Deux domaines de création dans toutes leurs différences et similitudes

Artisan et écrivain

Les deux domaines exigent beaucoup de qualités comme la ténacité et le talent et des différences : de la force dans l’un, de la concentration dans l’autre.

Malgré les différences, il y a des similitudes : travailler soigneusement pour arriver à des résultats concluants, appliquer durement les règles selon lesquelles rien de facile pour qu’enfin on arrive à surmonter les difficultés. Dans l’un comme dans l’autre, on arrive au-delà de la difficulté à remettre les choses d’aplomb pour dire, j’ai fini enfin par résoudre, obtenir enfin ce que j’ai en tête et qui est différent des autres produits.

L’artisanat ou l’art de bien travailler
C’est l’artisan du bois qui, après avoir scié du bois d’art, va obtenir, après de multiples opérations une trentaine environ, un objet désiré parce qu’il doit réussir une pièce sur commande selon des mesures exigées, des motifs décoratifs demandés. S’il s’agit d’une broche en argent, l’artisan bijoutier doit faire attention de ne pas oublier la forme exigée, le système de fermeture, de choisir les émaux qui mettent en valeur.
En somme, l’objet doit être obtenu selon des normes demandées. Cependant, l’artisan est un inventeur et il faut lui laisser le soin de fabriquer des objets selon des critères. Broches, bracelets, colliers qui sortent de son atelier ont subi des modifications laissant apparaître son art de façonner en fonction des normes acceptables pour les clients qui achètent non pas dans le style traditionnel, mais dans le nouveau genre. Acheter dans le traditionnel, c’est accepter la qualité du travail, façonné avec talent conformément au genre ancien, ou moderne avec un cachet ancien.
Il est de même des artisans sur bois qui produisent dans le traditionnel comme dans le moderne pour être sûr que plaire. Le travail ne pose aucun problème pour lui, mais c’est la négociation avec le client qui peut être gênante pour le travail à faire. On envisage toutes les mesures avec des prix différents. Généralement, ça n’aboutit pas, parce qu’on trouve trop cher, mais on finit par s’entendre. L’artisan est engagé pour le travail. De temps en temps, on fait une virée chez lui pour voir où il en est. Ce n’est pas fait mais on reste fidèle. Si l’artisan n’a pas d’autre commande, il entame le travail, sinon il fait attendre prétextant un manque de matière première. Mais un objet sur mesure mérite bien une attention même longue.

Le travail d’écriture, dans ses hauts et ses bas
L’écriture est un tout autre domaine pour la façon d’aligner les mots pour exprimer les idées. Il y a des milliers de mots : verbes, noms, adjectifs, adverbes, monèmes fonctionnels qui expriment différemment ce qu’il y a de meilleur et ce qu’il y a de pire moyennant une idée plus ou moins bonne, qui est le thème ou le sujet. Et lorsqu’on a fixé le thème, on commence. Dans un paragraphe ou un ensemble de paragraphes, les phrases se suivent avec un objectif : décrire une situation complexe, rendre compte d’un bilan, faire savoir un résultat après un processus.
Dans tous les cas de figure, les phrases complexes ou simples expriment chacune une ou des idées qui se suivent dans un ordre logique, s’il n’y a pas d’ordre dans le sens, il n’y a point de sens dans la succession, comme dans la lettre où celui qui écrit, fait une introduction, ensuite il argumente et après l’argumentation, il tire une conclusion convaincante. Chaque production sa méthode et lorsque la lettre est finie, elle devient une invention de lettre qui n’existait pas auparavant.
Comme dans le domaine artisanal, on commande un objet à l’artisan selon les convenances personnelles. Une fois façonné, l’objet fabriqué, en argent ou en bois, sinon en argile, conformément aux normes demandées, devient un objet inventé et fait partie des inventions de l’artisan, il porte une signature. L’écrivain fait un ensemble de productions : nouvelles, romans, pièces de théâtre, essais en faisant l’effort de donner un style particulier à ses œuvres pour que les lecteurs disent ça c’est du Med Dib, ça c’est du Malek Haddad, c’est du Kateb Yacine. Ils impriment à leur texte une forme qui particularise l’œuvre et permettre au lecteur habitué aux œuvres de deviner qui en est l’auteur.
Un auteur véritable est avant tout un inventeur qui a la maîtrise de la langue et du genre dans lequel il produit qui font de lui un auteur atypique. L’écrivain véritable est celui qui a du génie c’est à dire qu’il est original dans son écriture, son thème, la forme de son produit. En écrivant il pense aux lecteurs qui vont le lire et lui donner un jugement. S’il est intéressant, il va sûrement s’attirer un vaste lectorat capable de porter un jugement de valeur à son œuvre. C’est au lecteur de dire à propos d’un écrivain, qu’il est intéressant parce qu’il apporte toujours quelque chose d’intéressant, qu’il écrit en style clair, qu’il donne une algérianité à son texte, qu’il n’est pas un copieur en essayant d’imiter un autre qui a eu du succès. Il écrit selon une culture, une pensée qu’il s’est façonnée à force de composer, pour arriver à une mise en forme qui le singularise dans le paysage littéraire.
Ainsi, l’écrivain comme l’artisan qui ne copient pas sur les autres, produisent non pas en qualité industrielle, mais des objets commandés et portant un nom d’auteur soucieux de se faire une originalité, une renommée qui le fassent connaître à la manière de ce maçon entrepreneur à qui on a demandé de construire une villa dans un endroit donné. Il construit selon un plan et des matériaux choisis et qui, une fois terminé fait porter à sa villa le nom de ce maçon ; il remet les clefs au propriétaire qui l’a chargé de construire. Jusqu’à ce jour, et depuis 77 ans, il y a toujours cette plaque indiquant le constructeur comparable à un écrivain original, un artisan qui ne produit pas en série, mais des objets sur lesquels il s’attarde pour leur imprimer ce qu’il a de cher en tant qu’artisan sens des proportions, effort de perfectionnisme, impression de travail fignolé.

Les artisans du verbe
Cette appellation désigne tous ceux qui maîtrisent le verbe au point de lui faire dire ce qu’il a de plus vrai, de plus cher, de plus juste pour montrer la voie à suivre à tous ceux qui dans l’entourage sont hésitants, ne savent pas la voie à suivre, celle qui conduit à la vérité. L’artisan du verbe est celui qui, après un long apprentissage de la langue et de la culture du pays est capable à son tour de dire en termes exacts ce qu’il convient de faire pour être sur la bonne voie. C’est le sage féru de littérature populaire et de sagesse qu’on allait consulter, dans les sociétés traditionnelles, pour être conseillé à bon escient. Il est l’équivalent du griot en Afrique, qui trônait sur la place publique pour conseiller, orienter, décider, faire exister les autres. Il est capable de dire à quelqu’un moyennant un poème improvisé ce qu’il doit faire dans une situation épineuse, pour ne pas choquer ou ne pas provoquer.
Ils ont, par expérience de la vie, la particularité de répondre sans se tromper. Là, c’est un homme très gentil qui a des problèmes avec son beau-père qui lui fait du chantage pour lui enlever sa fille. Celui-ci a emprunté de l’argent à un riche, il ne peut pas rembourser, le prêteur le menace de lui enlever la maison ou le champ. Deux propriétaires de champ se disputent sur les limites. Voilà le genre de problème qu’il a à régler.
Abed Boumedine