Le député suisse Guy Mettan démonte la propagande occidentale

Marocgate

Mohsen Abdelmoumen : Le conflit actuel en Ukraine ne trouve-t-il pas sa source dans l’Euromaïdan et le coup d’Etat organisé et soutenu par les Occidentaux en 2014 ? A votre avis, quels sont les véritables enjeux du conflit en Ukraine ?

Guy Mettan : Vaste question ! Je pense qu’on peut faire remonter les origines du conflit actuel au coup d’Etat de février 2014. Ce n’était pas la première fois parce qu’il y avait déjà eu une première Révolution orange en Ukraine en 2004 qui avait essayé de renverser le gouvernement de l’époque pour installer un régime pro-occidental. Mais cela avait échoué. La seconde Révolution orange en 2014, elle, a réussi avec l’aide des Américains, comme on le sait, puisque le coup d’Etat de 2014 avait été préparé par de grands investissements, à hauteur de 5 milliards de dollars, pour essayer de faire tomber l’Ukraine dans l’escarcelle des Etats-Unis.
La secrétaire d’Etat adjointe américaine des Affaires étrangères, Victoria Nuland, avait d’ailleurs déclaré en décembre 2013, trois mois avant le coup d’Etat, qu’il était temps pour les Etats-Unis de récupérer leurs investissements. Ce coup d’Etat était tout, sauf spontané. Comme au Chili en 1973, on a exploité les mécontentements d’une certaine partie de la population. Des extrémistes se sont greffés sur les manifestations populaires pour créer du chaos, provoquer la police, les fameux Berkouts, et l’obliger à riposter de façon à faire monter les enchères pour justifier le putsch. Ces mêmes extrémistes se retrouvent aujourd’hui dans le Bataillon Azov et dans l’extrême-droite nationaliste ukrainienne. Voilà pour le contexte.
Au lendemain du coup d’Etat et du départ de Ianoukovytch, on a installé au pouvoir un certain Iatseniouk qui n’est resté au pouvoir que quelques mois, le temps de faire ce qu’on attendait de lui. Il vit d’ailleurs maintenant aux Etats-Unis où il a été récompensé pour ses services. La première décision de ce Premier ministre putschiste a été d’interdire la langue russe, d’obliger les 45% de russophones du pays à parler ukrainien, d’imposer l’ukrainien dans les écoles, les administrations publiques et d’obliger les populations russophones à faire toutes leurs démarches administratives en ukrainien. Ce qui a provoqué le soulèvement des populations russophones de l’est et déclenché des pogroms à Odessa, où 44 personnes ont été brûlées vives dans le bâtiment des syndicats et à Marioupol avec une vingtaine de morts, à Kharkov également, tout cela dans l’indifférence totale des médias occidentaux. Ce mouvement a été écrasé, à l’exception des deux Républiques du Donbass qui ont fini, après des combats très rudes, à gagner leur autonomie au détriment de l’Etat central. C’est à la suite de ces événements qu’ont été signés les Accords de Minsk 1 en 2014 et Minsk 2 en 2015, entre les Républiques du Donbass et le gouvernement de Kiev, parrainés par la Russie, l’Allemagne et la France. En principe, ces accords avaient été faits pour rétablir la paix et installer une Ukraine démocratique, fédérale et respectueuse de ses minorités linguistiques mais pour donner du temps à l’Ukraine afin qu’elle puisse se réarmer et reconquérir ses territoires par la force militaire. Or, comme viennent de le révéler Angela Merkel et l’ancien président Hollande, fin décembre, à la suite de l’ancien président ukrainien Porochenko, ces accords étaient en fait un subterfuge destiné à donner du temps à l’Ukraine pour qu’elle se réarme et reconquérir ses territoires perdus par la force.
On en était là en 2021 quand l’élection de Biden a fait à nouveau basculer les choses. Trump étant parti, les démocrates sont revenus à leurs vieilles traditions russophobes. Trump était davantage antichinois qu’antirusse, tandis que chez les démocrates, c’est l’inverse : ils sont antirusses avant d’être antichinois. Cela ne les empêche pas d’être les deux à la fois, mais leur ordre de priorité est inversé : les Russes sont l’ennemi num. 1, les Chinois venant en deuxième position. Avec le retour de Biden et des néoconservateurs au pouvoir à Washington début janvier 2021, la pression a de nouveau commencé à monter contre la Russie. Le président Zelensky s’est senti soutenu. Il a commencé à prendre des décrets pour dire qu’il voulait reconquérir le Donbass et la Crimée par la force, il s’est rapproché de l’OTAN, a déclaré vouloir y adhérer, ce qui a soulevé les plus vives inquiétudes à Moscou. Les tensions ont donc augmenté pendant toute l’année 2021.
Je rappelle au passage que Zelensky a profité de cette année-là pour privatiser 17 millions d’hectares de terres agricoles, pour transférer la gestion des centrales nucléaires ukrainiennes qui étaient toujours approvisionnées par les Russes à l’entreprise nucléaire américaine Westinghouse. Il a aussi fermé les chaînes de télévision d’opposition au prétexte qu’elles auraient été trop prorusses. On a vu une montée en puissance du nationalisme ukrainien dans tous les domaines, contre les forces de l’opposition, contre la presse, contre une partie de l’économie, etc. A la mi-décembre, les Russes ont fait une ultime tentative diplomatique en proposant un accord de paix global pour régler le problème de la sécurité européenne, proposition à laquelle les Américains n’ont même pas daigné répondre. L’échec, après une ultime rencontre Blinken-Lavrov à Genève et des rencontres Poutine-Macron-Scholz à Moscou début 2022, a été consommé et a convaincu les Russes de passer à l’intervention militaire le 24 février 2022. Tels sont les événements qui ont mené à la guerre. Pendant ces huit années, l’Ukraine en a profité pour se rapprocher de l’OTAN qui, en cachette, s’activait en Ukraine avec des centaines d’agents de la CIA et de formateurs de l’armée britannique, et probablement des Français, en tout cas la présence des Britanniques et des Américains est avérée. J’ai un ami diplomate américain qui m’a confirmé que, lors d’un de ses voyages à Kiev en 2019, être tombé sur des centaines d’agents de la CIA qui n’étaient pas là pour cueillir des champignons mais bien pour former les cadres de l’armée et des services ukrainiens. A mon avis, les Russes se sont senti obligés d’intervenir pour ces raisons évoquées mais aussi parce qu’ils avaient compris que l’Ukraine allait attaquer d’un jour à l’autre, probablement au mois de mars. Certains signes montraient que les Ukrainiens allaient passer à l’attaque. Cette certitude a été confortée par le fait qu’une semaine avant le 24 février, l’armée ukrainienne avait recommencé à bombarder massivement les Républiques du Donbass. En une semaine, il y a eu 500 morts civils dans les régions de Donetsk et Lougansk, selon les rapports de l’ONU. Pas des morts militaires, des civils. De cela, la presse occidentale n’en a jamais parlé. Vu du côté russe, ce bombardement massif constituait un prélude à l’attaque où l’on commence par un pilonnage de l’artillerie avant d’envoyer les chars d’assaut. Les Russes se préparaient depuis quelques semaines et avaient massé des troupes aux frontières pour parer à toute éventualité et riposter à l’intensification des manœuvres de l’OTAN dans la région. Ces signaux les ont déterminés à passer à l’offensive plutôt que d’attendre l’attaque préalable «officielle» des Ukrainiens afin de gagner en efficacité militaire, en mobilité, en jouant sur l’effet de surprise. C’est ce à quoi nous avons assisté le 24 février 2022. Ensuite, les choses ne se sont pas passées tout à fait comme prévu, ni pour les Russes, ni pour les Américains, ni pour les Occidentaux. Dabs un premier temps, les Russes ont pensé que l’opération militaire serait de courte durée alors qu’elle se poursuit encore aujourd’hui. Dans l’esprit des Russes, il s’agissait d’attaquer, de donner une première frappe massive pour dissuader les Ukrainiens et les pousser à la paix, en entamant des négociations sérieuses pour mettre en application ces Accords de Minsk. C’était toujours possible au mois de mars. Ils y étaient presqu’arrivés puisqu’à fin mars 2022, Zelensky lui-même avait déclaré qu’on était tout près d’un accord avec la Russie.
Les commissions se réunissaient de part et d’autre, d’abord à Minsk et ensuite à Ankara, et le 28 mars, un communiqué ukrainien avait même laissé entendre que ces accords étaient en bonne voie. Mais tout s’est écroulé quand les Américains et les Britanniques ont fait pression sur Zelensky pour qu’il ne signe pas cet accord. Tout début avril, il y a eu l’affaire de Boutcha, qui est une affaire sans doute tragique mais quand même largement orchestrée – on le verra, j’en suis sûr, dans les années qui viennent –, pour faire échouer ces négociations. Et il y a surtout eu la visite de Boris Johnson qui s’est précipité à Kiev pour faire pression sur Zelensky et l’inciter à mettre fin à ces négociations, en l’assurant que les Occidentaux allaient l’armer et lui donner les moyens qu’il faudrait aussi longtemps que nécessaire afin qu’il se batte jusqu’à la dernière goutte de sang ukrainien. Et c’est ce qu’il a finalement choisi de faire. Les Russes n’avaient probablement pas prévu la détermination occidentale et sa montée en puissance sous la forme que l’on a connue jusqu’à aujourd’hui. Les Occidentaux, eux aussi, se sont complètement trompés. Rappelez-vous la déclaration de Bruno Le Maire juste après le 24 février, au moment de l’adoption de la première vague de sanctions économiques européennes contre la Russie. Il avait alors annoncé que, grâce à ces sanctions, l’économie russe allait s’effondrer dans les jours qui suivraient. Ça ne s’est pas du tout produit, la Russie ayant été capable de se battre sur le plan militaire et de s’adapter sur le plan économique, comme on a pu le voir. Les deux camps se sont donc trompés si bien que nous sommes entrés dans une guerre longue et qui risque de durer encore, la confrontation étant devenue existentielle pour les deux camps. Voilà ce que l’on peut dire en préambule.

Vous avez obtenu la nationalité russe et vous vous rendez souvent en Russie. Quel est le regard des Russes sur ce conflit ?
Depuis le 24 février, je me suis rendu deux fois en Russie, une fois au mois de juin et une fois en décembre. Ce qui m’a frappé, c’est que la vie ordinaire, la vie de tous les jours, est pratiquement normale. Les magasins sont remplis, les rues sont bondées, il y avait des décorations partout en ville pour les fêtes de Noël alors qu’en Europe nous vivons dans le blackout quasi total. En tout cas, chez nous en Suisse, il n’y avait aucune décoration de Noël, aucune illumination, pas de vitrines éclairées, c’était triste à mourir, alors qu’à Moscou, et à Novossibirsk où j’ai fait une brève visite, tout brillait, tout était prêt pour des fêtes de Noël dignes de ce nom.
Il est clair que l’année 2022 s’est terminée pour la Russie par une récession de 2 à 3% environ, au vu des derniers chiffres. 3%, ce n’est pas rien mais ce n’est pas du tout la catastrophe annoncée. 3%, c’est moins que la récession que nous avons connue en Occident lors de la première année du Covid. Ce n’est pas réjouissant mais il n’y a pas non plus de quoi s’alarmer. C’est ce qui frappe au premier chef. Le deuxième constat, c’est que les Russes, surtout après la mobilisation partielle, constatant que le conflit durait, se sont accoutumés à cette idée. Si l’on regarde le taux de popularité de Poutine et du gouvernement, il est resté quasiment stable avec plus de 70% de gens qui sont favorables tant à Poutine qu’à l’opération militaire. On voit donc que le soutien est stable. La population s’est faite à l’idée de ce conflit, contrairement à tous les pronostics donnés par les médias et les dirigeants occidentaux qui annonçaient que Poutine allait être incessamment renversé ou qu’il avait le cancer, la maladie de Parkinson, et bien d’autres maladies encore, que les oligarques allaient se révolter contre lui, que la population allait se soulever… Evidemment, rien de tout cela ne s’est produit. Et à mon avis, il ne se passera strictement rien de cet ordre, en tout cas pas à court et moyen terme.
A suivre…
Interview réalisée par Mohsen
Abdelmoumen