Le député suisse Guy Mettan démonte la propagande occidentale (II)

Marocgate

Mohsen Abdelmoumen : Le conflit actuel en Ukraine ne trouve-t-il pas sa source dans l’Euromaïdan et le coup d’Etat organisé et soutenu par les Occidentaux en 2014 ? A votre avis, quels sont les véritables enjeux du conflit en Ukraine ?
Les Russes sont donc en train de s’installer dans ce conflit dans la durée. Ils ne le font pas de gaité de cœur, naturellement, mais avec application, patriotisme. Un signe de cet état d’esprit est qu’il y a beaucoup de civils, des gens du fin fond des villages et des villes de Russie, de la Sibérie à la Crimée, qui se mobilisent pour apporter de l’aide aux soldats sur le front. Les Russes ne font pas une confiance aveugle en leurs autorités, ni dans la compétence de certains de leurs généraux, mais ils organisent des convois pour apporter du café, du thé, des biscuits, des sacs de vêtements chauds, bref toutes sortes de choses utiles aux soldats qui se battent en Ukraine. Cela montre que la situation est plus complexe qu’on ne le dit et que les gens, même à leur corps défendant, soutiennent cette opération.
Troisième constat : les Russes sont fâchés. Mais pas contre Poutine : contre l’Occident. Les Russes, au fond, sont navrés de cette coupure avec l’Ouest et doivent apprendre maintenant à faire le deuil de l’Occident, alors qu’ils ont toujours considéré qu’ils faisaient intégralement partie de la civilisation occidentale par leur musique, la littérature, les ballets, toute leur culture en fait. Dans leur tête, ils se sont toujours identifiés à l’Occident, à l’Europe. Ils étaient même fiers d’en faire partie. Et là, ils constatent avec un grand dépit, une grande colère aussi, que cet Occident les rejette. Bien sûr, ils comprennent que l’Occident puisse rejeter l’opération militaire et qu’on soit partisan de la paix, ce qui est mon cas par exemple. Mais de là à ce que l’Occident prenne des sanctions personnelles contre eux en les empêchant de voyager en Europe, en supprimant toutes les liaisons aériennes, en rendant l’obtention de visas très difficile, c’est de facto une fermeture, un nouveau rideau de fer qui, cette fois, a été construit par l’Occident contre la Russie. Ce n’est plus la Russie qui se coupe de l’Ouest, c’est le contraire. Ce comportement les a blessés profondément, de même que toutes les attaques contre la culture russe. Quand on interdit des concerts de Tchaïkovski, le commerce de chiens russes, qu’on exclut des sportifs russes des compétitions, quand on s’attaque à la culture, aux musiciens, aux chefs d’orchestre, qu’on annule des conférences sur Dostoïevski, des pièces de théâtre de Tchekhov, pour les Russes, c’est une blessure profonde. Surtout quand on sait qu’il s’agit d’artistes morts depuis un siècle et qui n’ont strictement rien à voir dans cette affaire. Les Ukrainiens ont brûlé cent millions de livres russes ces derniers mois. Cela n’avait jamais été fait auparavant. Seuls les nazis ont brûlé les livres des auteurs européens qu’ils n’aimaient pas. Pour les Russes qui ont eu 26 millions de morts pendant la guerre contre l’Allemagne nazie, ce genre d’attitude est impossible à comprendre et réveille des souvenirs et des colères profondément ancrées. Donc, dans ce sens-là, la population russe souffre davantage de cette attitude, en tout cas pour le moment, que des sanctions économiques et des effets de la guerre. Je pense que c’est important de le rappeler parce que cela montre que la Russie ne va pas céder.

A votre avis, pourquoi les Occidentaux s’acharnent-ils à envoyer des armes au gouvernement néonazi d’Ukraine, quitte à vider leur propre stock ? Comment expliquez-vous cela ?
Pour une raison essentielle, à mon avis. Rappelons-nous les déclarations américaines du printemps dernier. Quand le ministre de la Défense américain Lloyd Austin est venu en Pologne et en Allemagne, il a déclaré que le but des Etats-Unis était d’affaiblir la Russie jusqu’au point où elle serait tellement affaiblie qu’elle ne pourrait plus jamais faire de guerre. Il a affiché clairement ce que les Etats-Unis voulaient, c’est-à-dire se débarrasser une fois pour toutes de la Russie et la réduire en miettes afin de pouvoir s’attaquer à la Chine sans avoir le gros caillou russe dans la chaussure. Le but de guerre américain est très clair. Mais ce qui est moins clair, c’est l’intention des Européens, puisqu’on constate que les Européens, et notamment les Allemands, sont d’accord de se couper du gaz russe bon marché et du pétrole russe facile d’accès, au risque de faire plonger l’industrie allemande qui doit acheter son énergie aux Etats-Unis, ou s’approvisionner ailleurs à des tarifs beaucoup plus élevés. Ce qui veut dire que l’industrie allemande sera beaucoup moins compétitive. Et ce n’est pas seulement l’industrie allemande, c’est toute l’industrie européenne qui va être touchée, ainsi que tous ceux qui consomment du gaz, puisque l’Europe n’a que très peu d’énergie. Ce n’est pas l’éolien et le solaire qui vont compenser tout cela, en tout cas pas avant dix ou quinze ans. Donc, le calcul européen est très difficile à comprendre et, pour moi, cela relève du suicide économique. Je crois que nous sommes gouvernés par des dirigeants tellement fanatiques, tellement russophobes qu’ils réagissent comme des chiens de Pavlov dès qu’on leur parle de Russie, et qu’ils sont dans un déni de la réalité qu’ils cachent à leurs populations. La facture va arriver et elle sera salée.
Pour en revenir aux Américains, c’est tout bénéfice pour eux parce qu’ils font d’une pierre deux coups. Non seulement ils affaiblissent la Russie parce que toute guerre coûte de l’argent. Même si cela se termine par une espèce de pat, comme on dit aux échecs, la Russie en sortira malgré tout un peu affaiblie. Mais, surtout, les Américains affaiblissent les Européens. Car le calcul implicite, secret, des Etats-Unis, c’est bien d’affaiblir les Européens pour les mettre complètement sous leur coupe. L’accord entre l’Union européenne et l’OTAN n’est pas un accord égalitaire, il consacre la mainmise de l’OTAN sur l’Union européenne. Et dans ce cadre-là, c’est l’OTAN qui commande. Et qui commande l’OTAN ? Ce sont les Etats-Unis. Ce sont les Etats-Unis qui se sont emparés du pouvoir en Europe via l’OTAN, via cette guerre, et qui réduisent l’Union européenne à n’être plus qu’une espèce de ministère logistique au service de l’OTAN et de l’Ukraine dans la guerre occidentalo-américaine contre la Russie. Tel est l’enjeu caché de cette guerre. Les Russes ont évidemment bien compris qu’ils ne se battent plus contre l’Ukraine, mais contre l’OTAN et les Etats-Unis. C’est ce que vient de nous dire le général Vincent Desportes dans une interview qu’il nous a accordée, où il parlait de l’alignement des Européens sur la position américaine… J’ai écrit un livre il y a trois ans sur le destin de l’Europe, qui s’appelle Le Continent perdu, un titre qui n’était pas très optimiste. Il est paru aux Etats-Unis en 2021 et l’éditrice américaine a voulu changer le titre. On l’a titré Europe’s Existential Dilemna (Le Dilemme existentiel de l’Europe), et sous-titré : Etre ou ne pas être un vassal des Etats-Unis. C’était bien vu.

Les dirigeants européens n’ont-ils pas perdu la tête en s’alignant sur la position américaine au détriment des intérêts de leurs peuples ?
On ne saurait mieux dire.
On assiste à une propagande antirusse quotidienne, et les médias occidentaux qui se targuent d’être des chantres de la liberté d’expression, de la démocratie et des droits de l’Homme cachent la réalité du conflit qui se déroule en Ukraine. A votre avis, pourquoi ne remplissent-ils pas leur rôle d’informer ?
C’est aussi une grande question pour nous journalistes. J’ai commencé le journalisme il y a quarante-trois ans, en 1980, et, effectivement, l’évolution de la presse pendant ces quarante dernières années a été terrible. Surtout depuis une dizaine d’années. Elle s’est complètement appauvrie – surtout en Occident –, et s’est vendue à des oligarques. Auparavant, il y avait de grandes familles qui étaient propriétaires de journaux et qui, tout en étant libérales et conservatrices, veillaient malgré tout jalousement sur leurs journaux. C’était leur bien et ils en étaient fiers, tandis que maintenant ce sont de grands groupes qui en sont propriétaires, avec des actionnaires dont on ignore bien souvent le nom, lesquels sont souvent d’ailleurs des grands fonds américains, qui se retrouvent aux conseils d’administration et qui imposent l’agenda américain et occidental sous couvert, bien évidemment, de défendre la démocratie, les libertés, les droits de l’Homme… Ce discours qui nous est servi depuis une trentaine d’années, depuis la chute de l’Union soviétique, s’avère être une pure hypocrisie, un mensonge. On est tous d’accord, moi le premier, pour défendre la démocratie et les libertés, mais quand on constate que ce narratif est instrumentalisé pour faire avancer des agendas politiques qui ne correspondent pas du tout aux valeurs revendiquées, eh bien, on est face à un grand problème. Néanmoins, le côté encourageant de cette évolution, c’est que, désormais, il n’y a plus que les Européens pour croire à leur propre propagande. Les Européens se sont auto-intoxiqués à leurs propres mensonges. Ils croient qu’ils luttent encore pour la démocratie et les droits de l’Homme. Mais dans le reste du monde, cette façade de mensonges est en train de tomber. En Afrique, dans les pays arabes, en Amérique latine, en Asie, on ne croit plus du tout à cette propagande parce que ces pays ont pu voir que des guerres meurtrières ont été menées au nom de ces «valeurs» frelatées. Bien sûr, en Europe on ne peut pas le voir puisque ces conflits ont eu lieu dans d’autres parties du monde, avec un narratif soigneusement étudié. Mais il suffit de demander leur avis aux Afghans, aux Irakiens, aux Syriens, aux Libyens, à tous ceux qui ont été agressés par les Etats-Unis et l’OTAN dans des guerres qui ont fait des centaines de milliers, voire des millions de morts pour constater que le discours sur la démocratie, les droits de l’Homme, la liberté, est une parfaite hypocrisie et que les médias sont devenus des relais de cette propagande. Ce qui est regrettable.

On a vu que les sanctions n’affectent pas l’économie russe mais bien l’économie européenne. Pourquoi les dirigeants occidentaux s’entêtent-ils à imposer de nouvelles sanctions à la Russie ?
Je crois que nous en sommes au huitième train de sanctions. Il semble qu’une nouvelle vague soit en préparation, avec le pétrole. Les Européens vont essayer une fois de plus de faire pression sur la Russie, de gêner la Russie, mais je n’ai pas l’impression ça marchera mieux qu’auparavant car on voit que les sanctions ont un effet très limité. Les sanctions sur l’Iran durent depuis quarante ans, celles contre Cuba durent depuis soixante ans, sans succès.
Elles peuvent faire mal, surtout pour un pays qui a très peu de ressources comme Cuba. Mais elles n’atteignent pas leur but. Pour la Russie qui a toute l’énergie qu’elle veut, qui a une très grande industrie, qui est premier producteur mondial de blé, de céréales, c’est totalement illusoire. Franchement, les Russes pourraient vivre sans aucun échange avec le reste du monde sans problèmes. Ce ne sont pas les sanctions qui vont les faire reculer.
Suite et fin
Interview réalisée
par Mohsen Abdelmoumen