Une langue de la chanson et de la sagesse

Le parler populaire

La langue populaire est effectivement l’une des plus riche par sa longue histoire, ses liens étroits avec la culture multi générationnelle, sa richesse lexicale du fait qu’elle soit émaillé de termes de toutes les langues des occupants étrangers et elle est la langue de tous dans un pays, des riches et des pauvres, des gens cultivés, non cultivés ou acculturés. Et ceci est vrai pour tous les pays où pour la même langue, il y a plusieurs niveaux : niveau soutenu des hommes de lettres et des orateurs, niveau familier des gens qui maîtrisent la langue comme les journalistes et qui parlent une langue que tout le monde comprend, le niveau populaire ou celui de tout le monde avec cette différence qu’à l’intérieur du populaire, il y a un niveau relevé, celle des sages et des chanteurs, habitués des métaphores et des symboles.De plus c’est la langue de la chanson et de la sagesse. Et si tous les chanteurs du monde composent dans cette langue, c’est parce qu’elle est la plus expressive et qu’elle permet de toucher tout le monde, d’intéresser toutes les catégories sociales. Tous ceux qui ont chanté dans la langue populaire ont réussi à avoir autour d’eux la plupart des mélomanes et des paroles porteuses de richesse à caractère sémantique. Pour avoir du succès, il faut composer les paroles dans les domaines qui intéressent le plus, le public. Le parler populaire est, par ailleurs, le terrain de prédilection des sages qui travaillent la langue pour la rendre persuasive par rapport au public de différents niveaux de langue et de diverses catégories sociales. Les sages de l’ancien temps réglaient les problèmes de familles et toutes sortes de conflits entre hommes qui n’arrivaient pas à se mettre d’accord. Et par leur force de persuasion ainsi que par la maîtrise du parler populaire, ils arrivaient à convaincre les ennemis de l’intérêt qu’ils avaient à arrêter le climat d’animosité qui les opposait sans avoir à aller devant un tribunal. Les sages à qui on faisait appel dans l’ancien temps, étaient pour la plupart illettrés, mais ils possédaient une grande expérience de la vie, une éloquence d’une rare qualité et une capacité de régler les litiges qui les rendaient indispensables dans la vie. Ces sages avaient mémorisé une somme de légendes, histoires du vécu collectif, qui s’étaient transmises de bouche à oreille au fil des générations et auxquelles ils avaient recours pour régler les conflits. Pour chaque type de conflits, il y avait une légende que l’on racontait aux deux adversaires afin de les persuader d’arrêter leur contestation au risque d’envenimer leurs relations.

Le parler populaire, une langue de la chanson
Même de nos jours, on adore les chansons composées et chantées par des chanteurs populaires qui empruntent à la société les thèmes des chansons. Le chanteur est issu des masses populaires dont le seul outil de communication est le parler populaire dans lequel les chanteurs, issus de la même classe sociale, composent leurs œuvres avec constamment l’idée de plaire au public soucieux de renouveau et toujours dans l’attente de rythme et de ton qui apportent joie et bonheur. Les artistes véritables s’inspirent du milieu social et partent de comportements réels fondés sur les discussions habituelles qui jugent, par exemple la beauté féminine. Il y a d’ailleurs chez nous une chanson populaire dans laquelle l’œil et le cœur se sont disputés à propos de beauté féminines, les avis étant nettement différents. Dahmane El harrachi qui a été l’un des meilleurs connaisseurs sur les sentiments humains dit dans une chanson : « fais de ton œil le meilleur juge ».Ce n’est pas la voix qui compte le plus dans la chanson, mais les paroles qui vont droit au cœur. De son vivant, cheikh El Hasnoui chantait bien malgré sa voix caverneuse, il avait un charme inexpliqué et qui faisait de lui une idole. On l’aimait beaucoup au point où chacun éprouvait du plaisir à chanter ses chefs d’œuvre. Et l‘artiste était adulé en tant que chanteur populaire. Parmi les chateurs populaires, il y avait des maîtres qui ont eu à former des plus jeunes qu’eux dans le même genre, pour cela, il y eut des écoles comme le conservatoire, ce fut sans conteste M’hamed El Anka qui avait autour de lui des musiciens populaires qui formaient son orchestre formés sur le tas ou sortis du conservatoire d’Alger ; de grands musiciens en parfaite harmonie avec le maître de la chanson populaire.
A côté, il y a des chanteurs dont la musique est sobre, un tambour traditionnel, une flûte à la mode ancienne et lui-même à la mandoline, sinon au violon ou à la guitare, sa voix mélodieuse seule suffit, un exemple convaincant et incontestable, Amar Ezzahi qui chante merveilleusement bien et avec le même style, alors qu’Ezzahi s’est formé tout seul. Ce chanteur savait se rendre admirable uniquement avec sa voix. Ceux qui ont dit que c’est dans la langue populaire qu’on trouve le génie du peuple, ne se sont pas trompés ; c’est une langue qui s’est enrichi au fil du temps, surtout du point de vue lexical et c’est par elle que se fait l’union de tous ceux qui la parlent, et c’est dans cette langue que sont inventés les légendes, rites, contes et tout ce qui est production littéraire orale.

C’est par la langue du peuple que s’épanouit la sagesse populaire
Qu’est ce que la sagesse populaire, c’est l’ensemble des acquis culturels, principes de conduite, codes sociaux incarnés par des sages, hommes parfaits servant de référence et qui règlent la vie de tous. Les sages, généralement d’âge mûr, sont les gardiens de ces valeurs communes, ils sont chargés aussi de les rappeler à tous ceux qui cherchent à s’en imprégner. On est à l’époque où tout s’apprend oralement, les plus représentatifs parmi d’autres font preuve d’une mémoire prodigieuse capable de saisir au vol toutes les informations et connaissances transmises de bouche à oreille en différentes occasions. Les sages de l’ancien temps jouaient un rôle capital dans la vie sociale, ils réglaient les problèmes de familles, ce qui leur évitait d’aller au tribunal. Ils faisaient également l’effort de trouver une solution à toute question ou conflit d’intérêt général. Et ils étaient truffés de légendes, proverbes, adages populaires, pensées anciennes et contes à vocation didactique, on peut dire qu’ils avaient la capacité de gérer à bon escient la vie de la cité. Ces hommes ou ces femmes(en nombre très réduit), se réunissaient pour se jauger, connaitre son niveau et celui des autres et pour avoir à régler des conflits de famille courants entre frères vivant dans l’indivision et poussés par leur femme à la séparation ou entre parents et enfants. Pour régler ces conflits, les sages avaient coutume de se servir d’une légende en rapport avec le problème entre frère et qui met en garde ceux qui écoutent leur méchante épouse. Ils racontent à deux frères qui ont vécu heureux et dans l’aisance, mais qui ne s’entendent plus sous la pression de leurs épouses. L’un de ces frères était marchand dans les marchés. A chaque marché, y en avait un chaque jour, et en un lieu différent, ce frère avait l’habitude d’acheter et de vendre, connaissant bien les vices des acheteurs, il revenait chaque jour content d’avoir fait de bonnes affaires et avec de belles denrées pour la famille. L’autre était meunier, il avait un moulin qu’il faisait tourner chaque jour et à la fin de la journée, il rentrait heureux mais sale et chargé de semoule de blé et d’orge, les clients payaient en nature, le métier étant salissant comme le métier de forgeron. Un jour la femme du meunier dit à son mari, « toi, tu rentres sale le soir alors que ton frère est tout propre quand il revient du marché, à partir de demain vous allez faire échange, lui va aller au moulin, et toi tu vas faire le marché. Le lendemain matin, le meunier se leva à l’aube, heure d’aller au marché, il s’adressa fermement, conformément aux recommandations de son épouse, à partir d’aujourd’hui, on va faire échange, moi je vais aller au marché et toi tu vas au moulin et il insista si bien que le frère marchand accepta, il lui remit le portefeuille contenant l’argent qui permet d’acheter puis de vendre et la bête de somme, un grand âne obéissant. Le soir, le malheur s’est installé dans la famille, le meunier devenu marchand avait perdu le portefeuille familial, un malin qui avait remarqué qu’il était un novice, le lui avait piqué dès son arrivée sur la place du marché. Le vrai marchand, qui avait fait meunier d’un jour, a travaillé toute la journée à moudre le blé d’une abondante clientèle, mais le soir, il n’a pas pu arrêter le moulin, les grosses meules tournaient dans le vide et si vite qu’à un moment, ces meules s’étaient brisées. Et, dorénavant, plus de moulin, il rentre à la maison dans un piteux état. Il rentra à la maison où il trouva son frère à qui il annonça qu’il avait cassé le moulin, n’ayant pas su l’arrêter à la fin de la journée, l’autre lui répondit à la manière d’un plus malheureux, moi, on m’a volé le portefeuille dès mon arrivée au marché. Cette légende ancienne émane d’un sage habitué à régler à l’amiable des histoires de famille, elle lui sert pour persuader les personnes en conflit : deux frères qui ne s’entendent plus, un père en colère son fils ou inversement, d’une belle mère opposée à sa belle fille, de l’intérêt qu’elles avaient à accepter le règlement de leur problème sans avoir à l’envenimer.
Boumediene Abed