Pour que nul n’oublie

Novembre 1954 – Novembre 2022

Soixante-huit années nous séparent du déclenchement de notre lutte de libération nationale. Le premier novembre a été, est, et sera toujours une date historique, dont nous devons nous souvenir mais aussi à laquelle doivent se référer les générations d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Loin d’être, en effet, une simple donnée historique répercutant l’écho du passé, le premier novembre est un des évènements les plus déterminants de la vie de la Nation, une date des plus fécondes, semblable à la terre généreuse qui offre ses fruits et ses bienfaits chaque fois que ses fils la cultivent, lui consacrent sacrifice et labeur et veillent à son entretien et à sa préservation.Le 1er novembre est également une source purificatrice dont nous devons tremper notre être pour mieux forger nos caractères et nos comportements, approfondir notre pensée, dynamiser nos actes. Plus qu’une célébration à la gloire d’un passé qui ne cesse d’ailleurs de façonner notre présent et de forger notre futur, le 1er novembre, par les composantes historiques de son essence, le contenu idéologique et politique de son développement révolutionnaire donne aujourd’hui plus que jamais à la notion de continuité la dimension et la portée de sa véritable expression révolutionnaire. En même temps qu’il déclenchait la lutte de libération nationale le 1er Novembre 1954, le FLN bouscula complètement les données du nationalisme algérien. Les partis politiques furent chacun mis devant leurs responsabilités, et sommés d’engager leurs militants dans la lutte. Qu’est-ce qui a fait, que le FLN ait pu agir de la sorte avec le succès que l’on sait ? La détermination de ses militants bien sûr, mais aussi et surtout sa vision révolutionnaire du mouvement national. Mais pour en arriver là, il fallait bien le temps de la maturation, commencé sans aucun doute dès 1947, avec la création au sein du PPA-MTLD de l’organisation spéciale (L’OS). Même si tous les acteurs et les rares historiens qui se sont penchés sur le phénomène, ne l’admettent que du bout des lèvres, la présomption est grande que l’ancêtre du FLN est l’OS. Ce qui est sûr en tout cas, c’est que le processus qui a abouti à la création du CRUA (Comité Révolutionnaire d’Unité et d’Action), puis du FLN en 1954, et au déclenchement de la lutte de libération nationale, a bel et bien été entamé en 1947, avec la création de l’OS. Mais le chemin est long est parsemé d’obstacles. Ainsi, lorsque, au mois de février 1947, quelques militants du MTLD, au premier rang desquels figure Mohamed Belouizdad, qui se trouve honoré aujourd’hui par une grande artère de la capitale qui porte son nom, décident de créer l’OS (l’Organisation Spéciale), rares étaient ceux qui auraient parié, que cet évènement constituait le prélude à un bouleversement complet du mouvement national algérien. C’est vrai que le contexte qui prévaut à l’hiver de 1947, n’est guère favorable aux esprits téméraires. Le pays est encore sous le choc des évènements sanglants de 1945, sans qu’aucune perspective ne se dessine d’une façon ou d’une autre. La police française veille au grain, en même temps que le lobby colonial partisan farouche du statu-quo, s’oppose à toute forme d’évolution si minime soit-elle.
Le statut de 1947, qui ne contient pourtant aucune réponse sérieuse aux revendications nationalistes, est cloué au pilori par les extrémistes français d’Algérie, sûrs d’eux et dominateurs. C’est en raison de cela, que le mouvement national avait comme sombré dans une sorte de léthargie, dont on ne voyait aucune porte de sortie.
Le MTLD (Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques) fait place au PPA interdit dès 1939, sans que les militants, regroupés au sein des AMA (Amis du Manifeste Algérien), aient eu vraiment le temps de réagir, puisque la tourmente de 1945 eut pour conséquence l’interdiction de leur mouvement. Mais le MTLD était handicapé. Il souffrait du complexe du chef, qui permit à Messali d’exercer un pouvoir omnipotent sur les structures, sur les hommes, sur les idées. C’est vrai qu’à l’époque, Messali disposait de l’expérience acquise depuis l’Etoile nord-africaine, et qu’il exerçait un certain charisme, pour ne pas dire un charisme certain, sur son entourage et sur les foules. Mais cela avait fini par anesthésier tout le parti, incapable du moindre élan, de la moindre idée, et encore moins d’action, en dehors de ce que pouvait penser ou décider le chef. Cette situation a fini par frustrer beaucoup de militants, et priver le MTLD, qui était le seul parti à revendiquer clairement l’indépendance nationale, de ressort, ce qui eut pour effet de lui boucher toute perspective d’évolution. Bien plus grave, à l’instar de l’UDMA et de l’Association des Oulémas, le MTLD s’est laissé entraîner dans le jeu des élections organisées et contrôlées par le pouvoir colonial. Cette attitude constituait aux yeux de certains militants une impasse, voire même une déviation pour le mouvement national, d’autant que se faisaient déjà sentir de façon diffuse, les prémisses d’un malaise au sein des organes dirigeants du parti. C’est sur cette toile de fond, et sans doute pour sortir de l’impasse, et redonner le goût de l’action et de la conviction aux militants, que fut créée l’OS. Certes, cette organisation faisait partie intégrante du MTLD dont elle dépendait, mais elle avait dès le début vocation à s’en distinguer, aussi bien en raison des exigences de la clandestinité et des méthodes d’action. Plus fondamentalement, il s’avéra très vite, que l’OS était opposée à l’immobilisme du mouvement national.
Les membres, rigoureusement sélectionnés et formés aux méthodes militaires, ont fini peu à peu par prendre conscience de leur force, au sein même de l’appareil du parti. C’est sans doute pour cette raison que l’O.S., premiers signes de l’autonomie, va choisir de se tenir soigneusement à l’écart des dissensions, qui opposent désormais au grand jour, les deux clans antagonistes au sein du MTLD. Lassé par le pouvoir omnipotent de Messali, le Comité central a entrepris de contester de plus en plus véhémentement les méthodes du chef, ce qui n’est pas, on s’en doute, du goût de celui-ci.
Le conflit larvé s’exaspère au fil des ans, entraînant le malaise, parfois même le découragement chez les militants. L’énergie qui devait servir la cause nationale était ainsi gaspillée au profit de luttes internes, qui ont fini par ternir assez sérieusement l’image du parti.
Mais l’OS qui a pris du poids et de l’assurance, ne tombe pas dans le jeu politicien des uns et des autres, considérant les enjeux à un autre niveau, qui est celui de l’action armée contre le colonialisme.
Après les graves évènements de 1950, où la police découvrit de nombreux réseaux de l’OS, et procéda à d’importantes arrestations de militants, tout en contraignant d’autres à la clandestinité la plus totale, de nombreux responsables se réfugient dans les maquis. Ainsi, Ben Boulaïd, Didouche Mourad, Rabah Bitat, Ben M’hidi, Boudiaf et quelques autres, notamment Zirout Youcef et Mostefa Benaouda, échappés de la prison d’Annaba, resteront de nombreux mois dans les maquis des Aurès.
En 1952, les dirigeants de l’OS, qui n’a plus de responsable attiré, comme Aït Ahmed en 1948/49 et Ben Bella en 1950, se réunissent à Alger. Ils sont dix, parmi lesquels des noms qui vont désormais de plus en plus s’imposer: Ben Boulaïd, Ben M’hidi, Bitat, Boudiaf et Didouche Mourad. La réunion est déjà en soi une manifestation d’autonomie par rapport aux organes dirigeants du MTLD.
L’OS rappelle que seule la lutte armée est en mesure de constituer une alternative, à l’impasse dans laquelle était plongé le mouvement national.
C’est au cours de cette année 1948, que l’autonomie totale de l’OS par rapport au MTLD a été en quelque sorte institutionnalisée, privant par là même ce parti de ses éléments les plus dynamiques et les plus déterminés. Le MTLD ne présente plus dès lors, que l’image d’un bateau à la dérive sans prise réelle sur le cours des évènements, jusqu’à ce que la scission entre les centralistes et les messalistes, intervenue au cours de l’été 1954, ne vienne encore l’affaiblir.
L’OS, en revanche, monte en puissance. Grâce à une organisation stricte, et une maîtrise parfaite des règles de la clandestinité, elle déjoue bien des pièges, et réussit souvent à tromper la vigilance de la police française. Désormais, l’OS veut donner corps aux idées qui l’ont animée dès sa création en 1947, à savoir la lutte armée. Dans ce but, le groupe dit des cinq, décide de créer le CRUA (Comité Révolutionnaire d’Unité et d’Action), un sigle qui est déjà en soi tout un programme. C’est chose faite en Mars 1954, au cours d’une réunion secrète à Clos Salembier (Alger). Outre les cinq, le CRUA comprend 17 autres membres de l’OS. A l’issue d’un vote, les cinq sont confirmés dans leur fonction de dirigeants, et Boudiaf est choisi parmi eux comme coordinateur. Le CRUA était en mesure dès lors d’engager le processus, qui devait mener au déclenchement de la lutte armée. Krim Belkacem rejoint le mouvement, qui lui confie un rôle de dirigeant, faisant ainsi passer le groupe des cinq à six. Chacun de ceux-ci se voit confier la responsabilité d’une zone.
Le découpage en retient cinq : Rabah Bitat (l’Algérois), Didouche Mourad (Nord Constantinois), Krim Belkacem ( la Kabylie), Larbi Ben M’hidi (l’Oranais) et Mostefa Ben Boulaid (Les Aurès). Mohamed Boudiaf est chargé pour sa part, de rendre publiques à l’étranger les actions et la proclamation du 1er Novembre 1954.
Les témoignages manquent pour dire, où et quand a été choisie la date du 1er Novembre.
Est-ce en Mars 1954 à Clos Salembier au moment de la constitution du groupe des 22, ce qui paraît peu plausible car la date est trop éloignée. Ou alors le 20 Juillet au moment de la dissolution du CRUA, ou encore le 23 Octobre 1954, ce qui serait, au contraire de la première hypothèse, un peu court. Quoi qu’il en soit, les dès sont jetés dès le mois de Mars 1954.
Le groupe des 22 a opté définitivement pour la lutte armée. Lorsque les six se réunissent le 23 Octobre à la Pointe Pescade à Alger, au domicile de Mourad Bouchekoura, on est à une semaine du jour J. Le FLN était né.
C’est désormais ce sigle qui va s’imposer de façon foudroyante, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Le temps des tergiversations et des atermoiements prenait fin. Celui de la lutte de libération nationale commençait. Pour l’Algérie, sous la conduite du FLN, c’était l’aube de la liberté qui se levait.
Hamid Sahnoun