Mais une fois celui-ci fini

Le fabricant d’el-oud ou luth laisse une partie de lui-même dans l’instrument

Le fabricant de luth n’est pas n’importe quel producteur, il fabrique des instruments de musique qui servent à composer des sons devant servir à répondre à une musique spécifique dans un ensemble instrumental qu’on appelle l’orchestre. Il n’est pas donné à tout le monde de fabriquer un luth, il faut avoir beaucoup de talent, savoir donner du temps à l’objet artistique, à lui donner sa forme originelle, avoir le sens des proportions en sachant obtenir pour chaque partie de l’instrument les dimensions exactes.

C’est un travail de longue haleine qui demande en outre de la patience, un coup d’œil ciblant sans cesse l’instrument qui prend forme progressivement. Pour cela, il faut des mains habiles et des yeux attentifs pour assembler avec doigté des pièces en bois coupés dans un bois spécial : celui de l’ébène ou du hêtre, du noyer facile à travailler mais résistant, l’ensemble de ces pièces réunies doit donner naissance à la caisse de résonance avec sa forme arrondie et qui contribue à l’obtention des sons moyennant des cordes à l’origine en peau d’animaux ou en boyaux, avant d’être en métal de qualité. Tout ça relève du travail de l’artiste qui donne le meilleur de lui- même pour l’obtention de l’instrument fini, ce qui explique que l’artiste laisse une partie de lui-même dans l’instrument. Il a consacré, comme tous les artistes, ses meilleures années à un idéal, son savoir faire, pour mieux développer son art au profit de ses admirateurs et de tous ceux qui apprécient le travail de recherche, original et fignolé. Et tous ceux qui ont contribué à honorer leur pays par leurs belles œuvres littéraires, picturales, musicales ou de toute autre œuvre ou de toute œuvre relevant de l’esthétique des formes et des couleurs, ont leurs noms inscrits au panthéon des grands artistes du monde.

Qu’est ce que le luth demande comme travail et dans ses différentes formes
Ce qu’il laisse en réalité, dans l’instrument, c’est le fruit de son imagination et de son savoir faire qui est l’instrument de musique lui –même, une merveille portant la signature de son auteur qui a dû travailler avec beaucoup d’adresse pour que l’œuvre d’art prenne la forme bombé d’une poire. Pour cela, il lui a fallu rassembler, probablement à l’aide d’un colle spéciale de nombreuses pièces coupées dans du bois dur, mais d’art comme l’ébène, des fines planches appelées côtes qui une fois réunies forment le corps très arrondi de l’instrument .Le bois rare et facile à travailler font que le luth ne pèse pas lourd. Le luth d’origine arabe appelée dans son milieu naturel « oud » issu de « al oud », signifiant le morceau de bois qui a donné « luth », appellation gardée jusqu’ à maintenant dans les pays arabophone de l’Afrique du nord. Le luth occidental, variante du luth arabe, est arrivé en Europe pendant la période de l’Andalousie. Vers le quatorzième siècle, il a été transformé par rapport à l’original au point de devenir polyphonique moyennant l’ajout de frettes sur le manche. Et depuis il n’a pas cessé d’évoluer surtout par l’ajout de cordes graves. C’est à partir du luth qu’a été inventée la guitare, en tous les cas elle en est une copie. Le luth est à peu près fait en bois y compris la table faite d’une fine planche d’un bois résonnant portant des rosaces servant de décoration. Le tout n’a pas d’ouverture comme la guitare actuelle. Un travail de fourmi et organisé de manière à ne pas commettre d’erreur lorsqu’on arrive à la reconstitution de la forme arrondie à l’aide de petites planches mises bout à bout à l’aide de la colle. La manche est faite d’un léger bois couvert de bois dur au niveau de la touche. Les frettes sont faites à partir de boyau, elles sont nouées autour du manche. Ces cordes en boyau sont groupées en chœurs, à raison de deux cordes par chœur à l’exception du chœur le plus aigu, « la chanterelle » constitué d’une seule corde, apparue tardivement, les deux chœurs les plus aigus sont souvent deux cordes simples. Un luth renaissance dit « renaissance » à huit chœurs a donc quinze cordes, sept fois deux cordes et une corde simple et un luth baroque à treize chœurs, vingt quatre cordes, onze fois deux cordes et deux cordes simples. Les chœurs s’accordent à l’unisson dans l’aigu et le médium. L’accord du luth est très complexe parce que non standardisé, il est construit dans des tailles variables et sans standard permanent d’accord, le nombre de cordes et de chœurs ayant aussi beaucoup varié. Tout ça est du domaine du luthier qui à partir des matériaux qu’il connait parfaitement, construit un luth dans toutes ses dimensions et ses particularités.

Ce que veut dire « le luthier laisse une partie de lui-même »
Le luthier d’aujourd’hui construit son objet petit à petit dans le strict respect des formes, avec beaucoup de talent, patiemment, adroitement sans que rien ne puisse le distraire au point de lui faire oublier sa tâche exaltante et de longue haleine. Et à chaque fois que nous voyons un luthier à l’œuvre, notre pensée va à l’inventeur du luth, un arabe d’un siècle lointain qui a eu le privilège et le mérite d’avoir nourri un projet, celui d’inventer le luth comme nouvel instrument venu à point nommé enrichir la panoplie des instruments de musique. On peut imaginer la peine qu’a pu se donner l’inventeur de cet instrument particulier, en le concevant d’abord dans son esprit puis en essayant de le mettre au point, comme toute autre invention avec des matériaux de fortune. Puis ayant réussi sa mise en forme, l’auteur a été reconnu comme inventeur d’un nouvel instrument à cordes. C’est de cette façon que sont nés, et depuis les origines, les autres instruments à cordes ou à vent ou à percussion qui sont venus s’ajouter aux autres pour former des orchestres qui s’enrichissent de plus en plus.
En se rappelant la peine que s’est donnée l’inventeur, on peut mieux comprendre ce que veut dire laisser une partie de lui-même en produisant au monde de la musique un nouvel instrument. Et ce qui est vrai pour le luthier inventeur l’est aussi pour les autres instruments qui ne sont pas nés du néant et pour toutes les inventions et découvertes venues au monde pour apporter de la vie à l’humanité.

Le luth dans un orchestre parmi d’autres instruments
Peut- il suffire comme instrument ? Il faut poser la question aux luthistes qui jouent de cet instrument parce qu’il l’aime, le satisfait pleinement. Imaginons un orchestre où chacun joue de son instrument, il y a des pianistes, des violonistes, des guitaristes, des flutistes, pour ne citer que les plus connus, car à côté il y a bien d’autres instrumentistes qui jouent de la clarinette, du tambour, de la contrebasse et j’en passe tant il y a d’autres spécialités. On ne peut demander à un luthiste de jouer de la flute, ce n’est pas sa spécialité ou à un joueur de tambour de jouer de la guitare. Comme tous les instrumentistes, le luthiste aime son instrument et chaque jour, il fait l’effort de le découvrir, l’instrument ne lui a pas livré tous ses secrets. Cependant, il est des musiciens qui peuvent jouer de tous les instruments, c’est un don qui n’est pas donné à tout le monde. Chaque chanteur peut aussi jouer d’un instrument favori, ça peut être la flute, un violon comme dans les chansons andalouses, une guitare, et pourquoi pas un luth. On ne connait pas très bien nos chanteurs luthistes qui doivent jouer avec talent comme tous les artistes. Il parait que Mohamed El Ammari a joué admirablement du luth, c’est un vrai artiste comme les autres artistes chanteurs qui avait ses préférences. Aderrahmane Aziz était un fervent chanteur, jouant admirablement de el-oud, ce fut un grand chanteur populaire qui a su se faire une renommée par sa voix musicale, la qualité de ses chansons et leur portée sociale et morale. Il a participé en tant que maître de la musique à la musicothérapie en tant que forme de thérapie devant aider une catégorie de malades mentaux à surmonter leur maladie. Il a été désigné par Frantz Fanon pour assurer des séances de chants avec son orchestre devant des malades, il parait que c’est la meilleure thérapie pour les aider à guérir. Parmi les autres chanteurs populaires, il faut citer Amar Zahi dont la voix apporte un plus à l’instrument, c’est un grand chanteur qui devait bien connaitre le luth, et à l’exemple des élèves de El Anka devenus chanteurs talentueux qui jouaient admirablement du al oud.
Boumediene Abed