Les enfumades de Sebih, un crime colonial ancré dans la Mémoire collective

Chlef

Les deux enfumades de Sebih, perpétrées à Debboussa, une région située entre les communes de Sobha et Aïn Mrane (Nord-ouest de Chlef), figurent parmi les plus grands massacres et crimes contre l’humanité que la Mémoire collective retiendra à jamais et qui entachent irrémédiablement le passé de la France coloniale en Algérie, notamment durant la période de la résistance populaire.
Pour venir à bout de la résistance dans la région de la Dahra, menée par l’Emir Abdelkader et Cheikh Boumaâza, la France coloniale n’a pas hésité à perpétrer durant deux années consécutives (1844 et 1845) de véritables génocides, dont les enfumades d’aout 1854 qui ont exterminé près de 1.500 personnes, brûlées vives dans la grotte de Chaâbet Lebiar, dans la région de Debboussa, commune d’Ain Mrane. Un crime de plus qui s’ajoute à la longue liste des crimes coloniaux perpétrés en Algérie.
«Si le colonialisme est déjà un crime en soi, puisqu’il repose sur une occupation injustifiée, puis une colonisation et un expansionnisme rejeté par tout le peuple algérien, dont les tribus de la région de la Dahra à Chlef et Mostaganem, ces enfumades constituent le summum de la barbarie du colonialisme, qui voulait ainsi punir les indigènes pour leur refus de se soumettre à l’ordre colonial», a estimé Mohamed Belil, professeur d’histoire moderne et contemporaine à l’université Ibn Khaldoun de Tiaret.
Soulignant l’échec cuisant de l’occupant dans la «dissimulation de ses crimes contre l’humanité», cet universitaire a cité pour preuve les correspondances de responsables et dirigeants français qui ont révélé «leur atrocité et brutalité, au grand jour».
Il a cité notamment la correspondance du Maréchal Bugeaud au colonel Pelissier dans laquelle il lui intimait l’ordre de poursuivre les membres de la tribu des Ouled Riah, dans les montagnes de la Dahra à Mostaganem, et de les enfumer, comme l’avait fait Cavaignac, en juin 1844, avec la tribu Sebih de Aïn Mrane.
En effet, la région de la Dahra, s’étendant d’Orléans ville (Chlef, actuellement), à l’Est, jusqu’à Mostaganem à l’Ouest, était devenue difficile à mâter par les forces d’occupation, en raison de la résistance menée par l’Emir Abdelkader et Cheikh Boumaâza, au point où le colonialisme n’a pas trouvé mieux que la politique de la terre brûlée et des exterminations collectives, en procédant pour la 2ème fois, durant la période du 12 au 16 août 1845, à un siège de la tribu Sebih pour la pousser à se retrancher vers l’une des grottes de la région, comme expliqué par M.Belil.
Une autre correspondance envoyée par Saint-Arnaud à son frère raconte comment les soldats français (dirigés par lui), dénués de toute humanité, ont assiégé les membres de la tribu Sebih à l’intérieur d’une grotte, dont ils ont bloqué toutes les issues, au nombre de cinq, avant d’y mettre le feu et de les brûler vifs.

Des massacres nécessitant une divulgation de leurs faits et une documentation
Selon des sources françaises, ces enfumades ont fait 500 victimes, un chiffre majoré par les chercheurs. Les sources locales appuyées par des chercheurs en histoire de la région font état de plus de 1.500 personnes tuées. Sachant que le colonisateur français a tenté par tous les moyens de dissimuler ces crimes et de les jeter dans les méandres de l’oubli. D’où le besoin pressant pour accorder l’intérêt nécessaire à ces événements historiques, à travers des recherches universitaires susceptibles de dévoiler tous leurs secrets.
Un fait corroboré par le responsable de la section locale de l’Académie de la Mémoire algérienne, Mohamed Bachouchi, qui a souligné l’importance de «documenter et de recueillir les témoignages fondés concernant les faits et les circonstances de ces enfumades, qui ont coûté la vie à des milliers d’habitants de la région».
Il a signalé, à ce titre, le lancement par son organisation d’une opération de recherche et de collecte de documents historiques sur ces événements, tout en prenant contact avec des chercheurs en histoire, pour réunir des données et informations sur ce génocide commis par le colonisateur français, ceci d’autant plus que la majorité des sources historiques actuellement disponibles, à ce sujet, sont françaises.
Les habitants de la région espèrent, pour leur part, une action de réhabilitation au profit de cette grotte, témoin des crimes de la France coloniale contre les algériens et l’humanité en général, pour en faire une destination historique pour les chercheurs et autres visiteurs de la région.
«Ce site est doté d’une symbolique immense pour les habitants de la région, qui y voient le reflet du sacrifice et de la résistance de la tribu de Sebih devant l’oppression coloniale», a estimé Ahmed Deghmouche, un habitant de la région, qui a appelé à la réalisation d’une stèle commémorative en leur honneur, ou au moins, une fresque murale pour perpétuer le combat de cette région dans la Mémoire collective et l’histoire en général.
APS