«Voodoo Macbeth», l’histoire afro-américaine oubliée d’Orson Welles

Fifda

« Il y a parfois une amnésie collective concernant les réussites des Noirs en Amérique », raconte Inger Tudor, l’actrice principale de Voodoo Macbeth. Car le premier grand succès d’Orson Welles n’était pas Citizen Kane, mais en tant que metteur en scène de Voodoo Macbeth, en 1936.
Orson Welles suivait une approche très radicale pour sa mise en scène de Shakespeare, avec une distribution entièrement noire, avec des acteurs noirs qui n’étaient pas vraiment des acteurs, parce que Welles embauchait aussi un électricien, un liftier, une chanteuse, un champion de boxe… En plus, il a transposé la pièce d’Écosse en Haïti pour en faire une version vaudou, avec des masques africains…
Dans le film, un politicien condamnait la pièce comme « non américaine » et il y a eu beaucoup de protestations devant le théâtre. De quelle sorte de protestations s’agissait-il ?
Une partie des protestations était liée à l’objectif du Negro Theatre Unit, de donner des droits aux gens. Une autre préoccupation était qu’Orson Welles n’allait pas embaucher suffisamment de Noirs. Le quartier de Harlem était majoritairement noir, donc on attendait qu’il donne la parole aux Noirs de Harlem.
Certains craignaient même qu’il aille maquiller des Blancs en Noirs avec des « blackface ». Bref, il y avait toutes sortes d’inquiétudes concernant cette pièce de théâtre et les intentions d’Orson Welles.
Cette pièce est devenue une référence dans l’histoire du théâtre afro-américain. Pourtant, chaque fois que quelqu’un parle du premier grand succès d’Orson Welles, il cite Citizen Kane que Welles a tourné quatre ans après Voodoo Macbeth. Pourquoi Voodoo Macbeth est-il tombé dans l’oubli ?
C’est une grande question. Il y a tellement de raisons. Compte tenu de l’époque et les tensions raciales aux États-Unis, cela a été peut-être supplanté par le Mouvement des droits civiques.
Mais je ne sais pas. Et même si la pièce a eu un grand succès pendant sa tournée, je ne sais pas si elle était bien reçue par le public blanc du pays. À cette époque, beaucoup de choses produites avec et par des acteurs noirs dans le domaine du théâtre ont été reléguées à Harlem ou dans des zones très spécifiques, comme certains quartiers de Detroit ou des quartiers principalement noirs de Chicago. Pour cela, les gens n’associent pas Voodoo Macbeth à Orson Welles.
Dans la conscience collective, cela ne fait pas partie de l’histoire de l’Amérique. Moi, par exemple, je ne connaissais même pas Rose McClendon avant de faire la lecture du texte pendant la préparation du film Voodoo Macbeth.
Et j’ai vécu à New York pendant neuf ans. Je n’arrivais pas à croire que je n’avais jamais entendu parler de cette femme qui était littéralement une diva de Broadway.
Je pense simplement que, jusqu’à une certaine époque, il y a parfois une amnésie collective concernant les réussites des Noirs en Amérique. Et en tant qu’actrice afro-américaine, à quel moment avez-vous entendu parler pour la première fois de la pièce Voodoo Macbeth ?
La même chose : à l’occasion de la lecture du texte pour préparer le film. C’est incroyable. Et comme sur le personnage phénoménal de Rose McClendon, je voulais en savoir plus. J’ai découvert qu’elle était en charge de onze autres unités du projet Negro Theatre Unit aux États-Unis.
Mais encore une fois : même si vous étudiez le théâtre, à moins que vous ayez quelqu’un qui soit très engagé et conscient de l’histoire afro-américaine, ni cette production théâtrale, ni l’histoire de la Negro Theatre Unit ou des personnages comme Rose McClendon, sont forcément enseignées.
Quand je pense au Hamlet noir du célèbre metteur en scène Peter Brook ou au Lac des cygnes conçu par la chorégraphe sud-africaine Dada Masilo pour des danseurs noirs, toutes ces productions ont été très applaudies ces dernières décennies en France et en Europe. Aujourd’hui, la question évoquée dans le film Voodoo Macbeth, c’est-à-dire la distribution d’acteurs noirs pour une pièce de Shakespeare, est-elle simplement perçue comme une histoire intéressante du passé ou y a-t-il encore des éléments pour des débats actuels ?
Chez Shakespeare, il y a toujours des histoires, des mythes, des vérités qui sont intemporels. J’aime l’idée d’une distribution entièrement noire quand je pense aux histoires qu’on voit – du moins aux États-Unis.
J’entends souvent des acteurs noirs dire : « Nous sommes fatigués de toujours nous voir dans des récits d’esclaves. » Certes, certaines de ces histoires sont merveilleuses, mais les acteurs noirs sont aussi capables de faire et de raconter autre chose. Même aujourd’hui, une production comme Voodoo Macbeth serait exceptionnelle.
Et après avoir vu le film, je pense que les spectateurs peuvent vraiment repartir avec une idée plus grande et plus large : les gens sont des gens, peu importe d’où ils viennent. Nous nous battons tous avec les mêmes problèmes. Il y a partout des gens très ambitieux. C’est ça l’histoire de Macbeth et de sa femme.
(Suite et fin)
S.F.