Affaire Radio M : Saltimbanques et guerre de quatrième génération

La mise sous scellés de Radio M et l’arrestation
de son directeur a provoqué la sortie de tous
les saltimbanques du Hirak frelaté ! On les
croyait disparus, avachis dans un lointain recoin
du cyberespace ou ayant finalement décidé
de faire quelque chose d’intéressant pour
eux-mêmes, pour leur pays voire pour l’humanité
(pourquoi ne pas rêver en ce début d’année
?). Mais non, ils se sont réveillés d’un sommeil
médiatique abyssal. Ils sont sortis accompagnés
d’un tintamarre assourdissant de
slogans aussi creux que des calebasses en plastique
et d’un charivari d’arguments aussi vides
que fallacieux. « Glou, Glou, Glou », comme disait
si bien un de mes professeurs de collège.

On a eu droit à des journaleux au verbiage filandreux dont l’épaisseur
des idées relève de la nanotechnologie, des « droitdelhommistes » aussi
ridicules que des épouvantails sur une terre aride et, surtout, des « liberté-
d’expressionnistes » aussi faux que les dents blanches d’une poupée
de cire. Évidemment, je n’ai pas été épargné par les attaques nauséabondes.
Mais venant de ces saltimbanques à l’argumentation très primaire, cela
m’aurait fait sourire si la situation n’avait pas été si grave. Comment se
fait-il qu’après 60 ans d’indépendance, l’Algérie ne possède pas une classe
journalistique de qualité, capable de débattre avec sérénité et respect de
sujets sérieux ? Comment se fait-il que l’école algérienne ait produit une
tribu médiatique consanguine essentiellement concentrée à Alger ? Une
tribu foncièrement inféodée aux intérêts étrangers qui se regarde le
nombril à longueur de journée et qui, lorsqu’il lui arrive de relever la
tronche, balaie du revers de la main tout ce qui dérange leur misérable
business.
Les soutiens de Radio M
Manifestement, cette tribu collaboratrice bénéficie d’une puissante protection
étrangère, celle que l’on doit bien sûr à ses affidés lorsqu’ils sont
pris la main dans le sac. Il faut comprendre que ces mésaventures politico-
judiciaires sont, d’autre part, une aubaine pour les professionnels de
la guerre de quatrième génération (G4G). Cette technique propre à la
guerre médiatique contre un pays ciblé permet de diaboliser une institution,
un gouvernement ou un pays en brandissant à bout de bras les étendards
« fake » des droits de l’homme, de la liberté d’expression voire de la liberté
tout court. Une porte d’entrée pour d’autres accusations allant de la
dictature à la tyrannie en passant par le népotisme. Mais cela n’est pas
suffisant. La diabolisation de l’ennemi doit nécessairement s’accompagner
de la sanctification du protégé en jouant sur la corde du pathos tout en
dissimulant ou minimisant celle du logos. En effet, quoi de plus pathétique
que l’emprisonnement d’un honnête et intègre journaliste ou la fermeture
d’un média professionnel respectant les règles de la déontologie du métier
? Sans oublier de mettre l’accent sur ces familles privées de revenus à
cause de cette situation. La défense de « la veuve et l’orphelin » avec un
zeste de trémolo, quoi de plus pathétique ? Ça arracherait des larmes à
une statue, n’est-ce pas ? Mais, attention : pas un mot sur les causes objectives
qui ont mené à cette arrestation-fermeture, ni aux faits et documents
qui prouvent les pratiques délictueuses interdites par la loi. Qu’on se le
dise une fois pour toute : bien que je sois personnellement, et par principe,
contre l’emprisonnement des journalistes dans l’exercice de leur fonction,
Radio M aurait due être fermée en 2014 (et non en 2022 !), date de son financement
par Canal France International (CFI), un organisme français
financé par le Quai d’Orsay.
Organigramme du financement de Radio M
Bannière de CFI
Comme on peut le voir dans l’organigramme ci-dessus, CFI est aussi relié
aux médias étatiques français. Pour plus de détails et pour consulter les
références, le lecteur est invité à lire mon article détaillé sur le sujet. Dans
sa mission de financement douteux des médias dans des pays ciblés, CFI
collabore directement ou avec des organisations ayant de solides relations
avec des organismes américains, experts dans l’« exportation » de la démocratie
« made in USA » : USAID (Agence des États-Unis pour le développement
international), NED (National Endowment for Democracy), NDI
(National Democratic Institute) et Open society de G. Soros.
Les partenaires de CFI
Lors de la divulgation des projets retenus par CFI en juillet 2014, les participants
(dont Radio M) ont bénéficié d’une formation assurée par BBC
Media Action3.BBC Media Action a été fondé en 1999 par la BBC. Il s’agit
d’un organisme analogue au CFI qui est, lui aussi, financé par le ministère
des Affaires étrangères britannique (Foreign an Commonwealth Office)
et, comme par hasard, par l’USAID (entre autres)4. En résumé, les entités
qui gravitent autour du programme de financement de Radio M sont, en
majorité, françaises, étasuniennes ou britanniques. Après ce tour d’horizon,
on peut donc aisément prédire la liste de celles qui sont susceptibles de
défendre l’existence et la pérennité de ce média « barbouze ».
Le journal Le Monde est financé par l’Open Society de George Soros
Nous constatons ainsi que les titres des articles sont si éloquents, qu’il
n’est même pas nécessaire de les lire pour comprendre qu’ils sont à
charge contre « l’Algérie » et que le journaliste et sa radio sont des victimes
de la « dictature ». Mais vous aurez remarqué que tous ces articles proviennent
de médias étatiques français ou britannique qui sont directement
ou indirectement liés au financement de Radio M. Ils ne vont certainement
pas étaler au grand jour leur implication ni le but de leur financement. Ni
dire que si l’inverse se serait passé dans un de ces pays, c’est-à-dire que
l’Algérie finance un média qui dénigre systématiquement le pays d’accueil,
ce media serait banni et son propriétaire accusé d’intelligence avec une
puissance étrangère. Mais ces donneurs de leçons qui sont si loquaces
quand il s’agit de « l’Algérie », pourquoi se taisent-ils lorsque des médias
russes professionnels, employant des journalistes occidentaux, ont été
fermés manu-militari par leurs pays ? Ces pays ne seraient-ils pas des dictatures
? Peuvent-ils nous expliquer également pourquoi ils sont si
inaudibles dans le dossier Julian Assange qui se meurt à petit feu dans
une prison britannique en attente d’une extradition vers les États-Unis,
pays expert dans les chaises électriques ? Le Royaume-Uni et les États-
Unis ne seraient-ils pas des « dictatures » ? Et pourquoi ne se sont-ils pas
émus lorsque la journaliste Shirine Abou Akleh fut assassinée à bout
portant par l’armée israélienne et n’ont-ils pas traité l’État hébreu de «
dictature »? Non, ils continuent à le désigner comme un « phare démocratique
Et que peuvent nous dire ces médias mainstream sur la convocation
de journalistes français par la Direction générale de la sécurité intérieure
(DGSI)? Où sont passés les sacro-saints droits de l’homme et liberté d’expression
? Il faut se rendre à l’évidence, comme le dit si bien Pierre Rimbert,
« la liberté d’expression est un bien trop précieux pour être partagé avec
nos adversaires, n’est-ce pas ? ». En plus de la diabolisation de l’ennemi et
de la sanctification du protégé, la technique de G4G repose sur un autre
travers de l’information mainstream occidentale : la circulation circulaire
de l’information chère à Pierre Bourdieu. Les articles sur « l’affaire Radio
M » pondus par ceux qui financent et protègent ce média sont repris sans
aucune vérification, ni investigation supplémentaire. Si l’appareil médiatique
étatique français le dit, c’est que c’est vrai, non? Aux États-Unis, le « célèbre
» New York Times (NYT), grand défenseur de l’« exportation » de la démocratie
et du « printemps » arabe, s’est mis aussi de la partie en utilisant
la même rhétorique et les mêmes poncifs dans l’affaire Radio M : « L’Algérie
sévit contre le dernier média indépendant restant ».
Le quotidien ne s’est pas posé la question de l’indépendance des médias,
par exemple, lorsqu’il s’est impliqué jusqu’au cou dans la croisade menée,
sous de honteux faux prétextes, par l’administration Bush fils contre
l’Irak. Cela n’a fait que quelques centaines de milliers de morts, n’est-ce
pas ? Irakiens, bien sûr.
Plus récemment, ce même NYT n’a pas hésité à donner un sérieux coup
de main à l’élection de Joe Biden en dénigrant une sérieuse investigation
du New York Post incriminant Hunter Biden, le fils de l’actuel locataire de
la Maison-Blanche. Cette enquête aurait pu sérieusement nuire au candidat
Biden mais, « quelques semaines seulement avant l’élection présidentielle
le New York Times faisait partie des institutions puissantes qui ont ignoré,
minimisé ou supprimé l’histoire ». Alors, quid de l’indépendance de la
presse, de la déontologie et de la liberté d’expression ? Elles peuvent être
mises en veilleuse de temps à autres pour donner un coup de pouce aux
« amis » ? Alors, de grâce, taisez-vous et ne venez pas nous donner des
conseils sur des principes que vous bafouez allègrement quand ça fait
vos affaires!
Radio M et l’éthique journalistique
Contrairement à ce qui est ânonné dans les articles cités précédemment
(et bien d’autres qu’il serait fastidieux d’analyser dans ce travail), Radio
M n’est pas un média libre et ne respecte nullement l’éthique journalistique
basique pour de nombreuses raisons : 1. Radio M n’invite à ses émissions
que les personnes qui épousent son point de vue et ceux de ses affidés. Il
s’agit d’un journalisme « consanguin » qui ne produit que des débats
stériles et une inévitable dégénérescence intellectuelle. En ce sens, ce
média utilise les techniques des médias mainstream occidentaux qui le
soutiennent. En effet, il n’y a qu’à regarder leur couverture médiatique du
conflit russo-ukrainien : biaisée, partiale et malhonnête, elle donne une
piètre idée du journalisme de ces pays donneurs de leçons ;
2. Durant toute la période du Hirak, Radio M et les personnes invitées
étaient toutes pour la fameuse « phase de transition », solution qui était
loin de faire l’unanimité au sein de la population ; 3. Radio M a été la
tribune, voire l’organe de presse « officiel » de la « confrérie » des ténors
autoproclamés9 du Hirak ; 4. Les personnes qui m’ont bassement attaqué,
dénigré et insulté dans des articles ou sur les médias sociaux (sans m’avoir
lu pour la plupart) ont été régulièrement invités par Radio M. En fait, il
s’avère que Radio M est un membre (influent) de la tribu des journaleux
dont je parlais dans l’introduction de cet article.
5. Personnellement, je n’ai jamais été invité par Radio M, même après
avoir écrit des dizaines d’articles et un livre sur le Hirak. Au contraire, j’ai
été insulté et tourné en dérision « live » et en présence des « ténors» ; 6.
Mes articles et mon livre sur le Hirak n’ont jamais été abordés dans
aucune des émissions de Radio M, ni aucune recension même pour en
critiquer le contenu. Par contre, Radio M a utilisé un des principes de
propagande de guerre : la diabolisation de l’auteur en le traitant de « barbouze
». Il est quand même stupéfiant de traiter de « harki » un citoyen
qui donne des conférences aux principales institutions de son pays pour
éviter un effondrement de la nation et de « moudjahid » un journaleux qui
reçoit des subsides d’une puissance étrangère pour dénigrer son pays.
C’est exactement ce que font les flagorneurs de Radio M et de son patron
qui veulent ériger une statue en bronze à ce dernier dans le panthéon du
journalisme mondial. Aveuglés par les épithètes élogieuses, il ne se rendent
même pas compte que Radio M et son moustachu de patron ne sont
qu’une arme dans l’arsenal de la G4G dont on se débarrassera une fois
l’obsolescence constatée; 7. Radio M est un média qui pratique la technique
du « Manchar » (« scie » en arabe), c’est-à-dire le dénigrement et le rabaissement
systématique de tout ce qui touche à l’Algérie, du point de vue
social, politique, économique, etc. Pour ce media et ses thuriféraires, il
n’y a rien de bon en Algérie et ceux qui disent le contraire doivent être
ignorés, combattus, voire décrédibilisés en les traitant de « collaborateurs
du DRS », « agents du gouvernement », « mercenaires à la solde du système»,
etc.
Misère de l’argumentation rachitique
Malgré le silence radio (excusez le jeu de mot facile) de la part de Radio
M à la suite de la publication de mon article sur sa « barbouzerie », de
nombreux membres de la tribu des journaleux se sont chargés d’en
prendre la défense.Il y a ceux qui, par réflexe pavlovien et sans lire mon
article, m’ont traité de complotiste, de mercenaire à la solde « du système
», etc. : le niveau zéro de l’argumentation.
D’autres sont passés à l’étape suivante, c’est-à-dire à réfuter la thèse du financement
étranger de Radio M, mais sans argumentation aucune.
Mais devant une documentation incontestable, il fallait trouver quelque
chose de plus convaincant. C’est comme cela qu’une argumentation saugrenue
est apparue : celle de dire que si le gouvernement algérien (ou un
autre organisme étatique) reçoit des subventions de l’étranger, il n’y a
aucun mal à ce que Radio M en reçoive.Tout d’abord, il n’y a aucune
comparaison à faire entre les deux cas car, pour le premier, il s’agit de relations
d’état à état, consignés dans des conventions et textes officiels.
Dans le cas de Radio M – ainsi que pour toutes les ONG algériennes qui
reçoivent des subventions étrangères -, quatre questions doivent être
posées : Qui finance ? Qui est financé ? Dans quel but est-il financé ? À
quoi a servi le financement ?
1. Qui finance ?
En ce qui concerne Radio M, le financement provient du ministère des
Affaires étrangères françaises, donc directement d’une institution officielle
du gouvernement français.
2. Qui est financé ?
Radio M a été créé au sein d’un groupe médiatique implanté en Algérie.
Ce type de groupe est ciblé pour son potentiel d’influence dans la société
dans le cadre des G4G.
3. Dans quel but est-il financé ?
Selon la description fournie par « Ebticar Media », Radio M est un « projet
présenté par la société Interface Media vise à combler le déficit d’information
indépendante en Algérie ». Le flou volontairement saupoudré dans cette
phrase est clarifié dans la description d’un projet syrien faisant partie des
onze retenus par « Ebticar Media » en 2014 (dont Radio M). Rappelons
qu’en cette année, l’Algérie avait échappé aux sirènes du « printemps »
arabe alors qu’en Syrie, la guerre avait malheureusement ensanglanté le
pays.Le projet syrien, nommé « New Syrian Voices » est décrit comme
suit : « La répression des médias imposée dans le contexte autoritaire
syrien et le conflit prolongé ont conduit au développement du journalisme
citoyen dans le pays, seule possibilité de produire des informations indépendantes
sur les villes et villages assiégés. Dans cette situation, New
Syrian Voices, le projet présenté par i2mind, DKB Productions et un
groupe de citoyens syriens indépendants, vise à capturer la réalité syrienne
à travers des reportages de qualité – actuellement disparus dans l’information
et le chaos idéologique générés par le régime de Bachar El Assad
– alliant précision et innovation afin d’attirer également l’attention des
médias internationaux. » Il suffit juste de remplacer les termes relatifs à la
Syrie par d’autres se référant à l’Algérie pour comprendre le but du financement
de Radio M.
4. À quoi a servi le financement ?
Comme expliqué précédemment, Radio M a été une tribune pour les «
ténors autoproclamés » du Hirak et, surtout, le porte-voix exclusif de la «
phase de transition » au détriment de l’option constitutionnelle. Cette «
période transitoire » qui aurait amalgamé des groupes aussi antagonistes
que les ONGistes occidentophiles, les islamawistes offshore et les makistes
séparatistes aurait inévitablement conduit le pays vers le chaos et la
ruine.À ce sujet, il est utile de rappeler que les médias mainstream occidentaux,
ceux-là mêmes qui soutiennent actuellement Radio M, étaient
tous, et sans exception, pour la « phase de transition » et ceux qui la
prônait. À la lumière de toutes ces informations, il va sans dire que Radio
M aurait été fermée dans n’importe quel pays du monde, y compris dans
cet Occident donneur de leçons qui use avec dextérité de la notion de
liberté d’expression à géométrie variable.En conclusion, force est de
constater que l’Algérie subit actuellement une G4G avec une puissance
de tir digne d’un Blitzkrieg.
Nom de l’opération ? « Sauvez le soldat “barbouze” ».
Par Ahmed Bensaada