Le tourisme au « Bled » pour sauver les grandes vacances

Cherté en Tunisie et l’alternative trouvée par les Algériens

On est loin des millions de touristes algériens qui débarquaient chaque année en Tunisie. Rouvertes en grandes pompes le 15 juillet passé après plus de deux années de fermetures à cause de la propagation de la pandémie du Covid-19, les frontières terrestres algéro-tunisiennes n’ont pas drainé la grande foule, contrairement aux périodes d’avant Covid-19, où le nombre des touristes algériens dépassait la barre des deux millions chaque saison estivale. La cause de cette baisse est la cherté infernale des séjours en Tunisie, où les prix affichés par les Agences de voyage, hôtels, complexes touristiques et même des locataires privées ont atteints le plafond. En revanche, et pour combler le vide, de très nombreux Algériens ont opté pour un séjour au Bled, une occasion pour d’autres pour faire du tourisme interne et sauver les grandes vacances.

Après plus de vingt jours depuis la réouverture des frontières avec la Tunisie, le nombre des touristes algériens qui ont choisi la destination tunisienne n’a pas encore atteint la barre des 100.000 voyageurs contrairement aux années précédentes, voire celles d’avant Covid-19, où le nombre des touristes algériens dépassait les trois millions. Les échos récoltés sur les réseaux sociaux indiquent tous une flambée insoutenable et générale des prix en Tunisie, touchant l’ensemble des secteurs y compris le tourisme, ce qui a amplement découragé un nombre considérable de touristes algériens à faire le voyage pour ce pays.
Un découragement alimenté par la baisse du pouvoir d’achat des Algériens en ces temps de crise économique, alimentaire et militaire mondiale, où les prix de l’ensemble des produits mondiaux ont augmenté d’une manière fulgurante. Une situation qui a considérablement affecté les poches des citoyens et qui, par conséquence, ont fini par annuler le voyage « traditionnel » en Tunisie.
En revanche, de très nombreux citoyens ont choisi de passer leurs vacances d’été au bled afin de combler le vide laissé par la destination tunisienne. Longtemps boudées par les Algériens, les vacances d’été au bled sont devenues la solution idéale pour des millions d’entre-eux. Tébessa, Batna, Tizi Ouzou, Tlemcen, Annaba, Constantine, Oran, Mostaganem, Ain Témouchent, Béjaïa ou encore Alger, Boumerdès, Tipaza, Chlef et bien d’autres wilayas du pays, où un débarquement massif et collectif de touristes algériens a été recensé depuis le début de la saison estivale. Une nouvelle culture du tourisme interne est en train de voir le jour et une nouvelle tendance touristique est en train de s’enraciner chez le citoyen. « Vu mon revenu mensuel et vu aussi les moyens financiers vulnérables, faire un voyage en famille en Tunisie est devenu un miracle pour moi. Je ne sais pas si c’est le même cas pour d’autres Algériens. Alors, j’ai fini par passer un séjour au bled, à Tébessa, où j’ai emmené ma famille pour quelques jours de repos », nous raconta Mokhtar, un père de quatre enfants. Résidant dans la commune d’Ouled Fayet à Alger, Mokhtar, un militaire à la retraite, habitué à faire des voyages en Tunisie, a boudé la destination tunisienne pour cette année pour des raisons financières. « Mon pouvoir d’achat a baissé et la flambée générale des prix a persisté, donc il n’est plus question d’organiser un voyage pour cette année », explique-t-il.

Les touristes algériens les mieux bienvenus en Tunisie
Les touristes algériens sont les plus attendus en Tunisie, non seulement pour leur nombre considérable, en millions, mais également pour le lien fraternel qui lie l’Algérie et la Tunisie. Comme chaque saison estivale, le rush des touristes algériens est très attendu et apprécié à la fois par les Tunisiens, car cela augure d’une « bonne » saison touristique pour le pays du jasmin. Pendant les vacances d’été de l’année 2016, plus d’un million et 800.000 touristes algériens avaient séjourné en Tunisie. Ce nombre sera plus considérable pour la saison suivante, soit en 2017, où la Tunisie en avait accueillie plus de deux millions de touristes.
A cette époque, Nabil Bezyouche, alors chef de Cabinet du ministère tunisien du Tourisme,

avait exprimé sa grande joie quant au nombre fou de touristes algériens qui séjournait chaque année en Tunisie. Comparant aux ressortissants russes qui sont estimés à 600.000 touristes ou français qui sont à l’ordre d’un million de touristes, les ressortissants algériens sont les premiers et les plus nombreux à visiter chaque année la Tunisie. Leur nombre ne cesse d’augmenter d’une année à l’autre.
En 2018, le cap des 2, 2 millions d’Algériens ayant visité la Tunisie avait été franchie, soit une première depuis des dizaines d’années. Une progression estimée à 4.9% par rapport à l’année 2017, avec des entrées financières récoltées par la Tunisie de l’ordre de plus d’un milliard de dollars. « En 2018, les touristes algériens ont grandement contribué à la renaissance du tourisme tunisien, où plus d’un milliard d’euros avait été récolté par les caisses tunisiennes », avait expliqué Moez Kacem, expert international en tourisme, et directeur du magazine tunisien en ligne spécialisé TourismView, dans un entretien accordé au site d’information russe, Sputnik.
Selon l’expert tunisien, plus de 709.000 étudiants algériens avaient visité la Tunisie durant l’année 2018, ce qui renseigne sur une particularité du tourisme algérien qui demeure avant tout un tourisme familial. Puis en 2019, le nombre des touristes algériens ayant visité la Tunisie a battu tous les records, il est passé à plus de trois millions, dont 93% sont passés par la voie terrestre.
En face, le nombre des ressortissants tunisiens ayant séjourné en Algérie frôlé le 1,7 million de touristes, soit près de la moitié du nombre des touristes algériens. Cependant, cette progression nette en matière du tourisme entre l’Algérie et la Tunisie a été freinée par l’arrivée de la pandémie du Covid-19, cela remonte en mars 2020. Depuis, le nombre des touristes a sensiblement baissé entraînant une grave crise financière pour le secteur du tourisme tunisien.
Avec le retour des mouvements des voyageurs suite à la réouverture des frontières algéro-
tunisiennes le 15 juillet passé, les autorités tunisiennes tablaient sur un nombre de trois à quatre millions de touristes algériens en Tunisie, toutefois ce nombre pourrait être revu à la baisse à cause de la flambée générale des prix qui touche l’ensemble des secteurs en Tunisie, surtout celui du tourisme. Une situation qui a découragé de nombreux Algériens à faire le voyage en Tunisie. Un obstacle de taille pour le secteur du tourisme tunisien.

En vingt jours, 100.000 Algériens ont choisi la Tunisie
Il y a quelques jours, le ministre tunisien du Tourisme et de l’Artisanat, Mohamed Moez Belahssine, a déclaré à l’agence de presse tunisienne TAP que depuis la réouverture des frontières algéro-tunisiennes, le 15 juillet dernier, plus de 60.000 touristes algériens ont déjà foulé le sol tunisien.
Convaincu que le nombre sera plus considérable d’ici la fin de l’année en cours, le ministre tunisien a souligné que les touristes algériens ont tendance à prendre leurs vacances à partir du mois d’août de chaque année.
« La Tunisie ambitionne d’attirer plus d’un million de touristes algériens d’ici la fin de l’année », a expliqué le ministre tunisien, qui rappelle qu’en 2019 et avant la pandémie de Covid-19 qui a entraîné la fermeture des frontières reliant les deux pays, près de trois millions d’Algériens ont rejoint la Tunisie alors qu’environ 1,5 million de Tunisiens ont visité l’Algérie.
Le ministre tunisien a souligné que la plupart des Algériens qui sont arrivés en Tunisie ont assuré avoir été accueillis dans de bonnes conditions. Le 2 août passé, la Présidence tunisienne a annoncé dans un communiqué que « le président de la République Kaïs Saïed a décidé, après coordination avec les ministres tunisien et algérien de l’Intérieur, de dispenser les Algériens quittant le territoire tunisien des tests PCR pour détecter le nouveau Coronavirus, et ce au niveau de tous les postes frontières à partir du dimanche 31 juillet 2022 ». La décision de l’annulation des tests PCR pour les touristes algériens vise à encourager ces derniers à opter pour la Tunisie.
Par ailleurs, le ministre tunisien du Tourisme et de l’Artisanat a fait savoir que plus de 2,6 millions de touristes algériens ont visité la Tunisie entre la période allant du 1er janvier au 20 juillet dernier, soit une augmentation de 113% par rapport à la même période en 2021.
Selon lui, le nombre des arrivées, jusqu’au 20 juillet dernier, a enregistré une baisse de 42% par rapport à 2019. Il a souligné que l’objectif de son département ministériel pour l’année 2022, est de réaliser entre 50 et 60% des chiffres de l’année 2019 avant le déclenchement de la crise du Covid 19.

Tourisme local, une alternative de haut de gamme
En effet, l’Algérie qui est le plus grand pays du continent africain et qui regorge de potentiels touristiques titanesques pouvant même devenir un pôle d’attractivité touristique de premier plan, n’arrive pas toujours pas à décoller en matière du tourisme.
La preuve, le nombre des touristes algériens qui partent chaque année vers d’autres pays pour passer leurs vacances ne cesse d’augmenter au fil de ces dix dernières années. Chaque année, près de cinq millions de touristes algériens passent leurs grandes vacances à l’étranger, notamment la Tunisie, Turquie et d’autres pays. Prenons l’exemple de la destination tunisienne, et durant l’année 2018, le nombre des touristes algériens ayant visité ce pays voisin, à défaut de trouver de meilleures conditions au pays d’origine, a dépassé la barre des deux millions de visiteurs, une première depuis de longues années. Une progression de l’ordre de 4.9% par rapport à 2017, avec des recettes de l’ordre de 415 millions de dinars (125 millions d’euros), contre 396,7 MD en 2017 (120 millions d’euros). Devant la Tunisie, la destination turque est très prisée aussi par les Algériens, où plus d’un million voyagent chaque année vers ledit pays. Côté algérien, ce grand intérêt porté par les touristes algériens vers d’autres pays pour passer leurs vacances est un grand manque à gagner pour les établissements hôteliers algériens, surtout en ces temps cruciaux impactés par la crise financière mondiale, la crise alimentaire et militaire aussi appuyée par la chute sans précédent du pouvoir d’achat. Pourtant, l’Algérie est un immense pays, voire le plus grand en Afrique et possède des sites des plus beaux au monde, à l’image du Grand Sahara algérien pouvant en théorie en faire un pôle d’attractivité touristique de premier plan. D’ailleurs, en matière de tourisme, l’Algérie avait connu dans les années 1970 ses heures de gloire. Des complexes touristiques étaient construits et des Zones d’Extension Touristiques (ZET) aménagées.
La prestigieuse école du tourisme «l’Aurassi» attirait ensuite, de nombreux candidats aux carrières du tourisme, y compris des Tunisiens. Mais depuis les années 1980, la succession de crises économique et sécuritaire, ainsi que des choix politiques, ont entravé l’éclosion d’une véritable tradition touristique. Aujourd’hui, les Algériens regrettent un manque à gagner important alors que le pays est à la recherche d’une diversification de son économie pour sortir de la dépendance aux hydrocarbures. Une diversification qui peut commencer par le tourisme local.
Sofiane Abi