Quand le «jardin colonial»bafouait les droits de l’homme en Algérie

Justice expéditive pour les indigènes

Dans les pays colonisés, les droits de l’Homme sont systématiquement bafoués par les autorités coloniales. L’exemple de l’Algérie sous occupation française le prouve. C’est plus flagrant dans les situations de résistance armée. Le fait est connu: en Algérie, les officiers parachutistes ont remplacé la justice «selon la procédure du Code pénal», par la justice expéditive.

Déjà en 1952,…
Même en temps de paix, dans des périodes sans conflit apparent, les forces coloniales en Algérie ont affiché leur plus grand mépris pour les droits de l’Homme. En octobre 1952, la police française, la DST (Direction de la sécurité du territoire), a lancé, à Alger, contre des dirigeants d’organisations algériennes pro-indépendance, une campagne d’arrestations arbitraires, qui restera dans l’histoire pour son côté burlesque, aujourd’hui amusant avec le recul du temps (il y a 70 ans).
Cela a commencé le samedi 11 octobre. A 6h du matin – «heure du laitier», ironise Henri Alleg dans l’édito d’Alger Républicain consacré à cette affaire – des policiers frappent aux portes des domiciles de dirigeants et militants connus pour leur activité politique anti colonialiste. C’est «légal», les policiers sont munis de mandats de perquisition délivrés par le juge militaire d’Alger, sur commission rogatoire du juge Michel de Paris. Mais, ils ont aussi une liste de personnes à arrêter, alors qu’ils n’ont ni mandat d’amener ni mandat d’arrêt. Ils vont donc procéder, illégalement, à de véritables enlèvements. Quand ils ne trouvent pas la personne qu’ils veulent arrêter, ils prennent des otages, parmi les proches parents ou même les voisins. Des femmes, avec leurs enfants en bas âge, ont été arrêtées parce que leurs maris étaient absents. Il semble que les policiers de la DST aient reçu l’ordre de ne pas revenir avec le «panier à salade» vide. André Ruiz, secrétaire général du Comité de coordination des syndicats confédérés, était absent de chez lui, les policiers ont emmené son épouse.
Chez Ahmed Khellaf (dirigeant de l’UJDA, Union de la jeunesse démocratique algérienne), absent, sa femme refuse d’ouvrir. «Ce sont les contributions», annoncent les 4 policiers. Les contributions à une heure aussi matinale, à 6h du matin ? Intriguée, Mme Khellaf ouvre la porte, les policiers l’arrêtent à la place de son mari. A Saint-Eugène, ne trouvant pas l’architecte Abderrahmane Bouchama dans sa villa, les inspecteurs de la DST embarquent un voisin parce qu’il n’a pas pu les renseigner sur l’endroit où pouvait se trouver l’homme qu’il voulait arrêter. Dans la journée, ces personnes seront retrouvées par la police et arrêtées.
Fait vécu par l’auteur de ces lignes, enfant à l’époque : le samedi 11 octobre 1952, les inspecteurs de la DST se présentèrent à six heures du matin, à Saint-Eugène, au domicile des parents de Nour Eddine Rebah, secrétaire de l’UJDA, pour l’arrêter. Ne l’ayant pas trouvé, ils séquestrèrent son père dans une pièce, comme un otage, et fouillèrent l’appartement. Nour Eddine était à Blida, chez ses grands parents. C’est là qu’il fut arrêté. Son père pu alors retrouver sa liberté. Quant à lui, conduit, menottes aux poignets, au siège de la DST, à Bouzaréah, par les inspecteurs du commissaire Loffredo, il fut enfermé avec, notamment, Braham Moussa, Bensmaïl et Mme Blanche Moine, secrétaires du Comité de coordination des syndicats confédérés, Akkache Ahmed et André Moine, secrétaires du PCA, Abderrahmane Bouchama, président des Partisans de la paix et membre du Conseil mondial de la Paix, Ahmed Gadiri. Pour l’anecdote, la veille, le 10 octobre, les résultats de la 2ème session du bac étaient donnés dans la presse : Nour Eddine Rebah était admis dans la série Philo 3 Alger, 6ème sur la liste des reçus qui ne comprenait que deux Algériens dans cette série.

Alger Républicain rendit compte des arrestations avec un titre sur huit colonnes à la Une : «Perquisitions en série en Algérie. Des personnalités de toutes opinions enlevées et retenues des heures à la DST». Le journal fit part également de la riposte immédiate à cet arbitraire : arrêts de travail, télégrammes, démarches, manifestations, motions… Les personnes ont été relâchées samedi soir vers 22h30. Durant une semaine, Alger Républicain rend compte des suites des arrestations. Le 24 octobre, il publie une photo de Mme Aicha Dali Bey, en voile, «première femme musulmane poursuivie pour un délit politique».
Rien dans le contexte algérien d’octobre 1952 ne pouvait expliquer cette répression. En fait, c’était le prolongement d’une affaire française appelée «complot des pigeons». Alger Républicain du 9 octobre avait annoncé de vastes opérations policières au siège d’organisations démocratiques et plusieurs arrestations en France. D’après le journal, «redoutant le mécontentement populaire en France, M. Pinay voudrait regonfler l’affaire du «complot». Jean-Paul Sartre avait protesté contre les arrestations en France.
Tout a commencé le 28 mai 1952 en France par la manifestation organisée sous l’égide du Mouvement de la paix contre la présence à Paris du général américain Ridgway, surnommé alors par la presse française de gauche, le tueur microbien ou général La Peste, impliqué dans la guerre de Corée. On parlait à l’époque de bombardements bactériologiques en Corée et de la fabrication des armes microbiennes, source de profits pour les trusts des Etats-Unis. A Paris, Hocine Belaïd, travailleur algérien, qui manifestait le 28 mai avec ses camarades français contre Ridgway a été tué par la police qui a tiré à la mitraillette. Fait peu connu : «Abdelhamid Benzine, qui était membre de la direction de l’Union départementale des syndicats de la région parisienne et connu sous le pseudonyme de Said, a été blessé au cours de la manifestation qui a eu lieu contre la venue à Paris du général américain Ridgway. Au moment du «complot des pigeons», il est le seul avec Mohamed Youkacana à échapper à la rafle policière contre les dirigeants de l’Union départementale CGT. Ils sont restés cachés dans les combles 36h avant de s’échapper sous un déguisement ». (Extrait de «La grande aventure d’Alger Républicain» de Boualem Khalfa, Henri Alleg et Abdelhamid Benzine).
Le 29 mai 1952, Alger Républicain alertait sur toute sa Une : Jacques Duclos secrétaire du Parti communiste français, arrêté. C’est le début du «complot aux pigeons». Les policiers trouvent dans le coffre de la voiture de Jacques Duclos, deux pigeons morts. Ils en concluent bêtement que des pigeons voyageurs sont utilisés par Jacques Duclos pour faire parvenir des messages aux «meneurs» des manifestations dans les quatre coins de la France. Ils ne comprennent pas que les pigeons étaient destinés à la casserole. Le dossier ouvert par «M. Brune, le ministre aux pigeons» est confié au tribunal militaire pour éviter la publicité aux débats, explique Henri Alleg. Il rappelle que le tribunal militaire n’a pas à motiver ses jugements, et sa sentence est sans appel. Dans son édito sur Alger Républicain, Henri Alleg annonce que «le vichyste Pinay a osé faire arrêter hier M. Jacques Duclos, secrétaire du PCF, député de Paris. Il fait remarquer que
«M. Pinay fut conseiller national de Pétain, tandis que M. Jacques Duclos luttait à la tête de son parti dans la clandestinité contre l’occupant nazi».
En Algérie, il y a eu 5 arrestations, à Cherchell, dont celles de Mustapha Saadoun et son frère Mahfoudh, libérés après 8 jours d’emprisonnement. Quelques années avant, le 8 mai 1945, le peuple algérien est sorti pacifiquement pour exiger l’indépendance nationale, le drapeau algérien a été porté au même titre que les drapeaux des nations alliées victorieuses.
L’armée française aidée par les milices de colons a organisé une répression sauvage contre la population algérienne qui réclamait son droit légitime à la liberté et à l’indépendance. Avant d’être fusillés, «les hommes qui vont mourir sont contraint de creuser les fosses de ceux qui viennent d’être tués», écrit Henri Alleg (La guerre d’Algérie, tome 1). Il rapporte un témoignage bouleversant : «Les légionnaires prenaient les nourrissons par les pieds, les faisaient tournoyer et les jetaient contre les parois de pierre où leur chair s’éparpillait sur les rochers». Les corps de prisonniers exécutés par rangées, dans le dos, étaient précipités du haut d’une falaise. Des corps sont brûlés dans les fours à chaux. Des groupes de prisonniers enchaînés sont écrasés sous les roues des chars des légionnaires. Que des crimes contre l’humanité, c’est cela l’histoire du colonialisme.
(Suite et fin)
M’hamed Rebah