La force de la solidarité et de l’unité

17 octobre 1961

Le 17 octobre 1961, à l’appel de la Fédération de France du FLN, des dizaines de milliers de travailleurs algériens, mais aussi leurs femmes et leurs enfants, quittent en début de soirée les bidonvilles de banlieue et les ghettos parisiens.

Ils entendent montrer leur force tranquille au pouvoir français en organisant des cortèges pacifiques dans les principales artères de la capitale française. La répression policière sera féroce et dégénèrera en véritables ratonnades. Le 6 octobre 1961, la préfecture de police de Paris décide d’instaurer un couvre-feu pour tous les Algériens résidant dans la région parisienne. Cette mesure représente le point culminant d’une escalade d’actions menées au cours des derniers mois visant à intimider la communauté algérienne en France et à instaurer un climat de terreur. Quadrillage de la population par les SAT de l’armée française, arrestation et détention arbitraires de milliers d’algériens dans les camps de Larzac, Thol, Mourmelon… ; assassinats organisés par des éléments de la police française. On assiste à un simulacre de réédition de la bataille d’Alger de 1957. En fait, en quatre ans, la situation a bien changé. Le gouvernement français a été contraint de reconnaître le droit à l’autodétermination du peuple algérien et à ouvrir des négociations avec le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA). C’est dans cette conjoncture qu’il faut situer le climat de terreur que le ministère de l’Intérieur et la préfecture de Police fait régner dans la communauté algérienne. Les négociations bloquées par les exigences françaises sur le Sahara et le refus de reconnaître le FLN vont nécessairement reprendre. Dans cette perspective, l’objectif est de casser l’organisation du FLN en France d’affaiblir l’émigration algérienne de briser sa solidarité et son unité pour contraindre les négociateurs algériens à faire des concessions sur l’essentiel. La Fédération de France du FLN décide de réagir non en répliquant au terrorisme d’Etat dont la communauté algérienne est l’objet, mais en organisant à l’instar des grands mouvements citadins de décembre 1960 en Algérie, de puissantes manifestations de masse montrant au pouvoir français que la communauté algérienne ne s’est pas laissée entamer par la répression multiforme et qu’elle entend ne céder ni au défaitisme ni aux tentations aventuristes. La date des manifestations est fixée au 17 octobre ; les slogans sont clairs : « Algérie, Algérienne », « Vive l’Algérie libre », « Vive le FLN », « Levez le couvre-feu ». Malgré la répression préventive à la sortie des usines et des gares, des dizaines de milliers d’Algériens dirigés par leurs responsables du FLN, sans armes, dans l’ordre et dans le calme se dirigent vers le centre de Paris. A la place de l’Etoile, ils commencent à affluer dès 8h30, mais aussi au Quartier Latin, à Courbevoie, au Pont de Neuilly, à Nanterre, au Rond point de la Défense. Vers 20h d’immenses cortèges se forment sur les grands boulevards. Tous les journalistes et observateurs présents ont témoigné du caractère pacifique de ces rassemblements et de leur parfaite organisation qui allait jusqu’à ne pas gêner la circulation. Face à ces manifestations aux mains nues qui criaient certes leur soif de liberté et d’indépendance, mais sans aucune haine contre le peuple Français ni même l’Etat Français, la répression policière va être féroce. Les charges de CRS particulièrement violentes laissent bientôt la place à la fusillade généralisée des manifestants et aux ratonnades qui se poursuivront toute la nuit et les jours suivants. Officiellement le nombre des arrestations s’est élevé à 11 538. L’inspection générale de la Police reconnut officieusement 140 morts tandis que la Fédération de France du FLN faisait état de 200 morts et de 400 disparus. Dans la nuit du 17 et pendant plusieurs jours les corps d’Algériens torturés seront repêchés dans la Seine ou retrouvés pendus aux arbres des forêts avoisinantes. Malgré ses pertes, la communauté Algérienne en France sort victorieuse de l’épreuve. Malgré la violence de la répression, le programme mis au point par la Fédération de France du FLN se poursuit le lendemain avec la grève des commerçants Algériens. Le 20 octobre des manifestations de femmes sont organisées devant les prisons et les bâtiments publics à Paris et en province, dans les villes du Nord et de l’Est en particulier, suivies ensuite par une grève de la faim des détenus. Loin de détruire l’organisation FLN en France et d’affaiblir la communauté algérienne, la répression a au contraire galvanisé ses énergies. Sa lutte largement répercutée par les médias dans le monde entier, prouvait que même dans la capitale du système colonial elle pouvait briser l’étau répressif, occuper le terrain et se faire entendre, mettant ainsi en échec la stratégie coloniale, même si le prix à payer fut particulièrement élevé. L’Algérie, pour sa part, pour perpétuer le souvenir de ce jour historique a fait du 17 octobre la Journée nationale de l’émigration.

Correspondance particulière
Hamid Sahnoun