Autopsie d’une crise

Presse écrite

La crise qui continue de secouer la presse écrite en Algérie tarde à faire réagir les autorités concernées par la gestion de ce secteur. Les éditeurs sont l’expectative, alors que tout le monde sait que la survie de la plupart des titres dépend aujourd’hui d’une nouvelle politique publique adaptée aux exigences de l’heure.

Il est plus que temps pour les autorités de se pencher sérieusement sur ce dossier pour essayer de trouver, en concertation avec les hommes de la corporation, les solutions idoines, et de traiter ce secteur, pourtant classé comme hautement stratégique, avec égard, loin de toute velléités de caporalisation ou de domestication.
Faut-il rappeler l’intérêt que revêt le rôle de la presse aujourd’hui, face aux défis de l’heure auxquels est confronté le pays tant sur le plan régional qu’international, caractérisés par les hostilités nourris par les ennemis traditionnels de l’Algérie, pour mieux sensibiliser les responsables sur cette question ?

Des propositions concrètes pour sortir de la léthargie
En attendant, les hommes de la presse sont appelés à élargir le champ de réflexion et fournir des propositions susceptibles d’aider le secteur à sortir de sa léthargie et d’établir une relation apaisée entre les pouvoirs publics et la corporation.
Conscients de la gravité de la situation, des éditeurs mettent en garde contre la poursuite de la politique actuelle faite de pressions tous azimuts des services des impôts et des imprimeries publiques qui accablent les entreprises de journaux de dettes de plus en plus insupportables. Ils soulignent également que, durant la période de pandémie, la presse n’a bénéficié d’aucun soutien pouvant la soulager de ses effets néfastes économiquement et socialement et que, au contraire, elle était livrée à elle-même.
Ces éditeurs expliquent qu’une entreprise de presse ne peut être traitée comme une entreprise économique engrangeant des bénéfices. Les chiffres d’affaires montrent bien que ces journaux périclitent, en l’absence de ventes et du fait que les annonceurs privés boudent les titres de presse.
Ils rappellent, par ailleurs, une réalité qu’on ne peut continuer à éluder, à savoir que la presse écrite a pâti, dès les premières années de sa création, d’une «mafia des regroupeurs», favorisant certains titres au détriment d’autres ; ce qui a permis à des journaux d’occuper une meilleure place au sein de l’opinion publique, aux dépens d’autres qui n’étaient pas présents sur tout le territoire national, ainsi qu’au niveau de certains points de vente stratégiques. Aujourd’hui, la donne a changé, la presse écrite a moins d’audience et les regroupeurs, paupérisés par cette mutation, veulent avoir des salaires et ne rendent plus de comptes sur les invendus, sur lesquels les impôts exigent un droit de regard.
Cette situation, rappellent-ils, pénalise les titres et aggrave leur situation d’endettement auprès des imprimeries, quand, pour bénéficier de la publicité publique, ils doivent augmenter les tirages afin de viabiliser l’activité des imprimeurs.
Or, dans la situation actuelle, il ne sert à rien d’augmenter les tirages en l’absence d’un système de distribution structuré et efficient, géré par une entité responsable et comptable. Pour résoudre ce problème crucial, il a été proposé de créer, dans le cadre d’une association qui réunit presse, imprimeurs et Anep, une entité nationale de distribution de la presse papier sur l’ensemble du territoire national.

Pour une révision du statut
de l’entreprise de presse
Sur la question des impôts, les éditeurs ne comprennent pas que leurs entreprises paient parfois plus que les autres entreprises productrices de biens matériels, et qu’elles se voient obligés de s’acquitter de taxe cinéma, et d’autres taxes sur la formation, sachant que l’encadrement des nouvelles recrues se fait sur place.
Aussi, est-il inadmissible qu’elle paie une TVA pleine, alors que, partout dans le monde, celle-ci ne concerne pas les produits culturels. Sans oublier la double cotisation à la Caisse de sécurité sociale pour les pigistes actifs dans d’autres secteurs ou en retraite, qui est reversée à un fonds spécial et qui ne va jamais aux bénéficiaires.
Pour toutes ces raisons, les éditeurs jugent impérative une révision du statut de l’entreprise de presse qui puisse lui permettre de se doter d’une fiscalité conforme à la nature de son activité et à sa vocation culturelle et intellectuelle.
Toujours par souci d’impulser à la presse une nouvelle dynamique, les éditeurs proposent de revoir la relation de cette presse à la publicité publique. Ils contestent l’idée que la pub soit considérée par les pouvoirs publics comme une aide à la presse.
Car, il se trouve que cette aide est instable, et ne bénéficie pas à la seule presse, mais à tout un environnement qu’elle irrigue d’amont en aval. Les entreprises de presse ne font que reverser, aujourd’hui, plus qu’hier, presque en totalité, les rentrées périodiques qu’elles reçoivent de la publicité institutionnelle, aux impôts et taxes, à la sécurité sociale, aux imprimeries, à l’Aps et en salaires. Une aide doit être un octroi fixe, et pas une transaction
variable à caractère économique, de nature publicitaire, qui est là pour compenser l’impossibilité de la presse et du pluralisme médiatique d’exister par le seul fait des ventes et de la publicité privée.

Réactivation du fonds d’aide
Pour sortir de cette impasse, les éditeurs réclament la réactivation du Fonds d’aide à la presse, dont les mécanismes de distribution doivent faire l’objet de concertation entre les professionnels. Cette aide peut prendre diverses formes : soutien d’une partie du fil de l’Aps, paiement de l’abonnement à l’Internet, accompagnement des journaux dans le développement de leurs sites et à avoir des applications mobiles, attribution d’une partie à Alpap pour l’importation du papier…
Dans le même contexte, les éditeurs trouvent incompréhensible la décision prise, en pleine crise sanitaire, par un ex-ministre de la Communication d’attribuer 110 agréments à de nouveaux titres, avec la promesse de bénéficier de la publicité publique via l’Anep.
Alors que ce même responsable criait haut et fort que la presse écrite fait désormais partie du passé ! Résultat de cette politique irrationnelle : les dettes des journaux, anciens et nouveaux, s’accumulaient auprès des imprimeries, lesquelles s’en trouvaient incapables d’acheter le papier dont le prix a grandement augmenté sur les marchés internationaux. Ce qui les oblige à envoyer des mises en demeures à la plupart des titres publics et privés.
Incapables de s’acquitter de leurs dettes, de nombreux titres sont aujourd’hui menacés de fermeture. Les plus lotis d’entre eux sont à peine en mesure de signer un échéancier avec les imprimeries.
Devant cette situation inextricable, ça ne sert à rien d’accorder des agréments pour la création de nouveaux titres , jugeant que les 1.200 milliards de centimes attribués annuellement aux journaux par le biais de la pub institutionnelle, constitueraient un apport insuffisant, au vu du pléthore de titres, parce que vouloir aider toute le monde c’est tuer tout le monde.
A ce titre, il faut savoir qu’un pays voisin moins riche que le nôtre a versé pendant la pandémie à la presse pas moins de 22 millions de dollars.
C’est dire que le débat sur la presse n’est pas seulement une question d’argent, mais d’abord de vision qui n’est pas le seul fait de la tutelle mais aussi de l’exécutif et de toute la société.
A. Moussa