«Un pas important a été fait avec le rapport de Benjamin Stora…»

Pierre Audin, le fils du défunt militant de la cause algérienne Maurice Audin à LNR :

Suite à nos entretiens exclusifs avec des historiens et écrivains français entrant dans le cadre de la manifestation marquant le 61e anniversaire du massacre du 17 Octobre 61 à Paris, nous avons donné la parole cette fois-ci à Pierre Audin, le fils du mathématicien et militant de la cause algérienne Maurice Audin, assassiné en 1957 par l’armée française en Algérie. Il répondra à toutes les questions posées auparavant au politologue Olivier Le Cour Grandmaison dans notre dernière édition.

LNR : 61 ans après, le bilan des Algériennes et Algériens tués, blessés et expulsés lors du massacre du 17 Octobre 1961 à Paris n’est toujours pas dressé officiellement. Pourquoi selon vous ?
Dès le 17 octobre 1961 et dans les jours qui ont suivi, la police a été plus occupée à exercer ces violences et ces meurtres qu’à faire des rapports sur les violences commises. Dès l’après-midi, la police a empêché les Parisiens d’assister à la manifestation en éloignant les badauds. Tout a été fait pour qu’il y ait le moins de témoins possible. Le travail de chiffrage par les historiens est donc difficile à mener. Pourtant, dès le 17 octobre 1961, le Comité Maurice Audin finançait Jacques Panijel pour réaliser un film sur cette tragédie : ça a donné le film « Octobre à Paris » interdit en France pendant de longues années. Oui, tout a été fait pour empêcher que l’on sache ce qui s’était passé.

Les violences contre les Algériens de France n’ont pas commencé le 17 Octobre 61 mais bel et bien avant, selon certains historiens, et sont symptomatiques de cette terreur d’Etat qui s’est abattue sur eux. Qu’en pensez-vous ?
Le 17 octobre 1961 n’a pas été une exception, il y a eu, contre les Algériens, des violences avant, et d’autres après cette date. Je pense qu’on pourrait rappeler la date du 14 juillet 1953 par exemple. En réalité, la police a importé en métropole les méthodes utilisées en Algérie. Mes parents participaient aux manifs à Alger, et quand la participation des Européens était minoritaire dans une de ces manifs, la police chargeait, tirait à balles réelles, poursuivait les manifestants. Le 11 juin 1957, le jour où Maurice Audin a été arrêté par les paras de Massu, Alger a été le théâtre des mêmes violences contre les Algériens, commises par les « ultras » partisans de l’Algérie Française, car c’était le jour où l’on enterrait les morts de l’attentat du Casino de la Corniche. Ces violences habituelles avaient lieu avec la complicité des forces de police et de l’armée.

Le député de la France Insoumise du Val-d’Oise Carlos Bilongo déclare : «L’obscurantisme, la haine de l’autre et le racisme avaient tué ce jour-là et a proposé un projet de loi récemment pour la restitution du reste des crânes des combattants tués au début de la colonisation française au 19e siècle». Qu’en dites-vous ?
Il faudrait que les recommandations du rapport de Benjamin Stora soient mises en œuvre. Il y a certainement beaucoup de restitutions nécessaires, et d’autres mesures plus symboliques comme l’entrée de Gisèle Halimi au Panthéon.
Le crime d’Etat n’a jamais été reconnu officiellement par les autorités françaises, hormis quelques déclarations ça et là par François Hollande et Emanuel Macron… Pourquoi à votre avis ?
Parce que la pression populaire n’est pas assez forte. Si les électeurs interpellaient les autorités, elles seraient bien obligées de réagir.

Jean-Luc-Einaudi, Benjamin Stora, et vous-même étiez pour beaucoup pour la reconnaissance juridique du massacre en ce jour du 17 Octobre 1961. Quel bilan faites-vous aujourd’hui ?
On ne pourra réellement tirer un bilan que quand toute la vérité aura été dite sur toute la période de la colonisation. Il a fallu du temps pour sortir de l’oubli les massacres du 8 mai 1945 ou du 17 octobre 1961. Il ne faudrait pas oublier non plus la folie meurtrière de la police parisienne le 8 février 1962. Mais je suis persuadé qu’à chaque date du calendrier, on peut trouver un méfait de la colonisation une année ou une autre entre 1830 et 1962.

Que réclament aujourd’hui les collectifs, les enfants des victimes, les historiens et autres qui se battent pour la Mémoire aux autorités françaises ?
Je ne peux répondre que pour moi : je pense que ce qui est important c’est de dire la vérité. Ensuite, chacun avec sa sensibilité ou même ses croyances, chacun pourra en tirer les interprétations qu’il voudra. Et je pense que la même demande de vérité s’adresse aux autorités algériennes.

Pratiquement dans toutes les villes de France et bien entendu en Algérie, on commémore cette triste journée pour que nul n’oublie …. Peut-on parler un jour de l’inscription du 17 Octobre 61 au calendrier officiel des journées nationales comme exigé par les collectifs et les enfants des victimes, voire inscrire cette triste journée dans les manuels scolaires ?
Bien sûr, le pays qui se prétend la patrie des droits de l’homme se devrait de commémorer cette journée, et bien d’autres, où un pouvoir assassin a affronté la population qui réclamait simplement la justice. Et bien sûr, si on veut éviter que de tels événements se reproduisent, il ne faut pas les oublier mais, au contraire, les enseigner aux jeunes, leur expliquer comment ils se sont produits afin qu’ils sachent comment empêcher qu’ils ne se reproduisent.

Un dernier mot peut-être pour conclure cette interview ?
Pour avancer sur ces questions qui touchent à la mémoire de la colonisation de l’Algérie par la France, un pas important a été fait avec le rapport de Benjamin Stora. Il peut y avoir des avancées du côté de la France, mais il ne faudrait pas que cela prenne 132 ans : l’Algérie aussi doit avancer, or il n’y a toujours pas en Algérie de rapport et de recommandations analogue à ce qu’a fait Benjamin Stora. Il faut que les historiens français et algériens travaillent ensemble sur ces questions mais il faut aussi que les gouvernements français et algérien travaillent ensemble pour la mise en œuvre des actions nécessaires : ouvrir les archives, dire les vérités, rechercher les corps des victimes, indemniser ceux qui doivent l’être.

Interview réalisée à Paris
par Hadj Hamiani