Le premier physicien noir de l’ère moderne

Portrait d’Edward A. Bouchet

Afro-américain, fils d’ancien esclave, Edward A.Bouchet devint le tout premier physicien noir de l’ère moderne.
Edward Alexander Bouchet naît le 15 septembre 1852 à New Haven, dans le Connecticut. Il était le dernier des quatre enfants de Susan et William Bouchet. Son père était un ancien esclave de Caroline du Sud qui émigra dans le Nord, et finit par devenir un membre important de la communauté Noire de New Haven. Edward Bouchet fit ses études primaires dans l’une des 3 seules écoles ouvertes aux Noirs, puis entra au New Haven High School, où il termina ses études en 1868. Il est par la suite accepté au Hopkins Grammar School, d’où il sortira premier de sa classe. Il est ensuite admis à l’Université de Yale en 1870. Il y étudiera les mathématiques, la physique, l’astronomie, la mécanique, la logique, la rhétorique et 5 langues parmi lesquelles le Latin et le Grec. Il décroche avec la mention «summa cum laude» – son diplôme universitaire en 1874, en se classant 6e sur 124 étudiants, et devenant ainsi le premier africain-américain à obtenir un Diplôme de l’Université de Yale. Cette performance le mènera à être le premier Noir nominé au Phi Beta Kappa, l’un des plus ancien et plus prestigieux cercle d’excellence académique aux Etats Unis, auquel appartiennent par exemple les anciens présidents Bill Clinton et George Bush Sr (mais Edward Bouchet ne sera élu qu’en 1884, après un autre Noir, George Washington Henderson). Grâce à Alfred Cope, un philanthrope de Philadelphie, Edward Bouchet obtient le soutien financier nécessaire pour entreprendre son doctorat à Yale. Deux ans plus tard, en 1876, il défend sa thèse de physique intitulée «Sur la mesure des indices de réfraction». Il devient ainsi le premier homme d’ascendance africaine à obtenir un Ph.D., toutes disciplines confondues, et donc bien sûr le premier Noir à obtenir un Doctorat de physique. Mais sa performance est plus exceptionnelle encore : Edward Bouchet est le 6e américain, toutes races confondues, à obtenir un PhD de physique ; il est de plus parmi les 20 premiers américains à obtenir un PhD, toutes races et toutes disciplines confondues. Ce génie est malheureusement en avance sur son temps. Aux Etats -Unis d’Amérique, l’esclavage a été officiellement aboli une dizaine d’années plus tôt, mais aucune université blanche n’est disposée donner un poste à un Noir, malgré ses très brillantes qualifications. C’est ainsi qu’aux Etats-Unis, Edward Bouchet fut le seul américain pendant les 80 ans qui suivirent, à avoir eu un PhD sans avoir pu décrocher un poste d’enseignant à l’Université.
Edward Bouchet décide alors d’aller à Philadelphie, la ville du Nord des Etats-Unis où vivait la plus grande communauté Noire. Il enseignera la physique et la chimie durant 26 ans au Institute for Colored Youth (Institut pour la Jeunesse de Couleur). Mais au tournant des années 1900, une controverse éclate entre deux grandes figures africaines-américaines, W. E. B. du Bois qui plaide pour une orientation plus intellectuelle, plus universitaire dans la formation de la jeunesse Noire, et Booker T. Washington qui prône une orientation plus technique, plus industrielle. L’Institute for Coloured Youth fait son choix et opte pour l’esprit Booker T. Washington : en 1902, Edward Bouchet est mis à la porte et se retrouve au chômage.
Durant les 14 années qui suivirent, il dut subir l’instabilité laborale : il enseignera et travaillera dans le Mississipi, en Louisiane, en Virginie, dans l’Ohio, et au Texas. Mais en 1916, il tombe très malade, et doit retourner à New Haven, sa ville natale.
Il y mourra le 28 octobre 1918, sans jamais avoir été marié, et sans avoir eu d’enfants.
La flamme allumée par Edward Alexander Bouchet ne s’est pourtant pas éteinte. Le «Edward Bouchet – Abdus Salam Institute» (EBASI), du nom de Edward Bouchet et du prix Nobel de physique pakistanais Abdus Salam, est un institut créé conjointement par des physiciens africains et africains-americains en collaboration avec le Centre International Abdus Salam de Physique Théorique (The Abdus Salam ICTP, co-financé par l’UNESCO) afin, entre autres, de renforcer les liens et la collaboration académique entre les physiciens africains et africains-américains, renforcer l’impact de la recherche en physique pour le développement durable en Afrique, et enfin augmenter la qualité et la quantité des étudiants africains s’engageant dans des études doctorales en physique. «The Edward A. Bouchet International Conference» est un cycle international de conférences organisé periodiquement en Afrique par l’EBASI afin d’atteindre les objectifs sus-cités, en particulier renforcer les liens académiques entre les physiciens africains et leurs collègues africains-américains. Les dernières conférences Edward A. Bouchet eurent lieu à Accra (Ghana) en 1990, à Gaborone (Botswana) en 1998, à Cotonou (Bénin) en 2001, et Hammamet (Tunisie) en 2003.
La «American Physical Society» (Société Américaine de Physique), qui est la plus grande et la plus puissante organisation de physiciens aux Etats-Unis, a aussi décidé d’honorer la mémoire du Dr. Bouchet: depuis 1996, exactement 120 ans après que Edward A. Bouchet eût obtenu son PhD, la Société Américaine de Physique décerne chaque année le «Edward A. Bouchet Award» pour honorer un physicien qui comme le Dr. Bouchet s’est distingué dans l’enseignement et la promotion de la physique chez les minorités aux Etats-Unis.
Malgré l’anonymat presque absolu dans lequel il vécut, Edward Alexander Bouchet fut, en tant que premier africain-américain a decrocher un Doctorat, et en tant que l’un des tout premiers physiciens américains, une figure marquante de la Science du 19e siècle, et aussi l’une des plus grandes victimes de l’histoire des discriminations raciales en milieu universitaire. Et comme dira de lui l’un de ses anciens élèves, «Il est certainement impossible de mesurer la très profonde influence que le Dr. Bouchet exerça sur les centaines de personnes qu’il a croisé dans sa vie».
B.M.