L’entrepreneur dénonce une «gouvernance impraticable»

La réforme de l’administration, le cheval de bataille de Tebboune

Malgré la crise, il y a des entreprises qui ont fait des bénéfices, mais nombreuses sont celles qui ont déposé leur bilan ou réduit leur activité et effectifs, en dépit des multiples mesures de soutien prises en leur faveur par le président de la République, Abdelmadjid Tebboune. Des milliers de petites et moyennes entreprises (PME) se trouvent, aujourd’hui, dans des difficultés financières, juridiques ou même judiciaires.

Certaines cherchent à vider le contentieux qui les oppose à l’administration fiscale ou sociale pour aller de l’avant. Dans la majorité des cas, l’entente est quasi « impossible » en raison, selon des chefs d’entreprise, de la surdité des administrations et de leur inertie, alors que l’objectif des mesures fiscales et financières décidées par l’Etat vise leur remise en forme, pas l’inverse.
La situation est plus complexe pour les dirigeants des PME qui pointent le problème de la bureaucratie lié à l’abus de pouvoir administratif qui plombe les efforts de l’Etat. Engager un bras de fer avec les services publics est une action vaine. Vraisemblablement, il y a un manque de coordination et de gestion qui conduit souvent à des décisions « arbitraires et injustes ».
C’est cette bureaucratie que le chef de l’Etat veut combattre. Tout comme les organisations patronales qui plaident pour une réforme en profondeur pour réussir le plan de la relance économique du pays. A commencer par la modernisation de l’administration et l’amélioration de la gestion du service public. Réduire le risque du burn out des dirigeants lésés par les effets de la double crise sanitaire (Covid-19) et financière. Diverses mesures fiscales pour atténuer les tensions provoquées par cette crise : baisse des taux d’imposition, exonération ou gel du paiement des taxes, remise ou effacement des intérêts ou des pénalités de retard ou le report du paiement des impôts ou des cotisations sociales, prolongation des délais déclaratifs…
Ces mesures introduites dans la loi de Finance 2021 dont la plupart ont été reconduite dans celle de 2022 visent à réduire la pression fiscale (TVA, TAP, IRG, IBS…), et ce, selon le régime fiscal choisi par l’entreprise (réel ou simplifié) ainsi que les charges sociales obligatoires (CNAS, CASNOS, CNR…) dont elle doit s’acquitter régulièrement. Ces mesures exceptionnelles ont-t-elles vraiment eu l’impact souhaité ? Sûrement, mais à des niveaux différents, selon l’état financier antérieur des entreprises.
Nombreuses sont celles qui étaient en défaut de paiement et qui n’arrivaient plus à émerger de leurs déboires financiers, mais aussi administratifs. La bureaucratie se charge traditionnellement de ralentir la mise en place des mesures décidées.
Il est reproché aux administrations publiques la mauvaise interprétation et l’application des lois et règlements. A ce titre, ils sont nombreux à partager leurs expériences avec l’administration et le service public sur les réseaux sociaux, dans des forums de discussions ou des groupes privés. Les exemples ne manquent pas. Les médias en parlent régulièrement. L’administration rejette souvent ces allégations, alors que le chef de l’Etat, lui-même, reconnaît l’entrave de la mise en œuvre des décisions et directives approuvées par le Gouvernement par certaines parties qui récidivent dans l’impunité totale.

Avis de gros temps pour transformer l’Administration
Cette situation malsaine ne peut être mise que sur le compte du « laxisme et de l’incompétence » de certaines administrations qui se plaisent encore, selon des responsables d’entreprises, dans l’immobilisme. Le Président Tebboune promet de combattre cet héritage complexe et néfaste. La bureaucratie n’est autre, selon lui, qu’« un ensemble de pratiques autoritaires suspectes, accumulées depuis 30 à 40 ans par des individus si bien introduits dans l’administration qu’on les croirait représentants du Pouvoir. Nous les avons à l’œil », a-t-il indiqué, la semaine dernière, reconnaissant que « des décisions examinées par le Gouvernement et approuvées en Conseil des ministres, mais leur mise en œuvre sur le terrain est entravée, ce qui crée un climat de tensions et d’instabilité et certains osent les assimiler à l’Algérie nouvelle».
Ce n’est pas l’image, ni la vision que le chef de l’Etat veut promouvoir.
L’assainissement de cette administration traditionnellement associée à la corruption, bureaucratie et fainéantise, prendra du temps, mais ça viendra car la mise en œuvre de la nouvelle approche économique de l’Etat reste tributaire de la levée de toutes les pratiques bureaucratiques au niveau des administrations et organismes publics. Depuis l’arrivée de Tebboune, le pays a progressé sur certains nombres de points, notamment réglementaires et judiciaires. Le nouveau Code de l’Investissement qui offre plusieurs avantages fiscaux, parafiscaux et douaniers devrait consoler les chefs d’entreprises intéressés par de nouveaux investissements. Le guichet unique devrait aussi réduire la bureaucratie et les délais de traitement des dossiers des investisseurs, tout comme la plate-forme numérique de télé-déclaration des impôts « Moussahama tic », mais beaucoup reste à faire pour lutter contre les pratiques suspectes de certains agents du service public.
L’absence de contrôle profite à ces agents qui abusent dans l’accomplissement de leurs tâches provoquent un stress permanent chez les professionnels, et qui se transforme en
« phobie administrative ». L’application des directives émanant des hautes autorités par certains cadres de l’administration « donne l’impression d’un traitement expéditif, alors que l’entrepreneur ne cherche qu’un langage clair et simple », se confie un gérant d’une PME, qui dénonce un acharnement administratif à son égard. A croire que toutes les directives du Président sont mises en sourdine.
Défi d’associer l’administration aux décisions du Gouvernement
« C’est regrettable que des comportements pareils existent toujours », s’est-t-il exclamé. On trouve des témoignages similaires dans des forums de discussions sur les réseaux sociaux dans lesquels ils expriment leur ras-le-bol face à une administration jugée «laxiste». Ils discutent de l’environnement peu favorable pour les PME et sur leurs soucis financiers qui menacent la viabilité de leur projet. En fait, ils cherchent des réponses à leurs préoccupations administratives. Malgré les divergences de points de vue, les auteurs s’accordent sur l’absence de contrôle et de coordination au niveau des administrations publiques. Si chaque administration s’associe et applique correctement les décisions du Gouvernement, les conditions de travail seront meilleures. L’informel financier et commercial baisserait. C’est en effet ce que pensent de nombreux entrepreneurs qui pointent un marché parallèle plus au moins toléré face à un dinar très faible. Ce secteur a causé des pertes sèches aux caisses de l’Etat, mais aussi aux entreprises nationales qui s’acquittent régulièrement de leurs charges fiscales et sociales quel qu’il soit leur résultat comptable. Dans les projections les plus pessimistes, des dirigeants de PME optent pour la cession de leur activité. Ils ont vu leur marge de manœuvre chuter drastiquement depuis le début de la pandémie. La crise de liquidité n’a pas arrangé les choses. Il faut, en tout état de cause, payer toutes les charges fiscales, mais aussi sociales pour éviter d’entrer en litige avec l’administration fiscale ou de la protection sociale car il suffit d’un manque de communication et de clarté pour provoquer le mécontentement d’une partie.

Quand un entrepreneur tombe dans le «discrédit» de la CASNOS !
C’est le cas d’un gérant d’une PME qui s’est vu rejeter son dossier de départ à la retraite par les services de la Caisse nationale des retraites (CNR), sous prétexte qu’il doit régler des cotisations à la Caisse nationale de la sécurité sociale des non-salariés (CASNOS). Cette dernière lui exige un montant « exagéré », selon lui, pourtant les règles sont claires. Un rappel des règles s’impose. La première année de la création de l’entreprise, l’assuré s’acquitte d’un seuil minimal de 32.400 dinars et à partir de la deuxième année, il doit payer 15% du bénéfice. Remarque, malgré la revalorisation du salaire SNMG, le seuil de la cotisation n’a pas changé. Même avec un bilan comptable négatif, l’assuré paiera le minimum, soit 32.400 dinars, tandis que le maximum s’élève à 648.000 dinars. Quant aux pénalités de retard, elles s’élèvent à 5.000 dinars. A préciser que la base de calcul n’a pas encore changé pour l’adapter au nouveau SNMG (20.000 dinars).
Outré, le chef d’entreprise cherche à obtenir des explications auprès de l’administration concernée, en vain. Ce qui le laisse perplexe, alors forcément, il se pose beaucoup de questions. Son départ à la retraite est perturbé. C’est le brouillard total. Il met en cause une gestion «irrationnelle» de ce service. Pourquoi un dysfonctionnement pareil ? Les raisons sont multiples. Nous avons contacté un expert-comptable pour nous éclairer sur ce cas. Il nous a expliqué que «l’entrepreneur doit payer 15% du bénéfice (résultat fiscal net). Exemple l’entrepreneur cotise 150.000 dinars sur une assiette de un million de dinars (1.000.000 x 15% /100=150.000 dinars)», a-t-il expliqué, «tout calcul devrait obéir à cette base. Pour les professionnels déficitaires, il s’acquitte de la somme minimum de 32.400 dinars», a-t-il ajouté, estimant que «tout calcul qui ne répond pas à cette logique n’est pas acceptable». Il a recommandé à ce que l’entrepreneur se rapproche davantage de cette administration pour plus d’éclairage et éviter tout «litige» qui pourrait entraver son départ à la retraite, d’autant plus que l’administration algérienne est connue pour «son entêtement».
Samira Takharboucht