Impulser le développement et une société participative par une réelle décentralisation

Réunion Gouvernement-walis le 19 février 2023

De 1970 à 2022, nous avons assisté à des dizaines de réunions Gouvernement-walis avec des recommandations issus de différents ateliers sans pourtant dynamiser réellement la gestion des collectivités locales du fait de la bureaucratie centrale et locale qui étouffe les énergies créatrices. D’où l’urgence d’un nouveau management stratégique tant des ministères (la responsabilité étant intersectorielle) que des collectivités locales, posant la problématique de la décentralisation inséparable de la bonne gouvernance autour de grands pôles régionaux afin de favoriser le développement et une société participative.

Cette contribution qui est une synthèse de mes différentes contributions parues entre 1976/2021 sur la décentralisation, est un hommage au feu le Professeur Madjid Ait Habouche décédé en septembre 2019, qui a été mon étudiant à l’université d’Oran et dont j’ai eu l’honneur de diriger sa thèse de magister en 1983 sur l’aménagement du territoire et la décentralisation en Algérie et qui depuis avait mis en place un des plus grands laboratoires de recherches en Algérie dans ce domaine

1.-L’Algérie s’étend sur 2. 380 000 km 2 dont 2. 100 000 km2 d’espace saharien, partageant des frontières terrestres avec ses 7 pays voisins : la Libye, le Mali, la Mauritanie, le Maroc, le Niger, la Tunisie et le Sahara occidental, pour un total de 6511 km. La densité paraît faible, mais les 9/10e de la population sont concentrés sur les terres du Nord. L’objectif stratégique horizon 2023/2030 est d’éviter que plus de 95% de la population vive sur moins de 10% du territoire et avoir une autre vision de l’aménagement de l’espace. Il convient de prendre le soin de ne pas confondre l’espace géographique avec l’espace économique qui intègre le temps, l’espace étant conçu comme surface, distance et comme ensemble de lieux.
La conception volontariste étatiste de l’aménagement du territoire en Algérie, fondée sur la fameuse théorie des pôles de développement ou de croissance entraînant, a été un leurre et n’a pas eu les effets escomptés. Nous assistons, hélas, à des constructions anarchiques avec le manque d’homogénéisation dans le mode architectural, un taux accéléré d’urbanisation avec des bidonvilles autour des grandes villes, avec le risque de l’extension de nouvelles formes de violence à travers le banditisme et de maux sociaux comme la drogue et la prostitution. Il suffit de visiter toutes les wilayas, sans exception, pour constater des routes, des infrastructures et des ouvrages d’art qui ont coûté à la collectivité nationale plusieurs dizaines de milliards de centimes inutilisables en cas d’intempéries, des routes éventrées à l’intérieur des villes où la plupart des autorités se complaisent uniquement aux axes principaux visités par les officiels, des ordures qui s’amoncellent depuis des années à travers la majorité des quartiers périphériques, des logements que les citoyens refont, surtout les secondes œuvres avec des VRD non finies, des espaces verts qui font place à du béton, la construction d’unités dangereuses et polluantes près des villes, des sites touristiques, près des côtes, contenant plusieurs centaines de lits et qui déversent à la mer leurs déchets sans compter le manque d’eau pour l’hygiène. Cela témoigne d’actions urgentes dont la responsabilité ne concerne pas seulement un département ministériel, mais à la fois plusieurs ainsi que les collectivités locales. Cette situation peut avoir des conséquences très graves, avec la « bidonvilisation » sur le plan sécuritaire qui a un coût, d’où l’importance de l’aménagement du territoire et d’une véritable régionalisation économique. La notion de région est extrêmement variable : la régionalisation pouvant se réaliser au sein du pays ou bien par le regroupement d’un ensemble d’États dans une zone géographique particulière ou sur la base d’intérêts ressentis comme communs ce que les économistes qualifient d’intégration régionale. Je définirai la régionalisation économique à ne pas confondre avec l’avatar néfaste du régionalisme, comme un mode d’organisation de l’Etat qui confère à la région un rôle et un statut économique propre, caractérisé par une autonomie relative mais non indépendant de l’Etat régulateur central pour les grandes orientations stratégiques tant politiques qu’économiques, cette autonomie étant donc encadrée par l’autorité nationale. Toute régionalisation économique appelle les questions fondamentales suivantes : compétences des régions ; règles de composition et de fonctionnement des assemblées et exécutifs régionaux ; ressources des régions ; relations avec le pouvoir central ; modalités de transfert aux pouvoirs régionaux et enfin concertation entre régions. La mise en place de la régionalisation économique doit avoir pour conséquence un meilleur gouvernement réel ressenti comme tel par la population, l’argument de base résidant dans la proximité géographique. Cela signifie qu’il existe une solution locale aux problèmes locaux et que celle-ci est nécessairement meilleure qu’une solution nationale. Selon les théories régionalistes, la diversité des situations locales impose une diversité de solutions pour s’adapter aux conditions locales spécifiques. La régionalisation économique couplée avec une réelle décentralisation supposant une clarté dans l’orientation de la politique socio-économique évitant des tensions et conflits entre le pouvoir local et central et des concurrences entre le centre et la périphérie permettrait un nouveau cadre de pouvoir avec des nouveaux acteurs, de nouvelles règles et de nouveaux enjeux avec des nouvelles stratégies élaborées.
La création d’un nouvel espace public devrait favoriser un nouveau contrat social national afin de rendre moins coûteux et plus flexible le service public et génèrerait une nouvelle opinion publique, voire une nouvelle société civile. Le débat permet l’émergence de thématiques communes, des modes de propositions communs et donc déterminerait des choix collectifs optimaux. Une centralisation à outrance favorise un mode opératoire de gestion autoritaire des affaires publiques, une gouvernance par décrets, c’est-à-dire une gouvernance qui s’impose par la force et l’autorité loin des besoins réels des populations et produit le blocage de la société.

2.-La réforme nécessaire des collectivités locales implique la réorganisation du pouvoir local dont la base est l’APC, le wali servant de régulateur et non de gestionnaire afin de favoriser une société plus participative et citoyenne. Après le tout Etat, l’heure est au partenariat entre les différents acteurs de la vie économique et sociale, à la solidarité, à la recherche de toutes formes de synergie et à l’ingénierie territoriale. C’est dans ce contexte, que l’APC doit apparaître comme un élément fédérateur de toutes les initiatives qui participent à l’amélioration du cadre de vie du citoyen, à la valorisation et au marketing d’un espace. C’est à l’APC que reviendra ainsi la charge de promouvoir son espace pour l’accueil des entreprises et de l’investissement devant se constituer en centre d’apprentissage de la démocratie de proximité qui la tiendra comptable de l’accomplissement de ses missions.
Actuellement les présidents d’APC ont peu de prérogatives de gestion tout étant centralisé au niveau des Walis alors qu’il y a lieu de penser un autre mode de gestion, de passer du stade de collectivités locales providences à celui de collectivités locales entreprises et citoyennes responsables de l’aménagement du développement et du marketing de son territoire.
Pour l’Algérie, il s’agit de procéder à une autre organisation institutionnelle, qui ne sera efficace que sous réserve d’objectifs précis, d’opérer un nécessaire changement qui passe par une approche basée sur une identification claire des missions et responsabilités et une restructuration des fonctions et des services chargés de la conduite de toutes les activités administratives, financières, techniques et économiques.
Cette organisation institutionnelle implique d’avoir une autre organisation tant des ministères que des wilayas par des regroupements évitant les micros institutions budgétivores, incluant la protection de l’environnement. Cette organisation doit être souple avec comme rôle essentiel la prospective du territoire en évitant le centralisme administratif, afin de construire un socle productif sur plus d’individus et davantage d’espace.
L’aménagement du territoire ne peut être conçu d’une manière autoritaire, interventionniste, conception du passé, mais doit être basé sur la concertation et la participation effective de tous les acteurs sociaux. Les pouvoirs publics doivent dépasser cette vision distributive à l’image des programmes spéciaux mais concourir à optimiser la fonction du bien être collectif.
Pr des universités Dr d’Etat
Abderrahmane Mebtoul
Expert international
(A suivre)