Evasion fiscale, trafics aux frontières, fuite des capitaux et corruption

Sphère informelle

Intervention du Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul haut magistrat (premier conseiller) et directeur général des études économiques à la Cour des comptes 1980/1983 à la rencontre organisée par le ministère de la Défense nationale –état -major de la Gendarmerie nationale 23/24 février 2022 au cercle des Armées Alger.La corruption de haut niveau, combinée aux risques et l’incertitude de l’économie nationale limitent la perspective d’une croissance plus inclusive.

2.- Les différents trafics du crime organisé
2.1-. Le crime économique organisé au niveau mondial
Quand le crime organisé prend racine, il peut déstabiliser des pays et des régions entières. Les groupes criminels organisés peuvent également travailler avec des criminels locaux, développant, à ce niveau, la corruption, l’extorsion, le racket et la violence, ainsi que diverses autres activités criminelles plus élaborées. Des gangs violents peuvent également transformer les centres- villes en zones de non-droit et mettre la vie de citoyens en danger. Dans le contexte d’un monde de plus en plus globalisé, qui facilite la circulation des personnes et des biens, les groupes de criminalité organisée ont prospéré, posant de nombreux défis où les groupes criminels utilisent souvent des entreprises commerciales licites pour dissimuler leurs activités illicites. Selon les rapports conjoints de la Banque mondiale et du FMI, la corruption peut réduire le taux de croissance d’un pays de 0,5 à 1point de pourcentage par an et que les investissements réalisés dans les pays corrompus sont inférieurs d’environ 5% à ceux réalisés dans les pays relativement non corrompus. Selon l’agence de cotation Standard and Poor’s, les investisseurs ont 50 à 100% de chances de perdre la totalité de leurs investissements dans un délai de cinq ans dans les pays connaissant divers degrés de corruption et donc que les investissements à long terme, les plus intéressants pour les pays, deviennent ainsi risqués et peu probables. Lorsque la corruption touche les personnalités publiques de haut niveau, elle peut avoir des effets particulièrement dévastateurs où de hauts fonctionnaires corrompus sur le niveau de développement du pays ayant un impact sur le niveau de vie de la population à un niveau intolérable en gaspillant des ressources et ce bien entendu avec la complicité des Etats et partenaires étrangers où sont souvent déposés ces montants mal acquis. Encore que dans certains pays occidentaux, verser des pots-de-vin à des étrangers à des fins commerciales est légal et le montant peut même être légalement déduit de l’impôt. Donc, ce fléau du crime organisé dépasse le cadre national, devant le relier aux réseaux internationaux, où existent des liens dialectiques entre certains agents externes et internes.
Un important rapport réalisé par Global Initiative Against Transnational Organized Crime sur l’état du crime organisé-armes, drogue, ressources naturelles, avec une analyse détaillée des indices de corruption dans 193 Etats le 3 octobre 2021. L’indice contenu dans ce rapport est une mesure composite de variables utilisant divers points de données. Dans le cadre de la mesure du crime organisé, les paramètres sur lesquels repose cet Indice découlent des définitions de la criminalité organisée et des activités et concepts liés, définissant la « résilience » comme la capacité de résister et de perturber les activités criminelles organisées dans leur ensemble, plutôt que des marchés individuels, par le biais de mesures politiques, économiques, juridiques et sociales. La résilience fait référence aux mesures prises par les pays à la fois par les acteurs étatiques et non étatiques Il comprend deux indicateurs composites, évaluant 193 États membres de l’ONU à la fois en fonction de leur niveau de criminalité selon un score de 1 à 10 (du niveau le plus bas au niveau le plus élevé de criminalité organisée) et de leur résilience face au crime organisé selon un score de 1 à 10 (du niveau le plus bas au niveau le plus élevé de résilience), l’Indice étant conçu selon les auteurs du rapport pour fournir des données chiffrées permettant aux décideurs politiques, professionnels et autres parties prenantes d’être bien informés en termes d’élaboration de stratégies de lutte contre le crime organisé dans leurs pays ou leurs région. Ce rapport met en relief que le montant du crime organisé varierait entre 2 et 5% du PIB mondial estimé à 84 680 milliards en 2020 et selon la banque mondiale et devrait dépasser les 100.000 milliards de dollars en 2022, ce qui donne entre 2020/2022 1700 et 4230 milliards de dollars contre une estimation pour 2009 d’environ 600 milliards de dollars, les crises économiques amplifiant le trafic. issu du commerce illégal sous toute ses formes.: drogue, armes, traite, déchets toxiques, métaux. Si l’on prend les deux plus grandes puissances économiques mondiales la Chine, les USA et deux pays européens à savoir la France et l’Italie, pays connu par le passé pour le crime organisé et différents, pour la moyenne du score de résilience, nous avons la Chine, 5,46, les USA 6,58, la France 6,83 et l’Italie 6,29, l’Algérie ayant le score de 4,63, l’enquête Global Initiative Against Transnational Organized Crime donne les résultats suivants.
-Pour les marchés criminels, la moyenne décomposée comme suit : – traite de personnes :Chine – USA – France, Italie : 6,5- 5,5- 6,0-7,0 -trafic d’êtres humains : Chine, USA – France, Italie : 6 ;0- 4,5- 6,5 -6,5 -trafic d’armes :- Chine – USA -France , Italie : 2,5- 6,5- 6,0, 5,5 -trafic lié à la fore : Chine, USA – France – Italie : 8,5- 2,5- 4,0 , 2,5vet le trafic lié à la faune :- Chine , USA – France, Italie : 9,0- 5,5- 5,5- 3,5 . Quant aux acteurs de criminalité, nous avons respectivement : -groupes de types mafieux : Chine, USA, France, Italie : -réseaux criminels : Chine, USA, France- Italie : 7,5 -6,5 -6,5 -9,0 -acteurs intégrés à l’Etat : Chine, USA, France, Italie : 7,0- 5,0- 3,0 -3,0 -Acteurs étrangers ; Chine, USA- France – Italie :3,0- 5,5- 7,0 – 7,0. Pour la .criminalité liée , liée aux produits non renouvelables Chine, USA, France- Italie : 4,5- 4,5- 4,5- 7,0 -commerce d’héroïne : Chine – USA , France, Italie : 6,5- 6,5- 6,5-6,5 – commerce de cocaïne, – Chine –USA France, Italie :3,5-7,0- 6,5-5,5 commerce de cannabis :- Chine –USA – France –Italie : 4,0-5,0-6,5- 6,0 synthèse de toutes les drogues , la moyenne Chine – US A- France- Italie : 8,0- 7,5- 5,5- 5,5. En synthèse le rapport donne les scores de résilience avec une moyenne de décomposée comme suit : leadership politique et gouvernance :- Chine –USA- France- Italie : 6,0-6,5- 6,0- 6,5-transparence et responsabilité gouvernementale :- Chine –USA – France – Italie : 4,0-6,5- 7,0 – 5,0-coopération internationale :Chine – USA – France – Italie : 6,0- 8,0- 8,5- 8,5 -politique et législation nationale :- Chine – USA – France – Italie : 7,0- 7,0- 7,5- 8,0 -système judicaire et détention :- Chine –USA – France- Italie : 5,0 6,0- 6,5- 5,0-force de l’ordre : Chine- USA – France – Italie 5,5- 7,5- 7,0- 7,5-Intégrité territoriale :- Chine – USA –France- Italie : 7,0- 6,5- 5,0- 6,5-lutte contre le blanchiment d’argent :- Chine – USA – France- Italie : 6,0-6,5- 8,0- 5,5-capacité de réglementation économique :- Chine – USA –France- Italie : 7,0-8,0- 8,0- 5,0- soutien aux victimes et aux témoins- Chine – USA France – Italie : 4,0-7,0- 5,0- 5,5-préventions : Chine, USA : France : 6,0-6,5- 6,0- 5,5-acteurs non étatiques : USA- Chine – France –Italie : 6,5-7,5- 7,0 -7,0. Cette enquête internationale arrive à six conclusions :
1re conclusion, plus des trois quarts de la population mondiale vivent dans des pays où le taux de criminalité est élevé, ou dans des pays où le niveau de résilience face au crime organisé est faible ; 2e conclusion, de tous les continents, c’est l’Asie qui enregistre les niveaux de criminalité les plus élevés ;
3e conclusion, la traite des personnes est le marché criminel le plus répandu au monde ;
4e conclusion, les démocraties présentent des niveaux de résilience face à la criminalité plus élevés ;
5e conclusion, les acteurs étatiques constituent les principaux facilitateurs de ces pratiques occultes et obstacles à la résidence face au crime organisé(dont octroi opaque de l’octroi de marchés publics).
6e conclusion, de nombreux pays en conflit et États fragiles sont très vulnérables face au crime.

2.2-Dans le cadre du crime organisé je distingue plusieurs segments, pouvant exister des relations dialectiques entre les différents acteurs.
Premièrement, nous avons le trafic d’armes. Le marché «noir» des armes et de leurs munitions, issu nécessairement du marché «blanc» puisque, rappelons-le, chaque arme est fabriquée dans une usine légale, une thématique qui permet de comprendre les volontés de puissance des divers acteurs géopolitiques  à travers le monde. Tandis que le trafic de drogues est réprimé internationalement, le trafic d’armes est réglé par les Etats qui en font leurs bénéfices. La vente d’armes s’effectue régulièrement entre plusieurs partenaires privés et publics. Les 10 principaux pays exportateurs d’armes dans le monde entre 2016 et 2020, selon le Sipri sont : les États-Unis — 37% , la Russie — 20% ; la France — 8,2% ; l’Allemagne — 5,5% ; la Chine — 5,2% ; le Royaume-Uni — 3,3% ; l’Espagne — 3,2% et Israël — 3% Le commerce des armes à feu est empreint d’opacité et oppose le secret d’État à de nombreuses tentatives de transparence selon le groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité GRIP, centre de recherche indépendant en Belgique, il dénonce aussi parfois le comportement des industries qu’il accuse de se cacher derrière le secret défense pour justifier des pratiques difficilement acceptables ce qui explique les données contradictoires avec des différentes importantes.
Selon l’ONU, sur la base des données de l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime (ONUDC) le marché international du trafic d’armes estimé à plus de 1 200 milliards de dollars par an. En 2020, malgré la pandémie de Covid-19, le secteur de l’armement a enregistré un nouveau record de ventes, le chiffre d’affaires étant estimé à 531 milliards de dollars en hausse pour la sixième année consécutive, selon le rapport annuel du Sipri.
Deuxièmement, nous avons le trafic de drogue. Avec un chiffre d’affaires estimé entre 300 et 500 milliards de dollars, le trafic de drogue est devenu le deuxième marché économique au monde, juste derrière le trafic d’armes. Si les trafiquants de drogues étaient un pays, leur PIB les classait au 21è rang mondial, juste derrière la Suède. Malgré la répression, l’ONU estime que seuls 42% de la production mondiale de cocaïne sont saisis (23% de celle d’héroïne). Selon New Frontier Data, l’autorité en matière d’analyse de données et de veille stratégique sur l’industrie mondiale du cannabis qui a publié un rapport mondial sur le cannabis et les perspectives du secteur pour 2019, plus de 50 pays dans le monde ont légalisé une forme ou autre de cannabis à usage médical, tandis que six pays ont légalisé la consommation de cannabis pour adultes (dit aussi usage récréatif) », a déclaré la fondatrice et PDG de New Frontier Data, Giadha Aguirre de Carcer. « L’industrie légale du cannabis s’est véritablement mondialisée. Malgré l’interdiction généralisée, la consommation de cannabis continue d’augmenter alors que les attitudes et les perceptions critiques à l’égard du consommateur de cannabis typique continuent d’évoluer. Cette évolution sociale et culturelle a créé un marché mondial ayant un potentiel énorme pour les parties prenantes de douzaines de secteurs au-delà des secteurs verticaux traditionnels qui touchent aux plantes. La société estime le marché potentiel mondial du cannabis (réglementé et illicite) à 344 milliards de dollars américains et identifie les cinq principaux marchés régionaux comme étant l’Asie (132,9 milliards de dollars américains), l’Amérique du Nord (85,6 milliards de dollars américains), l’Europe (68,5 de dollars américains), l’Afrique (37,3 milliards de dollars américains) et l’Amérique latine (9,8 milliards de dollars américains). En outre, New Frontier Data rapporte que ce marché mondial est constitué actuellement de 263 millions de consommateurs de cannabis.
Professeur des universités Expert international Abderrahmane Mebtoul
(A suivre)