La fabuleuse histoire… de la boîte de conserve

Découverte

La boîte de conserve est loin d’être une invention banale. Comment ce cylindre en métal de notre quotidien, objet devenu planétaire, a-t-il contribué à « bouleverser » autant notre époque ?

Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, il était impossible de conserver certains aliments plus de quelques jours si on souhaitait y retrouver le goût et, surtout, ne pas tomber malade à cause des moisissures. Ainsi, depuis le Néolithique, les populations ont cherché des méthodes pour conserver les produits alimentaires : séchage, fumage, salaison pour la viande et le poisson, fermentation pour le fromage.
Quand en 1795, un confiseur parisien révolutionne la conservation. Nicolas Appert trouve la recette miracle pour conserver des aliments durant plusieurs années sans modifier leur texture ni leur goût : il met dans un bocal des aliments, le ferme hermétiquement et le chauffe au bain marie. L’appertisation est née, et c’est une révolution car, à l’époque, le mot « microbe » n’existe pas et nul ne sait que la chaleur les élimine – puisque c’est Pasteur, soixante-dix ans plus tard, qui fera cette découverte. Nicolas Appert ne dépose pas le brevet de son invention (le titre de « bienfaiteur de l’humanité » lui est alors décerné pour sa découverte) qui est récupérée par le Britannique Peter Durand en 1810. Ce commerçant dépose un brevet sur la technique et remplace les bocaux par un cylindre en fer, moins fragile, recouvert d’une fine couche d’étain. La première boîte de conserve telle qu’on la connaît aujourd’hui voit le jour en 1813 en Angleterre. En France, il faut attendre 1824 où, à Nantes, apparaît la première boîte de sardines. La boîte de conserve conquiert rapidement l’Occident, puis le monde.
Aux États-Unis, en 1865, plus de 30 millions d’entre elles sont produites chaque année. Aujourd’hui, il s’en produit plus de 80 milliards par an aux quatre coins du globe… et la célèbre boîte de conserve se transporte jusque dans l’espace depuis une vingtaine d’années.

Sans conserve, pas de guerres ?
La création de la boîte de conserve va considérablement modifier le cours de l’Histoire. Les denrées ne sont plus périssables et la conserve peut rester à température ambiante entre trois et cinq ans. Grâce à cette invention, de longues expéditions peuvent être effectuées sans crainte de famines ou de maladies. Les voyageurs, les découvreurs et les colons sont séduits ; la boîte de conserve devient même la base de l’alimentation des Européens dans les colonies, un emblème, à leurs yeux, de la civilisation.
Il en va de même du côté des expéditions militaires. Les soldats peuvent effectuer de longues missions tout en se nourrissant, sans crainte de mourir de faim ou d’être empoisonnés par des aliments pourris. Car au XVIIIe siècle, la marine britannique perd plus d’hommes du scorbut – un manque sévère de vitamine C – que lors des combats. Désormais, en consommant des boîtes, les soldats peuvent s’alimenter non seulement en viande et en poisson, mais aussi et surtout en fruits et légumes. La conserve devient légion chez les soldats de Napoléon sous le Ier Empire, durant la guerre de Sécession américaine, durant la Première et la Seconde Guerre mondiales, parmi les troupes franco-anglaises qui menacent la Chine et pillent le Palais d’Été en 1860. Tenir les positions, avancer, dès lors, la question se pose : sans boîte de conserve, les guerres des deux derniers siècles se seraient-elles déroulées de la même manière ?

Un signe de classe sociale, puis de mondialisation
Il faut attendre environ un siècle avant que la boîte de conserve séduise la planète entière. Tout d’abord, parce qu’à ses débuts, elle est considérée comme un produit de luxe. En France, par exemple, une boîte de sardines dans les années 1850 équivaut à six heures de travail pour une ouvrière. Par ailleurs, ce cylindre en métal ne met pas en confiance certains, car le consommateur ne peut voir le produit à l’intérieur de la boîte, et de mauvaises surprises peuvent apparaître, comme des aliments en putréfaction, voire des explosions de couvercles…
Pourtant, la boîte de conserve résiste et se répand, les techniques de fabrication se mécanisent. L’ère est à l’industrialisation de l’après-guerre. Des plats locaux de différentes régions du monde intègrent des ingrédients en conserve dans leurs spécialités, à l’image du bully beef, plat traditionnel jamaïcain élaboré à partir du corned beef en conserve américain. Cheddar, pudding, saucisses en boîtes ornent les tables des Britanniques en Inde au détriment des aliments locaux. La conserve devient à la mode, et elle fait gagner du temps à la ménagère. La consommation de masse est à l’œuvre. Le musclé Popeye en fait la promotion en avalant des boîtes d’épinards. La boîte de conserve est même glorifiée par Andy Warhol dans une sérigraphie intitulée Campbell’s Soup Cans : 32 boîtes de conserve. L’histoire racontant que, quand il était enfant, Andy Warhol consommait régulièrement des soupes et faisait la collection des boîtes vides. Sa mère créait des fleurs à partir des boîtes de métal, et surtout dans les boîtes Campbell’s.
Avec une production toujours plus forte, la boîte de conserve est aujourd’hui de plus en plus recyclée ou utilisée vide pour d’autres utilisations ; mais elle n’en est pas moins responsable de dégâts environnementaux. L’étain qui la constitue était à l’origine majoritairement produit en Malaisie et son extraction démesurée y a provoqué de nombreuses inondations et coulées de boue. D’où le nom de la capitale, Kuala Lumpur, qui signifie « estuaire boueux».
Plus de deux siècles après sa création, et même si les produits surgelés sont apparus, la boîte de conserve a toujours le vent en poupe. Produit généralement peu onéreux, il remplit toujours les hangars des centres de collectes alimentaires ; au début de la pandémie de Covid-19, les consommateurs du monde entier se ruaient aussi vers les boîtes de conserve. Aujourd’hui, à l’heure du survivalisme, les boîtes de conserve s’amoncèleraient dorénavant dans les abris souterrains de tous ceux qui redoutent l’apocalypse à venir.
A.B.