie particulièrement la Sicile et la Sardaigne sur les méthodes de travail ; ces pays d’Europe du sud utilisent le tour traditionnel qui sert à façonner les objets alors que chez nous, on a coutume d’utiliser le tour à pédale de fabrication locale, pour travailler le bois. La poterie chez nous a toujours été un travail de femmes comme le tissage qui est resté un domaine exclusivement féminin, c’est de vraies femmes artistes qui au fil des générations ont su travailler courageusement la laine pour tisser les plus beaux burnous, ainsi que les tapis et les grosses couvertures en multicolore ornées des plus beaux motifs décoratifs ou en blanc uni ; ces artistes femmes manient avec aisance le rouet, sorte de machine traditionnelle qui set à filer le fil de laine ou de chanvre, mise en mouvement à l’aide d’une pédale et qui fonctionne exactement comme le tour en poterie ou les ustensiles en bois.

Œuvres essentiellement orales de poètes d’expression populaire
C’était au début de la colonisation, des œuvres orales souvent anonymes composées en parlers régionaux par des poètes qui avaient le verbe facile et versifiaient aussi facilement pour composer des chants, souvent polyphoniques. C’est une tradition ancienne véhiculée par les anciens, sous la forme de récits oraux sur des faits de guerre anticoloniale qui met en valeur les mérites de nos combattants comme Bouamama ou EL Mokrani, auteurs de soulèvements. Ces récits sont versifiés pour être chantés par tous. Cette tradition a existé sous la forme de productions orales, de mythes et légendes qui se transmettent sous formes de poésies chantées, réseaux de valeurs qui enserre les personnes et les incitent à passer aux actes. C’est une oralité exprimée en arabe populaire ou en parlers régionaux. Il arrive qu’elle soit prise par une chaîne de transmetteurs, les meddah particulièrement doués pour ce type de langage et la mémorisation des œuvres de valeur. Les meddahs ont existé en Europe ancienne et sont appelés les aèdes. Les Africains ont leurs siens propres connus sous le nom de griot ou griotte au féminin.
Boumediene Abed