L’opérationnalité du cahier des charges dépendra de six facteurs

Filière automobile

Le cahier des charges concernant l’automobile a été publié, le jeudi 17 novembre 2022 dans le journal officiel. Depuis je constate malheureusement la publication de déclarations euphoriques sans analyses objectives ne prenant pas en compte ni le pouvoir d’achat déterminant pour l’achat local que les coûts, la norme qualité et les mutations technologiques pour pouvoir exporter avec une révolution sans pareille pour cette filière entre 2025/2030.

D’une manière générale, un projet au moment de de sa production effective, sous réserve de la levée de toutes les entraves bureaucratiques, demande au minimum trois années pour atteindre le seuil de rentabilité et un projet hautement capitalistique cinq à sept années. N’étant qu’un texte juridique, l’important étant la réalisation sur le terrain, devant s’adapter à la profonde restructuration mondiale qui se dessine entre 2022/2030 de toute la filière automobiles, bus et camions. Aussi, le gouvernement devra éviter de perpétuer un modèle périmé des années 1980/2020, largement déconnectées des réalités mondiales en adaptant le cahier des charges à la nouvelle reconfiguration mondiale de la filière automobiles/camions/bus. L’important n’est pas de donner le chiffre d’affaire à l’exportation mais la balance devises,
(notre interview au site américain Maghreb Voices du 21/11/2022), un gain net pour l’Algérie car sur les 7 milliards de dollars annoncés hors hydrocarbures, la structuration donne près de 70% de dérivées d’hydrocarbure. Les réserves de change (ainsi que les prévisions du taux de croissance et donc du taux d’emploi), annoncées par le ministre des finances de 56,5 milliards de dollars fin 2023 ( avec un déficit budgétaire colossal qui approche les 40 milliards de dollars) dépendent de deux facteurs qui échappent à la décision interne : l’évolution du cours et du volume des exportations des hydrocarbures, pétrole et gaz (98% des recettes en devises avec les dérivées) ainsi que du montant en devises des investissements étrangers, qui sont les conditions de la relance économique, sinon il faudra puiser dans les réserves en devises de la banque d’Algérie. Qu’en est-t-il pour l’Algérie avec le vieillissement du parc où au 1er janvier 2020, avec un vieillissement accéléré du parc entre 2021/2022, qui selon l’ONS totalise 6.577 188, qui en plus de mauvais comportements, de routes mal faites est à l’origine de nombreux accidents. La structure d’âge est la suivante : les moins de 5 ans représentent 19,32%, entre 5/9 ans 22,08%, les 10/14 ans , 17,22% , les 15/19 ans 22,08% et les 20 ans et plus 19,31%. Donc le parc de voitures en Algérie entre 5/9 ans et 20 ans et plus représente 80,69% et entre 10/14 ans et 20 ans et plus, donc des voitures qui doivent être réformées 58,61%. La répartition est la suivante : voiture touriste 64,55% – camion, 6,46%, camionnette 18,54%, autocar-autobus 1,35%, tracteur routier 1,34%, tracteur agricole 2,52%, véhicule spécial 0,11%, remorque 2,37% et moto 2,76%. Pour les voitures touristes, la moyenne d’âge est de 21,97% entre 15/19 ans et 19,83% 20 ans et plus, les camions respectivement pour la même période 20,39% et 17,40%, les camionnettes 26,15% et 14,43%, autocar –autobus, 22,37% et 13,60% tracteur routier 20,02% et 21,74%, tracteur agricole 20,52% et 21,74%, véhicule spécial 19,12% et 17,05% , remorque 20,26% et 20,29% et moto 5,19% et 44,42%. Dans le cahier des charges, il est précisé que l’exercice effectif de l’activité de construction de véhicules est subordonné à l’obtention d’un agrément, délivré par le ministre chargé de l’Industrie, sur avis conforme d’un comité, composé, en plus d’un représentant du ministre chargé de l’Industrie (président), d’un représentant du ministre chargé de l’Intérieur et des Collectivités locales, un représentant du ministre chargé des Finances, un représentant du ministre chargé des Mines, un représentant, du ministre chargé du Commerce et un représentant du ministre chargé de l’Emploi, en tant que membres.
Le constructeur de véhicules bénéficie du régime fiscal préférentiel prévu pour les matières premières importées ou acquises localement, ainsi que pour les composants acquis auprès de sous-traitants locaux, sur la base d’une liste quantitative établie au titre de chaque exercice fiscal, comme partie intégrante d’une décision d’évaluation technique délivrée par le ministre chargé de l’Industrie l’obtention de l’agrément est soumis une série de conditions à savoir que le constructeur devra établir en matière de construction les montants des investissements projetés, les modèles de véhicules à produire localement, l’accompagnement et l’homologation des sous-traitants locaux, le taux d’intégration minimal de 10%, au terme de la 2ème année, 20% au terme de la 3ème année et 30% au terme de la 5ème année et exporter durant la cinquième année . Et, dans le cas de non atteinte des taux d’intégration prévus, il est accordé au constructeur un délai supplémentaire de douze (12) mois avec une réduction de 25% du programme pluriannuel d’approvisionnement, diminué de ses stocks importés restants, non assemblés, devant disposer d’une unité de recherche, de développement et d’innovation dédiée, notamment à l’amélioration des process de production, au savoir-faire et au transfert technologique.
En cas de cessation de l’activité, le constructeur est tenu d’assurer, à travers son réseau de distribution, la disponibilité de la pièce de rechange et accessoires d’origine ou de qualité équivalente homologuée par le constructeur propriétaire de marques, sur une durée minimale de cinq (5) ans.
Pour les actions concrètes, l’article 29 du cahier des charges stipule qu’il n’y aura pas d’importation pour les véhicules diesel, ne sont autorisés à l’importation par les concessionnaires de véhicules neufs, dans la catégorie de véhicules de tourisme, que ceux équipés d’un moteur essence, électrique, hydrogène, hybride : essence/électrique, essence/hydrogène, ou GPL/GNC ou en être prédisposé, et dont les émissions de gaz sont conformes à la législation et à la réglementation en vigueur. Dans l’article 19,il est stipulé que le délai de livraison du véhicule neuf commandé ne peut dépasser une durée de quarante-cinq jours à partir de la date de la commande.
Toutefois, ce délai peut être prorogé d’un commun accord des deux parties, sur la base d’un document écrit » l’article 19, et enfin le prix de vente figurant sur le bon de commande de l’engin roulant neuf doit être ferme, non révisable et non actualisable à la hausse.
L’on devra répondre à six questions reposant sur des études de marché sérieuses, afin d’éviter le gaspillage des ressources financières.
Premièrement, avec la forte dévaluation tant du cours officiel que celui du marché parallèle ( coté le 21/11/2022 à 220 dinars un euro contre le cours officiel 142,64) et le retour de l’inflation, plus de 10% en moyenne depuis janvier 2022, et plus de 10% pour les pièces détachées, devant réactualiser l’indice de l’ONS pour tenir compte de la réalité sociale, par rapport au pouvoir d’achat réel, (alimentaires, habillement notamment plus les frais de loyer et téléphone) et avec le nivellement par le bas des couches moyennes, principaux clients, que restera-t-il pour acheter une voiture ? Pour les importations de voitures d’occasion de moins de trois ans dont il faudra attendre les modalités de la loi de Finances 2023, pour une appréciation objective, notamment l’importation au cours officiel du dinar ou au cours sur le marché parallèle, qui risque de flamber et quelles seront par catégories les taxes à la douane.
Selon nos calculs au cours du marché parallèle, approchant le 19/11/2022 les 220 dinars un euro, cours vente, avec le coût du transport, et les taxes douanières qui s‘appliquent à la valeur dinar au port, une bonne voiture d’occasion, moyenne, pas moins de 15.000 euros, dépassera les 400 millions de centimes en dinars, pour 20.000 euros 500 millions de centimes, donc inabordable pour la majorité des Algérien.
Deuxièmement, comment ne pas renouveler les erreurs du passé avec les risques de surfacturation et de transfert indirect de devises, a-t-on mis en place les mécanismes de contrôle au niveau de la douane (tableau de la valeur relié aux réseaux internationaux), le marché local, a-t-il les capacités d’absorption et ces opérateurs seront-ils capables d’exporter pour couvrir la partie sortie de devises et donc quelle sera la balance devises des unités projetées ? D’autant plus que la majorité des inputs sont importés en devises devant inclure le coût de transport, et également la formation adaptée aux nouvelles technologies en plus des coûts salariaux.
Troisièmement, la comptabilité analytique distingue les coûts fixes des coûts variables. Quel est donc le seuil de rentabilité pour avoir un coût compétitif par rapport aux normes internationales et aux nouvelles mutations de cette filière où selon la majorité des experts, étant un marché oligopolistique, le seuil de rentabilité implique une production entre 250.000/300.000 voitures par an minimum pour tenir compte de la forte concurrence ? La carcasse représentant moins de 20/30% du coût total c’est comme un ordinateur, le coût ce n’est pas la carcasse (vision mécanique du passé), les logiciels représentant 70/80%. Aussi, ces projets seront-ils concurrentiels dans le cadre de la logique des valeurs internationales, où de par le monde on construit une usine de voitures non pour un marché local, l’objectif du management stratégique de toute entreprise est régional et mondial afin de garantir la rentabilité financière cette filière étant internationalisée avec des sous segments s’imbriquent au niveau mondial ?
Quatrièmement, quelle est la situation de la sous-traitance en Algérie pour réaliser un taux d’intégration acceptable qui puisse réduire les coûts où la part du secteur industriel représente moins de 6% du PIB en 2021 dont plus de 95% sont des micro-unités familiales ou Sarl peu innovantes et comment dès lors ces micro-unités souvent orientés vers le marché intérieur, réaliseront le taux d’intégration prévu avec les nouvelles technologies appliquées aux voitures/camions. Cinquièmement, selon une vision cohérente de la politique industrielle, ne faut il pas par commencer de sélectionner deux au maximum trois constructeurs avec un partenariat étranger gagnant/gagnant maîtrisant les circuits internationaux donnant des avantages fiscaux et financiers en fonctions de leur capacité, devant leur fixer un seuil de production afin d’éviter que durant cette période certains opérateurs soient tentés dans une logique de rente, d’accroître la facture d’importation en devises des composants.
Sixièmement, selon une étude de transport et environnement (T&E) publiée en 2020, le marché du véhicule électrique en Europe devrait progresser jusqu’à atteindre la moitié de la production automobile totale à l’horizon 2030. Aussi, bien que le cahier des charges a prévu le non diesel et le fonctionnement à l’essence, au GPLC, au Bupro, hybride ou au solaire, a-t-on prévu le coût déjà élevé en Europe, les bornes adaptés au niveau national, les batteries spécifiques et les nanotechnologies (la recherche dans l’infiniment petit) pouvant révolutionner le stockage, l’avenir appartenant au moteur alimenté par de l’hydrogène gazeux et le niveau d’investissement ?
En conclusion, je ne rappellerai jamais assez que dans la pratique tant des relations internationales et surtout les relations économiques, n’existent pas de sentiments mais que des intérêts et que tout opérateur qu’il soit arabe, russe, chinois, européen, américain est mu par la logique du profit et sue les lettres d’intention ne pas des contrats définitifs. Où en sont les instructions du Président de la République pour la réalisation effective des projets stratégiques structurants du port de Cherchell, du fer de Gara Djebilet , et du projet de phosphate de Tébessa ? Le moteur de tout processus de développement réside dans la recherche développement, que le capital argent n’est qu’un moyen et que sans bonne gouvernance centrale et locale, et que sans l’économie de la connaissance, aucune politique économique n’a d’avenir. C’est l’entreprise sans aucune distinction, entreprises publiques, privées nationales et internationales, dans le cadre des valeurs internationales, épaulée par le savoir permettant l’innovation permanente, qui crée la richesse.
L’industrie automobile doit s’inscrire dans le cadre d’une véritable planification stratégique où les nouvelles technologies influent sur les chaînes de production, les tours à programmation numérique éliminant les emplois intermédiaires où le nombre d’emplois directs et indirects créés devient marginal. Aussi, le gouvernement devra éviter de perpétuer un modèle périmé des années 1980/2020, largement déconnectées des réalités mondiales en adaptant le cahier des charges à la nouvelle reconfiguration mondiale de la filière automobiles/camions/bus.

Abderrahmane Mebtoul, professeur des universités expert international