Face aux tensions énergétiques, quelle politique pour l’Algérie en direction de l’Europe ?

Crise mondiale de l’énergie

Au sein de la région méditerranéenne et africaine, l’Algérie est un acteur stratégique en matière sécuritaire et énergétique étant actuellement courtisée face à la crise énergétique qui frappe l’Europe, expliquant la visite en Algérie de Charles Michel, du président du Conseil européen début septembre 2022, et selon certaines informations non officielles, d’autres responsables européens prochainement dont Kadri Simson, la commissaire européenne à l’Énergie de l’Union européenne et Mme Élisabeth Borne, Premier ministre français.

Le problème : l’Algérie aura-t-elle les capacités d’absorption, la maîtrise technologique pour éviter les surcoûts et la maîtrise du marché mondial. Le quatrième axe, selon la déclaration de plusieurs ministres de l’Énergie entre 2013/2020, l’Algérie compte construire sa première centrale nucléaire en 2025 à des fins pacifiques, pour faire face à une demande d’électricité galopante. Les réserves prouvées de l’Algérie en uranium avoisinent les 29.000 tonnes, de quoi faire fonctionner deux centrales nucléaires d’une capacité de 1.000 Mégawatts chacune pour une durée de 60 ans. Le cinquième axe, l’option du gaz de schiste, l’Algérie possédant le troisième réservoir mondial, environ 19.500 milliards de mètres cubes gazeux, selon des études américaines mais qui nécessite, outre un consensus social interne, de lourds investissements, la maîtrise des nouvelles technologies qui protègent l’environnement, et des partenariats avec des firmes de renom (voir étude sous la direction du professeur Abderrahmane Mebtoul, pétrole et gaz de schiste, opportunités et risques, Premier ministère -Alger, 2015).
L’Algérie est un pays semi-aride, le problème de l’eau étant un enjeu stratégique, doit être opéré un arbitrage entre la protection de l’environnement et la consommation d’eau douce, un milliard de mètres cubes gazeux nécessitant 1 million de mètres cubes d’eau douce et devant forer plusieurs centaines de puits moyens pour un milliard de mètres cubes gazeux et devant tenir compte de la durée courte de la vie du puits, cinq années maximum, et la nécessaire entente avec des pays riverains se partageant ces nappes.
Le sixième axe est de redynamiser le projet Galsi, Gazoduc Algérie–Sardaigne–Italie, qui devait être mis en service en 2012, d’un coût initial de 3 milliards de dollars, estimation de 2011, et d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux qui devait approvisionner également la Corse. Projet gelé, suite à l’offensive du géant russe Gazprom, étendant ses parts de marché, avec des pertes financières de Sonatrach ayant consacré d’importants montants en devises et dinars pour les études de faisabilité.
Le septième axe est d’accélérer la réalisation du gazoduc Nigeria –Europe via l’Algérie. La faisabilité du projet du gazoduc Nigeria Europe, doit tenir compte des nouvelles mutations gazières mondiales pour évaluer sa rentabilité, car les lettres d’intention ne sont pas des contrats définitifs. Comme le démontre une importante étude de l’IRIS du 19 août 2021, le gazoduc reliant le Nigeria à l’Europe, principal client qui doit se prononcer également sur ce projet, est l’objet d’enjeux géostratégiques importants pour la région.
La rentabilité du projet Nigeria-Europe, suppose trois conditions. Premièrement, la mobilisation du financement, alors que les réserves de change sont à un niveau relativement faible au 01 janvier 2021, pour l’Algérie de 44 milliards de dollars fin 2021 pour 45 millions d’habitants avec un niveau d’endettement extérieur faible, et le Nigeria 33 milliards de dollars pour 210 millions d’habitants avec un endettement élevé, ne devant pas compter sur le Niger pays très pauvre, devant impliquer des groupes financiers internationaux, l’Europe, principal client, et sans son accord et son apport financier, il sera difficile de lancer ce projet. Deuxièmement, l’évolution du prix de cession du gaz, la faisabilité étant liée à une étude du marché pour déterminer la demande sur le gaz avant de trancher sur l’opportunité de s’engager dans ce projet. Troisièmement, la sécurité et les accords avec certains pays, le projet traverse plusieurs zones alors instables et qui mettent en péril sa fiabilité avec les groupes de militants armés du Delta du Niger qui arrivent à déstabiliser la fourniture et l’approvisionnement en gaz. Il faudra impliquer les États traversés où il faudra négocier pour le droit de passage (paiement de royalties) donc évaluer les risques d’ordre économique, politique, juridique et sécuritaire.
En conclusion, Sonatrach a toujours respecté ses engagements internationaux étant, un fournisseur fiable guidé essentiellement par une position purement commerciale et la révision des contrats concernant le prix du gaz, s’inscrit dans le respect des clauses contractuelles. Car nul doute que l’évolution de la guerre en Ukraine et le coût du réchauffement climatique auront des conséquences sur la morphologie du monde multipolaire avec l’émergence des BRICS qui en 2021 représente 20% de la richesse mondiale et qui ira en s’accroissant et près de 40/520% de la population mondiale. Dans ce cadre, la future stratégie énergétique mondiale affectera les recompositions politiques à l’intérieur des États comme à l’échelle des espaces régionaux avec l’émergence horizon 2030 d’un nouveau pouvoir énergétique mondial. Car le réchauffement climatique, qui n’est pas une vue de l’esprit mais une dure réalité inégalée où en cette années 2022, nous avons assisté, d’un côté de la planète des inondations, de l’autre des incendies avec des coûts croissants que les Etats ne pourront plus supporter et qui devrait s’accentuer entre 2022/2030 frappant notamment la région méditerranéenne et africaine, posant le problème lancinant de l’eau et de la sécurité alimentaire. Ainsi, (voir les Echos.fr 31 mars 2021), selon l’Institute for Policy Integrity de l’université de New, au rythme actuel du réchauffement climatique, les économistes interrogés estiment à 1.700 milliards de dollars par an d’ici à 2025 le coût des dommages économiques, selon la médiane de leurs projections, pouvant même 30.000 milliards de dollars par an à l’horizon 2050/2075. Ainsi, s’impose la nécessaire transition énergétique et de revoir l’actuel modèle de consommation énergétique, car si les chinois , les indiens et l’Afrique (près de quatre milliards d’habitants) avaient le même modèle de consommation énergétique que les USA et l’Europe (moins de un milliard d’habitants pour 40% du PIB mondial), il faudrait avoir trois fois la planète terre.

Dr Abderrahmane Mebtoul, professeur
des universités, expert international
(Suite et fin)