Kateb Yacine, d’hier à aujourd’hui

Littérature

Le destin a voulu qu’il disparaisse à la fin du mois d’octobre pour être enterré le 1er novembre 1989, lui qui, durant sa vie, a été un révolutionnaire convaincu, un démocrate impénitent et un écrivain hors du commun.

Sa particularité principale est celle d’avoir été original ; il l’a été par son écriture ses débats d’idées. Il était toujours en avance sur son temps et il anticipait avant de prendre la parole ; c’est pourquoi, ses œuvres aujourd’hui ont plus de valeur. Elles restent toujours hermétiques et malgré les efforts que l’on peut faire pour les décrypter, il y a toujours des zones d’ombre.

Un auteur à l’image de son théâtre
On ne sait si Kateb accepterait de devenir ce qu’il est devenu si sa scolarité n’avait été perturbée par le 8 mai 1945. C’est à cette date que tout a commencé pour lui. Il avait pris une part active aux événements qui lui ont valu de se faire exclure du lycée, d’être emprisonné et de rendre malade sa mère qui avait mal pris. Le 8 mai 1945, il était arrivé en classe de troisième d’antan. Après c’était l’errance. A 16 ans, il a fait une conférence sur l’Emir Abdelkader à Paris et ensuite il est devenu autodidacte parcourant le monde. Il avait pris soin de lire les œuvres maîtresses de la littérature mondialement connue : les œuvres de Kafka, le théâtre grec, les romans américains.
Dès les années cinquante, sa vocation était claire : être dramaturge pur et dur. Il l’a été et mieux que quiconque. Ses œuvres théâtrales sont de vraies chefs d’œuvre. Nedjma qu’il avait publié pour la première est un roman, mais c’est aussi une pièce théâtrale qui peut se jouer admirablement comme telle. Nedjma au titre évocateur est aussi un long poème par le rythme des phrases, les images qu’il véhicule sont fortement connotatives, et le style libre mais plein de qualités. En 1958, il a fait jouer sa trilogie en Belgique ; en Algérie, c’était la guerre. Son metteur en scène : Jean-Marie Serreau l’a beaucoup aidé pour ce qu’il était : un dramaturge hors pair, un esprit contestataire qui ne se laisse pas dépasser par son temps.
Kateb était en avance sur son temps. Le cercle des représailles, titre de cette trilogie, comporte une pièce majeure et d’actualité, Le cadavre encerclé où il a fait jouer les évènements de 1954 tels qu’ils se sont produits avec les morts, les prisonniers, les fouettés, la répression la plus sauvage de l’administration coloniale. Et que de non-dits, de métaphores, d’images indécryptables, de moments difficiles, d’étapes décisives pour les spectateurs qui assistent avec beaucoup d’intérêts à la pièce dans son déroulement qui incite à la concentration parce qu’il y a de la violence, des réparties dures à supporter, des changements inattendus, des réactions imprévisibles. Mais c’est un régal tant il vous apprend beaucoup sur les personnages très représentatifs de l’histoire. C’est «une tragédie». Son théâtre ressemble à celui de Bertolt Brecht, au théâtre grec qui jouent des situations dramatiques qui se sont imposées à eux par prédilection.
Chez Kateb, tous les personnages se rassemblent sur scène pour parler en chœur ou chanter. Ils expliquent au public les grandes lignes de la pièce. Et à la fin, ils se regroupent sur scène pour dire ce qui a pu échapper au public. Kateb a beaucoup aimé les êtres mythiques. C’est pourquoi, il s’est intéressé à Djeha au point de lui consacrer une comédie qui a consisté à placer bout à bout un ensemble de ses espiègleries pour constituer le texte de la pièce théâtrale. Il avait beaucoup d’admiration pour Djeha et a donné un titre significatif à la pièce La poudre d’intelligence. Quelle métaphore !

Un attachement aux valeurs anciennes
L’essentiel se trouve dans la pièce dramatique Les ancêtres redoublent de férocité. On y retrouve des croyances, celles qui hantent chacun, toujours, en considérant que les disparus sont omniprésents parmi nous, qu’ils planent au-dessus de nos têtes pour veiller sur les conflits internes, la route qu’ils ont tracée. Dans la pièce, un vautour vole avec ses ailes de géant au-dessus de tout le monde. Le vautour est un personnage animal mythique qu’il a peut-être été emprunté à quelque peuple d’Afrique, comme le Mali.
Kateb a été aussi un défenseur acharné des causes justes comme la cause palestinienne par la pièce La guerre de deux milles ans, par référence aux guerres de religion, celles des croisades d’Europe de l’Ouest, dirigées contre la Palestine qu’ils ont sans cesse revendiquée, comme terre des prophètes, celle de leur prophète. Il a été de tous les combats, particulièrement le Viet Nam où il s’est rendu pour rencontrer Ho Chi Minh. Il est par ailleurs, l’auteur d’une célèbre préface, celle qu’il consacrée au livre Histoire de ma vie de Fathma N’Soumeur qui a apporté la preuve qu’elle a été une victime innocente de la société traditionnelle qui n’a pas condamné le vrai coupable. Kateb Yacine a une forte personnalité qui n’a jamais été compris. Il ne se laisse pas tromper et il a toujours son mot à dire, n’hésitant pas à traiter comme il le mérite quiconque agit à contre-courant de quelque chose. Une est allée s’asseoir pour pleurer à l’ombre d’un chêne, après avoir longtemps écouté une chorale qui a chanté des textes touchants. Il était d’une grande sensibilité.
Abed Boumediene