Un art, une activité lucrative en voie d’extinction

Tissage

C’est un domaine artistique exclusivement qui a connu dans son histoire des périodes fastes. Les femmes de tous les temps qui se sont chargées du métier, ont fait preuve d’un génie créateur et d’un savoir-faire exemplaire.
La pratique du tissage remonte chez nous à la nuit des temps et c’est au fil des générations, avec les découvertes de nouveaux procédés, de l’expérience acquise, que cet art a connu une nette amélioration dans la fabrication, que les produits fabriqués se sont affinés. L’Algérie n’a rien à envier aux autres pays sur le plan de la qualité des couvertures, des tapis en laine, des burnous fortement appréciés par les étrangers en visite touristique. La particularité des régions d’Algérie, c’est que chacune a son style, sa marque de fabrication, ce qui fait qu’un tapis de Tlemcen est différent de celui qui se fait à Ghardaïa, en Kabylie ou dans les Aurès. Avant d’arriver au stade du tissage, il faut passer par la transformation de la matière première : laine de bovins, poils de chameaux ou poil de chèvres. Les procédés sont à peu près les mêmes pour ces trois variétés à partir desquelles on obtient de grosses bobines de fil prêts au tissage. Mais pour en arriver là, il faut laver la laine de mouton de chèvre ou de chameau. C’est un travail fastidieux parce qu’il faut procéder avec minutie en les débarrassant de toutes les impuretés. Une fois lavée soigneusement, on arrive en phase de cardage. Si la quantité de laine est importante est importante, il faut être à plusieurs pour tout peigner. Chaque femme qui participe au travail se sert d’une paire de cardes. Et nous rappelons qu’il s’agit là d’une activité exclusivement féminine.
Le cardage étant supposé terminé, il faut passer au filage, travail long et fastidieux qui demande beaucoup de patience et d’ardeur. Il faut des dizaines de bobines, sinon des centaines s’il s’agit d’un projet ambitieux de production de plusieurs pièces. Imaginez le poids de la laine filée et mis en grosses bobines. Il existe par ailleurs du fil coloré pour intégrer des dessins en polychrome sur les couvertures ou les tapis ; c’est suivant le style et le goût de la tisseuse Tout d’abord on monte la trame, travail essentiel et méticuleux ; elle est constituée de deux rangées croisées de fil « spécial métier à tisser, fil solide qui ne se casse pas » et elles sont montées à même le sol autour de deux piquets situés l’un de l’autre à une distance précise. Une femme munie d’une grosse bobine fait des va et vient pour faire passer à chaque fois le fil autour de chaque piquet. Lorsqu’une bobine est finie elle prend une autre.
On dresse le métier à tisser à l’aide de deux longues perches dressées verticalement et sur lesquels on fixe deux autres perches horizontales l’une en haut l’autre au bas à une distance qui permette aux deux femmes chargées du tissage d’être à l’aise en position assises et d’avoir les jambes libres sous la deuxième perche horizontale. Une bien fois installées, chacune de son côté, les deux tisseuses armées chacune d’un peigne, se mettent à l’œuvre avec l’ardeur habituelle. Leur travail consiste à faire passer le fil de laine entre les deux rangées de fils de la trame et le tasser ensuite à l’aide du peigne aux dents métalliques. Pendant ce temps du tissage, deux ou trois semaines, quelquefois plus, les deux femmes ont besoin de la bonne compagnie pour discuter, de préférence de femmes férues de connaissances.
Habituellement toutes celles qui s’occupent de métiers à tisser possèdent deux arts : l’art du tissage et l’art de bien parler en langage populaire. Elles passent leur vie devant le métier à tisser et pendant quarante, cinquante ans, sinon plus. Des centaines de couvertures, tapis, burnous portent leurs signatures. Des femmes exceptionnellement résistantes, détentrices de tous les secrets de transformation de la laine. Elles sont parties sans qu’il y ait eu une relève. Il n’y a pas eu de transmission.
La génération de femmes actuelles obligées de se rabattre sur les produits industriels de moindre qualité, sont incapables de recréer cet art ancestral perdu à jamais. Elles ont dit adieu aussi aux discussions enrichissantes émaillées de proverbes, d’histoires fantastiques de leurs aînées.
Abed Boumediene