Quelle politique pour l’Algérie en direction de l’Europe ?

Face aux tensions géostratégiques

Au sein de la région méditerranéenne et africaine, l’Algérie est un acteur stratégique en matière sécuritaire et énergétique étant actuellement courtisée face à la crise énergétique qui frappe l’Europe expliquant la visite en Algérie de Charles Michel, le président du Conseil européen début septembre 2022 et selon certaines informations non officielles d’autres responsables européens prochainement dont Kadri Simson, la commissaire européenne à l’Énergie de l’Union européenne et Mme Élisabeth Borne Premier ministre français.

La coopération Algérie/Europe, dans sa démarche d’évaluation réclamée ne vise nullement à remettre en cause l’Accord d’association mais à l’utiliser pleinement dans le sens d’une interprétation positive de ses dispositions permettant un rééquilibrage des liens de coopération, l’objectif étant de favoriser un partenariat gagnant-gagnant, l’Europe ne devant plus considérer l’Algérie du point de vue d’un marché, étant lié par de accords stratégiques également avec d’autres pays notamment la Russie et la Chine. Dans la pratique des relations internationales, n’existent pas de sentiments mais que des intérêts. Dans ce cadre, l’Algérie, pays pivot de la région méditerranéenne et africaine, entend accroître ses exportations de gaz vers l’Europe à moyen terme sous réserve de plusieurs conditions dont un investissement massif des partenaires européens dans le cadre d’un partenariat gagant- gagant, car à court terme ses capacités sont limitées.
Les premiers indicateurs de production révèlent une augmentation de près de 5% de la production d’hydrocarbures, qui passe de 175,9 millions de tonnes équivalent pétrole (TEP) en 2020 à 185,2 millions de TEP en 2021. Pour ce qui est du volume de production au niveau des unités de raffinage, nous avons une stabilité de l’ordre de 27,9 millions de TEP en 2021, contre 27,8 millions en 2020. S’agissant de la production de gaz naturel liquéfié (GNL), Sonatrach a réalisé en 2021 une progression de 14%, le niveau de production ayant atteint 26,3 millions de m3 en 2021 par rapport à la quantité produite en 2020 (23,1 millions de m3), tout en ayant couvert les besoins du marché national, estimés à 64 millions de TEP en 2021, soit une augmentation de 9% par rapport à 2020, avec une baisse importante des quantités importées (-70%), passant de 859.000 TEP en 2020 à 255.000 tonnes en 2021.
En ce qui concerne les niveaux d’exportation, le bilan fait état d’une augmentation significative de 18% entre 2020 et 2021, ce qui a permis d’accroître les quantités exportées de 80,7 millions de TEP fin 2020 à 95 millions en 2021 pour une recette (à ne pas confondre avec le profit net devant déduire les coûts) en 2021, d’une valeur dépassant 34,5 milliards USD (contre 20 Mds USD en 2020). Afin de développer les capacités nationales de production, en vue de répondre aux besoins internes qui enregistrent une croissance annuelle de 5%, ainsi qu’aux engagements contractuels avec les différentes partenaires, notamment en Europe et en Asie, étant prévu que Sonatrach investisse 40 milliards de dollars à l’horizon 2026, dont 8 Mds USD pour 2022.
Les appoints en gaz naturel et/ou en GNL vers l’Europe sont tributaires de la disponibilité de volumes excédentaires après satisfaction de la demande du marché national, de plus en plus importante, et de ses engagements contractuels envers ses partenaires étrangers et cela nécessite un investissement important dans le cadre d’un partenariat gagnant-gagnant- avec les firmes étrangères, afin de développer les infrastructures nécessaires pour le transporter à grande échelle.
Pour l’Algérie, en s’en tenant aux données, les exportations, à ne pas confondre avec la production qui a en 2021 a dépassé les 100 milliards de mètres cubes gazeux,, tenant compte d’un pourcentage d’injection de gaz dans les puits pour maintenir leurs activités, les exportations pour 2020/2021 ont fluctué entre 450.000/500.000 barils/j contre plus de 1 million de baril vers les années 2007/2008, et 40 milliards de mètres gazeux d’exportation en 2020 et 43 en 2021 (33% GNL et 67% par canalisation). Mais l’Algérie est confrontée à la forte consommation intérieure qui avoisine les exportations actuelles en 2021, 50 milliards de mètres cubes gazeux en 2025 selon le PDG de Sonelgaz et plus de 60 horizon 2030 , renvoyant à l’urgence d’une nouvelle politique des subventions ciblées. Pour les canalisations nous avons le TRANSMED, la plus grande canalisation d’une capacité de 33,5 milliards de mètres cubes gazeux via la Tunisie, le MEDGAZ directement vers l’Espagne à partir de Beni Saf au départ d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux qui après extension depuis février 2022 a une capacité qui a été portée à 10 milliards de mètres cubes gazeux et le GME via le Maroc dont l’Algérie a décidé d’abandonner , le contrat s’étant achevé le 31 octobre 2022, d’une capacité de 13,5 de milliards de mètres cubes gazeux.
A court terme, l’Algérie peut augmenter les volumes, qu’entre 4 à 5 milliards de mètres cubes gazeux à travers le Transmed via l’Italie. C’est que Sonatrach est confronté à plusieurs contraintes : des contrats de gaz fixes à moyen et long terme dont la révision des clauses demandent du temps et le désinvestissement dans le secteur. A moyen terme dans quatre à cinq années environ, les exportations de gaz en direction de l’Europe pourraient passer de 11% à 22/25%, sous réserve de revoir sa politique énergétique dans le cadre d’une planifications stratégique autour de sept axes
Le premier axe, est d’améliorer l’efficacité énergétique car comment peut-on programmer 2 millions de logements selon les anciennes normes de construction exigeant de fortes consommation d’énergie alors que les techniques modernes économisent 40 à 50% de la consommation? Cela renvoie à une nouvelle politique des prix (prix de cession du gaz sur le marché intérieur, environ 10/20% du prix international) occasionnant un gaspillage des ressources, renvoyant à une nouvelle politique des subventions ciblées.
Le second axe est l’investissement à l’amont car seulement 43% du territoire sont exploités restant 57% pour de nouvelles découvertes d’hydrocarbures traditionnels. Parallèlement, la lutte contre le torchage peut accroître la production, les réserves étant estimées en 2021 à 10 milliards de barils de pétrole et à 20500 milliards de mètres cubes gazeux de gaz devant préciser pour les non initiés que le calcul des réserves est fonction de l’évolution du vecteur prix international et du coût d’exploitation, plus les prix sont élevés et les coûts bas, plus les réserves marginales deviennent rentables, pouvant découvrir des milliers de gisements non rentables, Sonatrach s’étant engagé à rejoindre l’initiative mondiale – Zero Routine Flering by 2030.
Selon l’ONU, chaque année, elle est à l’origine du brûlage d’approximativement 140 milliards de mètres cubes de gaz naturel, dans des milliers de champs pétrolifères correspondant à l’émission de plus de 300 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère, soit l’équivalent des émissions produites par quelque 77 millions de voitures.. Cela nécessite d’attirer les investisseurs étrangers, afin de mobiliser plus de 70 milliards de dollars pour les cinq prochaines années alors que les réserves de change sont estimées à fin 2021 à 44 milliards de dollars malgré toutes les restrictions qui ont paralysé l’appareil de production et accéléré le processus inflationniste du fait que 85% des matières premières des entreprises publiques et privées sont importées en devises.
Le troisième axe est le développement des énergies renouvelables devant combiner la thermique et le photovoltaïque dont le coût de production mondial a diminué de plus de 50% et il le sera plus à l’avenir. Or, avec plus de 3 000 heures d’ensoleillement par an, l’Algérie a tout ce qu’il faut pour développer l’utilisation de l’énergie solaire, ou presque, pouvant devenir un grand fournisseur pour l’Europe à travers des interconnexions. Mais, le soleil tout seul ne suffit pas, devant maîtriser la technologie pour transformer ce don du ciel en énergie électrique.
La production à grande échelle permettrait de réduire substantiellement les coûts tout en favorisant à l’aval une multitude de PMI-PME, renforçant le tissu industriel à partir des énergies propres (industries écologiques). Durant une période transitoire, la combinaison de 20% de gaz conventionnel et 80% de solaire me semble être un axe essentiel pour réduire les coûts et maîtriser la technologie. Le programme algérien consiste à installer une puissance d’origine renouvelable de près de 22 000 MW dont 12 000 MW seront dédiés à couvrir la demande nationale de l’électricité et 10 000 MW à l’exportation. D’ici 2030, l’objectif de l’Algérie serait de produire, 30 à 40% de ses besoins en électricité à partir des énergies renouvelables. Le montant de l’investissement public consacré par l’Algérie à la réalisation de son programme de développement des énergies renouvelables, à l’échéance 2030, selon le Ministère de l’Energie, se situe entre 60/70 milliards de dollars.

Dr Abderrahmane Mebtoul, professeur
des universités, expert international
(A suivre)