«À travers moi, Ibenge et Belmadi, des entraîneurs africains s’imposent»

Aliou Cissé :

,«J’ai eu de très, très bons formateurs, de très, très bons entraîneurs. Très vite, j’ai eu la chance de m’entraîner avec Jean Fernandez à Lille qui m’a amené avec l’équipe première alors que j’avais 16, 17 ans. J’ai appris la rigueur du football professionnel, j’ai appris à être prêt physiquement, à être ‘esclave’ de ce métier-là.»

Dans cette interview, il y a beaucoup de choses très intéressantes à garder sauvagement ; elle fait remonter à la surface ce qui a dominé le football africain et comment s’est-il développé. Dans la première partie, il a évoqué sans tricher, le mal que l’image du football africain avait pour s’imposer, et surtout pour tenter de se faire une place parmi les géants du foot. Ce n’était évidemment, pas facile.

«Celui qui gagne
et celui qui perd»
A la question de savoir quelle différence fait-il entre une bonne et une mauvaise tactique, sa réponse aura certainement surpris le lecteur par sa réponse qui est : «Celui qui gagne et celui qui perd. Tout simplement quand tu perds, on te dira toujours que ta tactique n’était pas bonne, que tes choix n’étaient pas bons. Quand tu gagnes, les gens peuvent mettre en doute ton schéma tactique, mais les résultats sont là».
Ce continent lui tient à cœur, comme tant de sélectionneurs qui militent pour que l’Afrique ne soit pas seulement un «comptoire commercial». Aujourd’hui, dira-t-il «les équipes européennes, lorsqu’elles recrutent des Africains, elles recrutent sur des places assez spécifiques, cela veut dire qu’elles les recrutent parce qu’ils sont très forts dans la percussion, dans la prise d’avantage, dans le déséquilibre, c’est le cas de Sadio Mané, Bamba Dieng, Ismaïla Sarr». Pour lui, les choses sont claires, pas besoin de chercher le pourquoi des choix des Africains. «On les prend parce qu’ils ont cette puissance athlétique de pouvoir défendre, mais peu de clubs recrutent des joueurs africains dans la créativité, dans le jeu. Ça nous interpelle, nous les entraîneurs africains, à nous dire : ‘Il y a des positions où beaucoup de clubs sont demandeurs et ce n’est pas pour rien’».

«Ne pas copier toujours
le football des autres»
Il est à l’aise, et se promène sur des espaces de communication aussi faciles qu’il le fait lorsqu’il était joueur hier ou comme il est aujourd’hui en sa qualité de sélectionneur «quand des clubs comme Liverpool recrutent Sadio Mané, quand ils recrutent Ismaïla Sarr, c’est parce que ce sont des joueurs de percussion, d’espace. Ça veut dire que ça leur manque, donc nous, c’est notre force», il l’explique. «Il est important d’utiliser nos forces et de ne pas copier toujours le football des autres, ou leur mentalité ou leur identité», plus percutant encore lorsqu’il dit que «l’Afrique doit avoir sa propre identité».
Elle doit créer une identité par rapport à sa morphologie de joueurs. Là où nous sommes forts, c’est dans la percussion, dans le un contre un, dans le football de transition, pourquoi devrions-nous jouer comme les Espagnols, leur identité par rapport à la morphologie de joueurs qu’ils ont ?» «Tout ce que nous dégageons sur le plan athlétique, il ne faut pas que l’on ait honte de cela, cela doit être notre atout à nous. Si nous l’avons, nous devons le mettre en valeur et cela ne doit pas être une honte pour nous de jouer et d’être ce que nous sommes vraiment, comme de véritables Africains».
Le bon entraîneur,
c’était le «papa»
Un résumé qui fait du bien au football africain. Il le démontre lorsqu’il est invité à donner la vraie définition du bon entraîneur «c’est vaste. Il est difficile de définir quel est le bon entraîneur au 21e siècle. Mais à mon époque, le bon entraîneur, c’était le «papa». Celui que tout le monde respectait. Ce qu’il nous disait, on le faisait à 100% parce que c’était le bon. Aujourd’hui, peut-être que ce n’est pas le cas. La définition du bon entraîneur est différente, mais je peux dire que le bon entraîneur c’est celui qui gagne parce que le plus important au football, c’est de gagner», mais peut-on être un bon entraîneur sans avoir remporté de trophée ?

«Ce sont des micro-détails, qui font perdre une CAN»
«Oui. Tout à fait. Les trophées, ce n’est pas tout. Je peux vous citer des centaines de personnes ayant fait un travail énorme dans des clubs et des sélections, pourtant, ils n’ont jamais gagné. Cela ne veut pas dire que c’est des nuls ou qu’ils n’ont rien fait de bon», dira-t-il. «Ils ont travaillé et n’ont pas gagné. Il donne sa version des choses qui démontre la maturité de cet homme africain, qui mesure et analyse chaque pas de fait dans son quotidien. Ceux qui ont perdu ont tout de même réussi à structurer, à former une équipe, à mettre en place une identité de jeu. Vous savez, gagner, c’est des détails, des micro-détails. Par exemple, en 2019, à la CAN, un ballon tape le fil du VAR au bout d’une minute et va dans le but. C’est comme ça que tu perds une finale, ce sont des micro-détails, mais cela ne remet pas en cause les qualités et la vision d’un entraîneur. Un entraîneur peut faire un énorme travail sans pour autant gagner un trophée».

Ses inspirations dans le football
Les entraîneurs que j’ai eus quand j’étais jeune. J’ai eu de très, très bons formateurs, de très, très bons entraîneurs. Très vite, j’ai eu la chance de m’entraîner avec Jean Fernandez à Lille qui m’a amené avec l’équipe première alors que j’avais 16, 17 ans. J’ai appris la rigueur du football professionnel, j’ai appris à être prêt physiquement, à être «esclave» de ce métier-là.

CAN-2019 : «En Afrique il existe d’excellents entraîneurs»
«Je ne sais pas si aujourd’hui je suis un exemple. Oui, on a gagné la CAN, mais en 2019, quand on a perdu, peut-être que personne ne voulait s’inspirer de ce que nous faisions donc nous restons humbles. Gagner ne veut pas dire qu’on est le meilleur entraîneur au monde. Gagner, c’est bien, mais nous continuons à progresser parce que nous sommes aussi de jeunes entraîneurs. Je pense qu’aujourd’hui, à travers moi, à travers Florent Ibenge, à travers Djamel Belmadi, il y a quelque chose qui est en train de se passer au niveau des entraîneurs sur le continent africain».

Synthèse de H. Hichem
(à suivre)