Demeurer la mémoire tout en incarnant le futur

Patrimoine

Avoir de vastes connaissances du passé et des perspectives futuristes, tel est le modèle d’homme idéal que l’on souhaiterait devenir.Demeurer la mémoire, c’est incarner le patrimoine culturel et historique commun à la société ou à l’ensemble d’une communauté, c’est représenter toute la sagesse populaire, accumulée depuis la nuit des temps, elle constitue le fruit de siècles de travail des Anciens sur le plan du savoir et de la connaissance. Dans la tradition, la mémoire se nourrit au jour le jour des évènements importants que chacun se fait le devoir de retenir, des productions généralement orales en littérature où il s’agit essentiellement de la poésie engagée ou de récits de guerre ; bref de tout peut enrichir de prés ou de loin l’héritage moral et culturel comme l’histoire des toponymes, de chaque lieu public ou privé ou l’histoire des villages et des familles. Mais, on ne peut se contenter d’être conservateur du passé, il faut avoir des perspectives futuristes, vivre au rythme du monde moderne et être de son temps. On vous rapporte une belle anecdote qui illustre bien l’actualité. Un artisan armurier d’une époque lointaine avait reçu beaucoup de clients dont certains venaient d’assez loin. L’artisan qui était tout le temps affairé, discutait avec eux tout en veillant scrupuleusement à ses commandes quand tout à coup son petit enfant rentra dans la boutique. C’est ton fils lui dit un des visiteurs, c’est mon fils lui répond l’artisan, que Dieu te le garde et fasse de lui un artisan habile comme toi lui ajouta-t-il, non ! Rétorqua l’artisan, si tu m’aimes bien, souhaite lui d’être de son temps. Cette anecdote montre à quel point cet artisan qui était aussi artisan du langage était moderniste parmi les traditionnalistes. Pétri de traditions anciennes, il pensait néanmoins qu’il fallait évoluer au rythme des chercheurs de son époque qui travaillaient sans relâche pour le progrès scientifique et technique.

Ce que signifie : «Demeurer la mémoire».
Cela signifie être détenteur du patrimoine collectif accumulé depuis des générations. Ce patrimoine collectif consiste en un amas de connaissances et de productions personnalisées sur des domaines divers : poèmes à caractère engagé ou religieux, légendes à portée morale et sociale, récits historiques se rapportant aux héros nationaux, sinon aux invasions ou aux conflits entre tribus, on peut parler de légendes des siècles comme il en existe un peu partout dans le monde. Chez nos aïeux, il y avait des gens, hommes ou femmes qui avaient réussi à mémoriser tout le patrimoine commun à un pays ; ainsi ils deviennent une référence pour celui qui cherche à avoir des précisions sur un évènement ou un illustre personnage. Il s’agit de véritables bibliothèques vivantes que l’on pouvait consulter à loisir. Il y en avait qui s’étaient spécialisés dans le domaine de la médecine traditionnelle qui était essentiellement végétale, d’autres étaient renommés pour la cuisine ancienne réputée pour ses multiples bienfaits sur la santé de ses consommateurs. Il reste encore quelques unes des recettes de cuisine, à base d’herbes sauvages, qui se sont avérées efficaces à ceux qui les ont reconstituées parce qu’elles ont été transmises par la voie orale. Tout ce riche patrimoine mérite d’être sauvé de l’oubli moyennant des écrits sous des titres divers d’anthologies des œuvres orales anciennes afin que les futures générations puissent connaitre le passé pour mieux comprendre le présent et se prémunir pour l’avenir. Et pourquoi pas des anthologies des poèmes anciens et des proverbes de grande valeur. Abdelkader Djeghloul a beaucoup fait dans ce domaine. On aurait souhaité voir une anthologie des productions littéraires d’expression orale, sinon de la poésie anciennes d’avant Ben M’sayeb, ou Ben Fodil, Ben Guitoun et de leur contemporains. Cela donnerait aux hommes et femmes de lettres intéressés beaucoup de lectures enrichissantes avec des thèmes extrêmement variés allant de la poésie engagée en passant aux problèmes sociaux et personnalisés. Dans l’oralité, masculine et féminine, la chanson a occupé au fil des générations le devant de la scène à caractère revendicatif. Les auteurs qui ont composé les paroles ont voulu surtout valoriser le genre et cela va dans le sens de l’encouragement des masses populaires, comme jadis les anciens esclaves noirs d’Afrique déportés en Amérique, qui chantaient le blues dans les plantations de coton, cela dans le but d’oublier leurs peines avec en perspective l’espoir d’une libération. Beaucoup de vieux hommes de chez nous à l’exemple de monsieur Sahnouni, dans les siècles passés, et doués pour la parole, ils se sont essayés aux fables avec comme personnages des animaux domestiques et sauvages dont le but était de donner des leçons de morale et leur travail a été jugé admirable. Ces fables ont été transmises de bouche à oreille au fil des siècles et anonymement. En oralité, on véhicule les fables au gré des circonstances sans se préoccuper des noms d’auteurs, exactement comme pour les proverbes, maximes, adages populaires qui ont circulé anonymement, dans les temps anciens, comme s’ils étaient tombés du ciel. Imaginons quelqu’un qui a, dans l’ancien temps, mémorisé toute la production orale comme la poésie et les contes divers et en nombre incommensurable comme chez grand-mère qui a occupé une place importante surtout auprès des enfants et de tous les publics. Ces hommes et femmes qui avaient pu emmagasiner toute cette production orale mérite largement l’appellation d’encyclopédie, tant ils étaient de vraies écoles auprès de qui on pouvait apprendre tous les jours et beaucoup de choses.

Etre conservateur du patrimoine tout en étant à vocation futuriste
Cela remonte à un peu plus d’un siècle, cela est une répétition de ce qui a été relaté précédemment, lorsqu’un artisan sachant travailler le fer et le bois a reçu dans son atelier des clients venus, d’ailleurs, pour de menus travaux et qui profitaient pour discuter utilement avec l’artisan qui était aussi artisan du langage, quand tout à coup, un petit enfant de deux à trois ans fit irruption dans l’atelier. C’est ton fils lui demanda l’un d’entre eux, c’est mon fils lui répondit l’artisan et un autre visiteur enchaina immédiatement pour lui dire, que Dieu vous le protège et fasse qu’il devienne comme vous. Non, rétorqua l’artisan, si vous m’aimez vraiment, faites des vœux pour qu’il devienne quelqu’un de son temps. Et le fils super intelligent a fait de brillantes études qui l’ont éloigné du métier ancestral en l’orientant vers la Sorbonne et au métier honorable de professeur. Normalement les générations se suivent, mais ne se ressemblent pas, chacune doit essayer de faire mieux que celles qui l’ont précédée. De nombreux pays évoluent dans le sens du progrès tout en essayant de ne rien perdre des traditions anciennes tout en étant en compétition sur le plan scientifique et technique. On prend comme exemple le Japon dont la population est attachée depuis la nuit des temps aux traditions anciennes tant sur le plan culturel, vestimentaire que dans l’art culinaire et les rites anciens, gardiens des valeurs sociales et de la personnalité des origines tout en étant à la pointe du progrès et bien connectés vers les dernières découvertes scientifiques et techniques. Le Japon est connu pour être le meilleur sur le plan de l’électronique et de la construction navale. On peut ajouter qu’il l’un des pays à avoir su concilier le traditionalisme et le modernisme. En effet, on ne peut pas être que conservateur de tout ce qui est traditions, il faut suivre son temps comme l’a si bien dit le vieil artisan alors que le monde évolue à un rythme effarant vers le progrès scientifique et technique. Et que n’a-t-on pas dit sur l’intelligence artificielle, la luminothérapie, les opérations chirurgicales à distance, etc. On ne peut arrêter le progrès à un rythme tel qu’on devrait s’attendre à de fantastiques inventions qu’il est même impossible d’imaginer. Qui aurait dit-il y a seulement trois décennies que chacun aurait un jour un téléphone personnel pour appeler ou recevoir des appels et que l’on peut porter dans la plus petite pochette d’une chemisette. Même la tablette n’est pas lourde, pourtant quelle merveille, elle vous met en relation avec ceux qui vivent loin, même à des milliers de kilomètres de chez vous ; de plus elle vous ouvre de larges horizons. Qui aurait imaginé, Il y a deux décennies en arrière qu’on pouvait un jour parler à un être cher en le regardant vous parler tel que vous l’avez connu alors qu’il est au Canada ou en Amérique et qui aurait imaginé, seulement en l’an 2000 qu’il arriverait un jour où on pourrait voir en direct quelqu’un des siens en train d’accomplir les rites du hadj. Et cette merveille qu’est l’internet qui vous met en rapport avec tout ce que vous pouvez désirer : le nom d’une capitale ou des renseignements sur une personne illustre, un pays, un livre, tout document historique qui pourrait vous aider à la recherche dans un domaine. La science et la technologie avançant à pas de géant nous promettent pour un avenir proche d’autres merveilles que nous ne pouvons pas imaginer. Donc on ne voit pas comment on ne peut être que des conservateurs et la réalité nous oblige à nous asseoir sur deux mondes, celui des traditions et celui des dernières inventions et découvertes. En réalité, il suffit d’avoir de la volonté et de la ténacité pour ne rien perdre du patrimoine et pour être aussi à la pointe du progrès comme l’ont fait les Japonais.
Boumediene Abed